Dans la rue, il y a un petit bar, sis à quelques pas de l’immeuble dont on peut aisément voir l’entrée si l’on s’installe à la minuscule terrasse : deux petits guéridons de marbre, deux chaises de rotin à chacun, et c’est tout ; mais d’où l’on ne peut voir l’enseigne, tant à cause de sa position – à moins de lever fort la tête et de se tordre le cou – que de la banne bombée et effrangée. De nuit, elle s’éclaire et clignote : bleu rouge bleu vert rouge bleu rouge vert, mais là, présentement, elle est éteinte et dessous Lucien est assis.

Lucien est assis au guéridon de droite – si l’on sort du bar – et sirote doucement, posément, une Bécasse, qu’il ne préfère pas spécialement à la Bellevue, à la St Louis ou à la Mort Subite, mais il se trouve que le bar ne dispose que de Bécasse – et en soi c’est déjà hautement louable...

Il regarde le temps, il regarde la rue, les voitures, et toutes les minutes précisément boit une gorgée brève de la gueuze spumeuse à souhait ; qui inévitablement s’épuise, se tarit, se vide tout à fait, moment fatal où Lucien doit se lever, se résoudre à partir car jamais il n’en a bu une seconde, jamais il n’a bu plus d’une seule Bécasse par semaine à la terrasse du petit bar. Mais cette fois, comme si c’était fête – et dans son esprit et son ventre c’en est une puisqu’au fond de sa poche reposent d’exceptionnels bonis –, il en reprendra une seconde, et peut-être même, si le temps le lui permet, une troisième, et une quatrième si le patron veut bien y consentir, et d’autres encore si son corps est apte à les recevoir, ce qu’il ignore puisqu’il n’a jamais bu autant de bières à la fois...