C’est au bras d’un champion de 110 mètres haies que Sabine est brusquement partie, il y a un peu plus d’un an, un soir du mois de mai, elle venait tout juste d’avoir dix-huit ans, et c’est accompagnée d’un gringalet qu’aujourd’hui elle revient, profitant de l’occasion qui lui est donnée de passer dans le quartier pour faire un crochet du côté de chez ses parents, Lucien et Eugénie. Ils ne l’ont pas vue depuis, n’ont pas eu la moindre nouvelle d’elle et pensaient même ne jamais plus la revoir, ou alors dans bien longtemps, c’est-à-dire lorsqu’ils auraient atteint un très grand âge et qu’il leur aurait fallu quelque effort pour retrouver dans la brocante de leur mémoire le nom juste à accrocher à ce visage qui les aurait regardés en souriant, comme si de rien n’avait été.

Ils commençaient donc à se faire une raison, et lorsqu’elle est apparue à l’entrée du séjour – petite souris qui avait utilisé sa clé et s’était faufilée en catimini pour leur faire la surprise –, avec ce petit homme malingre et presque chauve qu’elle semblait avoir trouvé à l’instant dans la rue et monté pour en proposer l’acquisition à ses parents (et Lucien, en croyant qu’il s’agissait du même, s’était demandé ce qu’elle avait bien pu lui faire pour ainsi le métamorphoser), ils n’y ont pas cru...