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1990

 

*

 

2 décembre

 

J’ai dit quelque part que le mois de décembre, du simple fait qu’il est la signification de mon nom (c’est un peu faible, j’en conviens avec toi), était mon mois... Ah, le beau mois. Ça démarre fort. Hier, la fatigue, la mauvaise humeur, aujourd’hui, un de ces vides comme j’en ai peu connus. Le vide s’accompagne de vague à l’âme, et aussi d’une espèce de torpeur tant physique que mentale, le tout assaisonné au doute, au dégoût et à l’interrogation. Mélange le tout et sers très très froid. Je ne m’étends pas, je n’en ai que trop parlé, et je sais que demain, après-demain, en tout cas sous peu, tout sera balayé et qu’il n’en restera même pas un souvenir, même mauvais (et c’est vrai que je ne garde aucune trace de ce genre d’états)...

 

 

1991

 

*

 

2 janvier

 

J’avoue que je ne sais pas très bien où j’en suis. Il y a encore deux minutes, je pensais ne pas sortir le journal, celui de l’année qui vient de s’achever... Il est bien évident que de la manière dont s’est déroulée la journée d’hier, première du nom, je ne pouvais décemment m’asseoir au bureau et me mettre en « route » le soir même (avec accent, please) : il y a eu la longue nuit, puis le court sommeil, puis ton départ, puis une douce mollesse (mais sans fatigue, ni trouble d’aucune sorte), accompagnée de vague à l’âme, qui m’a tenu un peu hébété et chagrin jusque fort avant dans la soirée et un petit bout de la nuit. Beaucoup de choses en tête, pensées diverses qui toutes avaient ce léger goût d’ouate et de vague tristesse qui caractérisent la sortie d’un rêve brutalement interrompu. J’ai eu l’intention d’en faire profiter le journal, mais je me suis dit qu’il y avait aussi le Rapport sur le Monde et ses multiples tableaux, puis me suis demandé si journal il devait y avoir, et si ce fameux Rapport était bien sensé, raisonnable, intelligent, concevable, digne d’intérêt. Du coup, je n’ai rien fait. Mais j’ai tout de même pris quelques notes, à tout hasard, au cas où ; et j’ai noté...

- nouvel an Truffaut : présage ?

- orthographe

- guerre

- rapports amicaux : la tentation de l’ordinaire

- mots (dictionnaire)

- histoire (prénom)

Tous ces points, et ce pour des raisons diverses, devaient (doivent) être développés. Les trois premiers concernent à la fois le journal et le Rapport (en admettant que le premier se poursuive, et que le second voie le jour) : premier jour de l’an marqué par cette nuit Truffaut à France-Culture (dont j’ai écouté une partie hier soir, très décevante, j’y reviendrai), je pouvais voir ça comme un présage, un signe (lesquels, c’était à voir...) ; l’orthographe, aussi, c’est-à-dire la réforme, pouvait être vue comme tel : depuis hier, ce fait a pris une place prépondérante dans mon esprit, à tel point que je n’ai pu m’empêcher, durant ma lecture de la journée, d’accrocher à chaque accent circonflexe que je rencontrais et de l’imaginer, avec horreur, absent, rayé, volatilisé, ôté à tout jamais de la langue dont il est un des signes majeurs (c’est à ma connaissance l’une des rares langues, sinon la seule, à l’utiliser)...

 

 

3 janvier

 

Tout à l’heure, j’ai rapidement griffonné sur un morceau de papier – et dans une très mauvaise formulation – la phrase suivante : « ce qui fait le plus souffrir, ce n’est pas de forcer quelqu’un à faire ce qu’il n’a pas envie de faire, mais de l’empêcher de faire ce qu’il a envie de faire »... Je ne sais pas bien pourquoi j’ai écrit cela. Ni ce qu’il faut (ce que l’on peut) en tirer.

 Mots : (Petit Robert) entendu (p. 654), futaille (840), marché (1152), morphine (1230), organiser (1322), passant (1370), piaculaire (1430), porte-à-faux (1486), quadrirème (1574), religion (1654), ripolin (1720), sommation (1832), sustentateur (1902), ultramicroscopie (2046) [page gauche, première colonne, premier mot].

« Au marché, nulle morphine sustentatrice dans la futaille, c’est entendu ; et une quadrirème passée au ripolin serait tout autant en porte-à-faux avec la sommation d’une religion qui organise l’ultramicroscopie piaculaire du passant. »

 Pluie, pluie et pluie... J’ai entamé Le voyage gelé de Dick...

 

 

4 janvier

 

Mots : Petit Larousse 1978, page gauche, première colonne, premier mot, la pagination étant celle adoptée aléatoirement pour le petit Robert hier : mignardise (654), puissance (840), cadenas (152), combattant (230), dipode (322), endocrinologie (370), filiation (430), greffer (486), karting (574), mignardise (!) (654), organeau (720), protéiforme (832), rocailleux (902), trompette-des-morts (1046) (le fait que le Petit Larousse, rubrique noms communs, ne comporte que mille quatre-vingt-douze pages, c’est-à-dire moitié moins que le Robert, m’oblige, pour les pages supérieures à ce nombre, à supprimer le mille et à repartir de zéro – le hasard a fait que « mignardise » sorte deux fois ; je supprimerai donc la seconde)…

« Il y a peu de filiation entre l’endocrinologie des dipodes et la puissance protéiforme des trompette-des-morts. Les combattants du karting le savent bien, qui se font des mignardises rocailleuses et greffent à leur cadenas des organeaux... »

 

 

5 janvier

 

Avant de me retourner, de procéder à un demi-tour sur moi-même pour prendre connaissance du saint du jour, et ce de telle manière que je ne puisse voir déjà celui de demain une petite remarque : je pense avoir commencé le Rapport.

En date du 29 novembre de l’année dernière, je vois noté : « ... m’est aussitôt venu à l’esprit le titre Rapport sur le Monde et son sous-titre “ Drachme en 365 tableaux ” dont l’histoire serait celle d’un type assis à son bureau qui regarderait défiler les autres... » J’ai aussi constaté que j’avais oublié et le drachme, et le type assis qui regarde ainsi de suite. Est-ce là une piste ? je ne sais. Quoi qu’il en soit, j’ai commencé le Rapport dont le sous-titre est désormais : « Drachme en 365 tableaux moins deux », tu comprendras aisément pourquoi... Qu’en est-il exactement, tu le sauras sous peu. (Le Rapport n’est pas joint au journal, contrairement à ce que je prétends ce même jour du 29 novembre, et ce pour une raison bien simple : je compte taper au propre le Rapport et, puisqu’il s’agit d’un « travail » personnel et non d’un texte de correspondance – dans son intention et non dans son mouvement, celui qu’il accomplit pour arriver jusqu’à toi –, en faire une photocopie. Il te sera donc adressé plus tard...)

Qu’en sera-t-il dans quelque temps, un jour, deux, un mois, deux ? je n’en sais rien non plus. Toujours est-il qu’il est commencé. Manuscritement, tout d’abord, comme pour le journal, auquel d’ailleurs il est intégré – du moins sur les pages du cahier –, à la machine ensuite, mais séparément... J’en ai déjà fait deux jours : jeudi et vendredi. Et de ce pas, je vais rédiger le troisième, c’est-à-dire, je me retourne, Édouard. Bonne fête Édouard...

 

 

6 janvier

 

Il est deux heures. Je viens de passer trois heures à la rédaction du texte consacré à Épiphanie. Je me demande dans quelle mesure le Rapport ne va pas prendre le pas sur le journal ; et sur le reste peut-être. Bizarrement, je n’ai plus que ça en tête, ou peu s’en faut.

Rien à dire sur ce jour qui a été quiet et calme, et d’une certaine manière productif si je considère la frappe au propre du Rapport et le présent texte que je viens d’achever...

 

 

7 janvier

 

Comme je te le disais hier, j’ai bien l’impression que le Rapport va se faire au détriment du journal. Est-ce un bien ou un mal, je ne sais ? Mais ce sera peut-être plutôt un bien, car il m’apparaît de plus en plus que le journal est un peu vain ; pas inutile, ou sans grand intérêt, mais vain ; dans le sens – j’y reviens encore, mais je suis bien obligé de me référer à ce problème, celui soulevé plusieurs fois au cours de mes envois – où malgré tout il t’est avant tout destiné, où plus qu’un véritable journal, il est un courrier. Le courrier suppose des réponses, des réactions, un retour etc. (nul reproche, je jure que je ne t’en parlerai plus), et le fait qu’il n’y en ait pas à la longue me pèse. (À tort ou à raison. Certainement à tort puisqu’après tout c’est de ma propre initiative que j’ai « créé » ce journal, en sachant parfaitement ce qu’il en était.) Pas souvent. Quelquefois. Rarement. Mais c’est vrai que par moments ça me chagrine (ça ne m’empêche pas de continuer et d’y prendre du plaisir, rassure-toi)... Quoi qu’il en soit, cette idée du Rapport tombe à point nommé, car il va me permettre tout à la fois d’écrire et de t’écrire, sans qu’il n’y ait derrière cette sempiternelle question du non-retour : le Rapport est du texte, un point c’est tout...

Ça ne va pas empêcher le journal de se poursuivre. Et voilà où je suis stupide, car je sais que le premier va empiéter sur le second, et au lieu d’être content de la perspective de me « décharger » un peu du poids des questions que le journal parfois entraîne, ça me désole... Un peu complexe et tordu, tout cela. Quoi qu’il en soit, le Rapport commence à prendre dans mon esprit une place considérable et je dois dire que ça m’excite beaucoup, même si je ne sais pas encore vraiment comment il va se faire et où il va m’entraîner... Reste à souhaiter en plus qu’il soit de ton goût...

J’y vais (au fait, une précision : Varese est effectivement une ville d’Italie)...

 

 

9 janvier

 

Il est deux heures. Ça souffle, ça pisse, ça tempête. Tout craque et tape dans la maison. Une heure ou deux, ça va. Mais à partir de la troisième, c’est énervant, irritant, agaçant. Il paraîtrait que par temps de tempête, le nombre des suicides augmente. Pourquoi pas. Pour accompagner ça, le boulot, Les années de chien, le journal (bien maigre ces temps-ci), le Rapport (de plus en plus consistant ; et imposant, prenant, envahissant !). Où cela va-t-il me mener ?...

 

 

11 janvier

 

Ce vendredi est la St Paulin et il est deux heures et quart du matin. Je n’ai absolument aucune idée pour ce prénom. Je ne savais même pas qu’il existait...

 

 

12 janvier

 

Chaque fois que je regarde le saint du jour avant de commencer, je m’efforce de ne pas voir celui du lendemain. Pour le calendrier de mon bureau, auquel je tourne le dos (c’est plus commode, pour l’inattention, la tentation et l’inadvertance), c’est facile : je fais glisser mon doigt le long du mois – parfois en fermant à demi les yeux – jusqu’à atteindre le jour dit, et là m’arrête, mon doigt cachant par la force des choses le lendemain. Mais j’avais oublié les autres calendriers, ceux de la maison et ceux d’ailleurs, calendriers que je dois à tout prix éviter de regarder de trop près. Et j’avais oublié la télé, et les bulletins météo à la fin desquels on donne le saint du lendemain. C’est ainsi que j’ai su à l’avance Paulin pour hier et Tatiana pour demain...

Dès le départ, je me suis donné pour règle de ne prendre connaissance du saint du jour qu’au moment de la rédaction. D’une part, pour le jeu ; d’autre part, pour éviter l’influence, le travail de la pensée tout au long de la journée. Ainsi cela fait deux jours que je pense à Tatiana : qui sera-t-elle ? où sera-t-elle ? que fera-t-elle ? Il y a eu mille possibilités. Et de ces possibilités, je n’en retiendrai certainement aucune, et au moment de la rédaction, dans quelques minutes, ce sera pire que si j’abordais le sujet neuf, propre, net, vide, neutre. C’est beaucoup mieux ainsi, plus excitant, et je tiens en outre à conserver un certain caractère de spontanéité à la chose, ne serait-ce que pour ce point car pour le reste, l’intrigue générale, les diverses péripéties, les faits et gestes, les agissements... je ne peux empêcher mon esprit d’y « travailler »...Cela fait dix jours que je suis sur le Rapport – qui je pense a abordé son allure définitive, celle d’une succession de textes qui... mais tu verras par toi-même, en lisant – et je me demande si ça va continuer ainsi. Un an. Le journal prenait du temps, mais je pouvais me permettre des arrêts, des passages à vide, des longueurs d’écrit, etc. : il reste souple et malléable. Tandis que pour le Rapport, il s’agit de texte. C’est-à-dire qu’il faut d’une part que je trouve ce qu’il y a à écrire, d’autre part l’écrire. Quelle qu’en soit sa longueur, c’est long, très long, beaucoup plus long que je ne le pensais... Mais bien, j’ai choisi de le faire ; et de toute manière, et pour l’instant, c’est très excitant...

J’ai passé la journée à rédiger le tout au propre. Je précise tout de suite que j’essaye au maximum de ne pas trop travailler le texte 1) pour conserver son caractère de spontanéité, je te l’ai dit ; 2) à cause du temps : il est impossible, en travaillant – je parle du bureau –, de travailler correctement chaque texte, ça prendrait toute la journée ; 3) la forme manuscrite n’est pas définitive : je me réserve le soin de peaufiner (je n’aime pas ce mot, tant pis) en rédigeant au propre, puis éventuellement de revenir dessus plus tard, ou tout à la fin, si j’y parviens, et si je lui accorde encore quelque intérêt ; 4) le but premier est le travail, l’expérience (expérimentation), le jeu ; il n’y a pas a priori d’intention littéraire pure. De ce fait, il y a toutes les chances que tu trouves des textes plus ou moins réussis, plus ou moins finis, plus ou moins intéressants. La qualité, tant au niveau du sujet que du style, variera beaucoup. C’est normal (inévitable), et je dirai presque voulu. Voilà, tu es prévenu…

Rien à dire d’autre, tu peux commencer la lecture du Rapport...

STP : essaie de me dire, ne serait-ce que par un mot, ce que tu en penses...

 

 

13 janvier

 

Yvette est le prénom du jour. Ça me fait sourire, et me démoralise. J’avoue que je suis un peu fatigué et n’ai guère envie d’écrire. Saturation, peut-être : ces deux jours pleins, mais aussi, peut-être, ces quelque dix jours que je me suis efforcé de marquer d’un texte. Et il en faut un aujourd’hui, consacré à Yvette. Qu’est-ce que je peux raconter à propos d’Yvette que je ne connais pas encore ?...

 

Note du 29 décembre 2000 : la fin manuscrite d’Yvette est légèrement différente de la version imprimée : « biquet » remplace « chauffard » ; puis, après : « C’est d’un goût ! » : « Au fait, tu ne l’as pas vraiment suivie, la gamine ? – Mais comment je le pourrais, mon biquet ? » Suit cette précision en marge : (à poursuivre pour l’histoire de l’amant)

 

 

14 janvier

 

Je me suis couché à quatre heures du matin. Mes yeux se ferment. C’est sans doute pour cela que je suis très mécontent de mon texte*...

 

* Nina

 

15 janvier

 

Ce midi, j’ai bu quelques McEwan’s au Bar de l’Écho. Trois exactement. Et fameuses. Elles m’ont complètement abattu. Abattement est le mot, qui avec l’ivresse, aussi infime soit-elle, n’avait rien à voir. Ça a duré toute la soirée et encore maintenant je me sens las et vide. Je n’ai qu’une envie : me coucher (non, ce n’est pas une envie, pas une envie réelle puisque je suis encore là ; alors, est-ce plutôt un besoin ?). Mais je dois encore rédiger le texte du jour. Que je voudrais court (mais que faire en matière de texte court ?). À un moment donné, j’avais pensé le reporter à demain, mais je sais que je serai très vite débordé. Alors, un effort. Qu’est-ce que je peux bien écrire dans mon état ? (Qu’est-ce qui va se passer les soirs arrosés ? ou ceux où je ne serai pas à la maison ? est-ce que je vais devoir m’isoler pendant toute une année ? et je pense tout à coup à Desmet, Desmet dont, d’une certaine manière, je suis en train de réaliser le projet fou – mais lui, c’était un thème, moi un prénom : est-ce bien différent ? est-ce plus ou moins difficile ?). Quoi qu’il en soit, il faut que je m’y mette. Je vais abréger...

J’ai hâte de connaître ton opinion au sujet de la première livraison du Rapport, d’autant que la seconde [sic] est assez mal commencée (je n’aime guère les deux premiers textes). Je crains fort que je vais vite m’épuiser...

 

Note du 29 décembre 2000 : au sujet de Rémi, la signature manuscrite d’origine est « L’Écho du XVème » (la faute est délibérée)...

 

 

16 janvier

 

Ce mercredi était la St Marcel, il est minuit vingt, je le découvre à l’instant. Je remarque que ce jour tombe en même temps que ton anniversaire (que je te souhaite, en différé, bon).

Je suis effondré. Il est tard, je n’ai pas envie d’écrire, et me voilà face à ce Marcel pour qui je comptais, évidemment, faire un texte de choix. Je suis effondré car, ce soir, cette nuit, je m’en sens tout à fait incapable... Vais-je devoir faire appel aux Mots ?

Si Guillaume appelle le Conquérant, Marcel appelle inévitablement Proust, était-il la peine de le dire ? Car qui d’autre (Azzola ? Bozzuffi ? Aymé ? Amont ? Merkés ? Prévost ? Pagnol ?) ?...

 

 

17 janvier

 

Une heure quarante. Je viens d’achever Roseline. J’avoue volontiers une certaine tendance à la facilité depuis quelques jours ; ou plutôt que facilité – qui pourrait impliquer « bâclage » –, je dirais ma tendance à des formes d’écriture rapides. Les dialogues en sont une...

 

Note du 29 décembre 2000 : en conclusion de Roseline manuscrit cette parenthèse : (à noter : l’inversion des chapeaux ; Roseline pourrait avoir menti puisqu’elle décrit l’homme au chapeau comme étant Odilon et non Édouard au moment du meurtre de G.)

 

 

18 janvier

 

Prisca ?... J’ignorais même que ce prénom existait...

 

 

21 janvier

 

Fatigue, lassitude, je crois bien que je vais avancer la date de mes vacances. Encore demain peut-être, et puis... Place à Agnès...

 

 

23 janvier

 

Barnard... est-ce réellement un prénom ? ne se sont-ils pas trompés sur mon calendrier ?... Non, tu figures toujours dans la troisième semaine du mois d’août...

 

 

25 janvier

 

Il est 2 h 50, nous venons de raccrocher, je suis au bureau et je viens de prendre connaissance du saint du jour. Conversion de St Paul. Dois-je prendre cela pour une aubaine ? Oui, dans le sens où il est tard, où j’ai du mal à écrire (matériellement : la main peine), où cela m’évite la lourde tâche d’un texte. Bref, cela m’apparaît comme une récréation. Mais il n’empêche qu’il va bien falloir que je marque ce jour ne serait-ce que de quelques lignes ; lignes qui, maintenant, en toute logique, doivent s’insérer dans ce que je peux désormais appeler « l’histoire »...

 

 

26 janvier

 

Il est 3 h 00. Je viens de monter. Mal de crâne toute la journée qui m’a obligé à rester allongé plus longtemps que de coutume. Vers minuit je me suis endormi devant les premières images de Barfly [...]. J’ai passé l’après-midi sur le Rapport dont j’ai rédigé le vendredi ce matin (et je crois bien qu’il en ira de même pour Paule qui va se rédiger demain, à moins d’un soudain élan – très improbable).

Ici, j’observe une ligne de silence pour le mot « davantage » qui agonise et va définitivement disparaître dans les tréfonds des oubliettes du langage.

Après avoir relu la première semaine du Rapport, il me paraît urgent de supprimer tout ce qui ne concerne pas l’« histoire de la rue ». Je la retaperai, un jour... Quoi qu’il en soit, et pour l’instant, en attendant de nouvelles feuilles, considère que ces parties n’existent plus : elles sont à verser dans le journal. Je te permets de les biffer directement sur les pages et te conseille, en cas d’une relecture de l’ensemble, de les oublier, de les faire disparaître de tes yeux et de ta mémoire...

 

 

28 janvier

 

Ça a commencé par une petite lourdeur du crâne, puis continué par des frissons, un picotement dans la gorge, puis un rhume, puis quelques vertiges, puis une toux... Je suis tout de même parvenu à écrire en avance – dans le sens où jusqu’à présent ça n’avait été fait que le soir – le texte du jour, Angèle (je précise, au fait, que je parle du dimanche). Bien m’en a pris puisqu’à 18 h 00 arrivaient Casimir et Francette. Quelques bières, le repas, la vodka, bref ils sont partis à minuit passé et j’étais tellement dans le cirage que je suis allé me coucher...

Ce matin, dix heures, ça n’allait pas beaucoup mieux, et j’ai été bien obligé de me rendre à l’évidence, j’étais malade... Je le suis toujours, quoique je tienne debout et puisse tout de même vaquer normalement. Mais c’est tout de même la tête haute que je me suis présenté chez ma médecine de Billy. Elle a diagnostiqué une angine et m’a ordonné neuf jours de repos. Ils tombent très bien puisque de toute façon j’avais l’intention d’aller la voir... Voilà qui est fait, je suis en vacances jusqu’à mardi soir...

 

 

30 janvier

 

En attendant que me vienne une idée au sujet de Martine, sujet (sujette) du jour, quelques mots à propos d’hier et d’aujourd’hui, destinés au Journal qui pâtit de plus en plus de l’arrivée du Rapport. Mais y réfléchissant, je m’aperçois que je ne pourrais y parler que du Rapport. Quoiqu’il y ait tout de même la maladie. Mais vaut-elle la peine que j’en parle ? Alors, juste un peu. Je suis effectivement malade, cette fois-ci pour de bon. Rien de bien affolant ou de terrifiant, juste une petite crève qui, au bout du compte, n’est pas très désagréable. Ce n’est pas assez fort pour que ça m’empêche de tenir assis (voire debout) et malgré tout de vaquer, mais suffisamment pour un maintien dans une sorte d’état frissonnant et ouateux, qui m’interdit par exemple toute sortie (cela explique en partie le retard que va prendre cette semaine au niveau de l’envoi) et ce confinement forcé n’est pas trop déplaisant, bien au contraire (sédentaire est le mot que tu as employé l’autre jour)…

Hier après-midi, j’ai rédigé Thomas d’Aquin et ai même commencé Gildas avant de me remettre à mon Index. Aujourd’hui, j’ai terminé Gildas et ai commencé la frappe de la semaine. Pour le reste, de la rêverie et de la lecture, ce qui, tu le remarqueras, est tout à fait inhabituel... Ce sera tout...

 

 

4 février

 

Comment se fait-il que la majorité des pannes se produisent à la veille du week-end ? Je l’ignore. Toujours est-il que la petite pièce qui nous a plongés durant trois jours dans les frimas des steppes n’a pu être achetée que ce matin. Ceci veut dire que nous avons passé deux jours pleins en face de la cheminée, deux jours et deux nuits durant lesquels il faisait 12° le jour et 7° le soir dans le reste de la maison. D’où un certain relâchement dans mes habitudes et mon programme, et une aggravation du retard de tout, donc le journal et presque le Rapport qui finalement n’a qu’une seule journée de retard, Blaise d’hier à faire aujourd’hui, dont [?] l’envoi que je ne ferai je ne sais quand, il reste plein de choses à taper, que je ferai très certainement demain...

 

 

5 février

 

Je remarque depuis quelques jours un certain relâchement général, qui ne se manifeste pas réellement, pas de manière vraiment visible, mais est néanmoins sensible... Tout cela n’est pas très clair. J’ai un fort mal de crâne et j’ai toutes les peines du monde à écrire. Ce que je ne devais pas faire. Il y a encore dix minutes, j’étais loin de penser que j’allais venir m’asseoir au bureau pour y ouvrir le cahier et y rédiger quelques lignes. En montant, je ne pensais qu’à poursuivre la route jusque dans la chambre en m’interdisant le virage à droite qui immanquablement m’aurait emmené jusque dans le bureau. Et ça n’a pas manqué. J’ai pris ce virage et suis venu m’asseoir, juste pour prendre connaissance du saint ou de la sainte du jour dont je pensais remettre à demain l’histoire. C’est l’histoire d’Agathe (et je sais que demain – pas eu le temps d’éviter le bulletin météo télévisé – ce sera Gaston). Mais au lieu de me lever et d’aller me coucher, j’ai ouvert le cahier, et à tout hasard, j’ai commencé à y tracer les premières lignes, consacrées au journal qui depuis quelque temps se relâche...

Mais pas que lui, car je sens que le Rapport se relâche aussi. Une certaine lassitude, et je pense que les derniers textes s’en ressentent (alors que les précédents m’avaient présagé une longue et belle route sans trop d’efforts). Inévitable, bien sûr. Comment espérer de la grande qualité chaque jour ? Impossible, je le sais et ne l’accepte pas... Tout à l’heure, dans le canapé, je me suis demandé si toute cette histoire n’était pas une vaste blague, une belle gageure qui allait se transformer en eau de boudin, un matin, un soir où je déciderais tout à coup de tout abandonner (je ne parle que du Rapport). Où ces trois cent soixante-trois prénoms vont-ils me mener ? J’en ai une bonne quinzaine d’avance, que je saurai comment utiliser. Mais après ?...

 

7 février

 

Parlant de culpabilité, je pense tout à coup à SdeF. Je m’étais promis durant cet arrêt de le reprendre et si possible de le terminer, ne serait-ce que partiellement. Cela fait plus de dix jours que je suis à la maison et je ne l’ai toujours pas ouvert (et je n’invoquerai pas la maladie ou le froid comme excuses). Pourtant, je n’arrête pas d’y penser, et chaque jour, j’ai l’impression de repousser au lendemain le moment de m’y remettre. Ainsi aujourd’hui je m’étais décidé à y passer l’après-midi. Mais au moment de l’ouvrir, il m’a paru tout à coup plus urgent de faire la frappe du journal et de mettre au propre les deux derniers jours du Rapport. Ça m’a pris l’après-midi et sans cesse je me suis vu prêt à tout arrêter et à m’y mettre. Je ne l’ai pas fait, me disais à chaque fois que pour l’heure il fallait achever la frappe et que demain était là pour m’y mettre sérieusement... Je repousse sans arrêt cet instant. Et je me sens depuis quelques jours coupable de cette attitude. Est-ce justifié ?...

Il est 2 h 00, et j’ai encore à m’occuper d’Eugénie. En trois pages qui sont les dernières de ce cahier...

 

 

10 février

 

Nous avions invités Guillemette et Gatien. À quatorze heures, je suis allé les chercher. Vers quinze heures, nous allions passer à table, lorsque Léo est arrivé... C’est dire que nous nous sommes couchés au petit matin et que je rédige ceci le lendemain (avec un tout petit peu reste [sic] de gueule de bois, merci bière et vodka), et que le texte du jour, consacré à Arnaud, ne s’est pas fait. Nul doute qu’il sera très court...

 

11 février

 

Contre toute attente, j’ai écrit Arnaud avec une relative facilité et rapidité. Il est 19 h 30, et aujourd’hui est consacré à N.D. de Lourdes. Sans commentaires…

 

 

13 février

 

Aujourd’hui est le jour des Cendres. Je n’ai vraiment aucune idée à ce sujet... À ce propos, tu me disais que tu avais apprécié Rémi. Pourquoi lui spécialement ? pourquoi lui davantage qu’un autre (mais il est vrai qu’il t’en manque beaucoup). J’aime assez bien ce texte, mais l’enthousiasme que je sens derrière tes mots me surprend un peu (mais il est vrai que l’avis que l’on attend des autres ne tombe jamais là où l’on espère qu’il tombe...)

 

 

14 février

 

Je viens de terminer les Cendres, ça m’a incité à relire Rémi. J’avoue que j’avais complètement oublié que le chauffard était au volant d’une 205 blanche immatriculée dans le Pas-de-Calais, et ça m’a bien fait rire*...

Me reste à rédiger Valentin. Prénom chiant car trop typé, trop connoté. Je ne vois pas à qui je peux l’attribuer. Je me demande si je ne vais pas le reporter à demain, mais demain c’est la reprise, un vendredi, et je me demande aussi si ça vaut bien la peine que je me dérange, d’autant que je suis sur l’élan de SdeF qui roule comme ce n’est pas permis. Vais-je casser l’élan et aller bêtement me claquemurer dans des locaux hostiles et réprobateurs ?...

 

* il s’agit de la voiture de l’un de mes beaux-frères de l’époque (note du 14 septembre 2021)

 

 

16 février

 

Claude a eu un certain mal à démarrer et une fois démarré, m’a tout de même demandé un petit moment. D’où l’éjection hier du journal, dans lequel, de toute manière, je n’avais pas grand-chose à dire si ce n’est que, comme l’on pouvait s’y attendre, je ne suis pas retourné au bureau. Voilà. Mais promis, lundi j’y vais.

Aujourd’hui a été banalement consacré à SdeF qui avance et avance (j’en suis toujours à la fin qui s’étire, s’étire : où cela va-t-il donc s’arrêter ?...)

 

 

17 février

 

Il semblerait qu’il existe deux sortes de calendrier, car, par deux fois, le saint donné au bulletin météo télévisé ne correspondait pas à celui de mon calendrier (et de tous ceux que j’ai pu dénombrer à la maison, soit quatre). Ainsi Béatrice a été donné le jour des Cendres, et Alexis aujourd’hui, jour du Carême. Comme ces deux jours sont des fêtes religieuses, je me demande s’il n’y aurait pas un calendrier civil opposé à un autre religieux...

Place au Carême...

 

 

22 février

 

Ou comment le Rapport et le journal se confondent... Tout ce qui concerne Isabelle est rigoureusement exact, hormis les détails de situation que tu rectifieras de toi-même puisque tu connais la maison ; hormis le fait aussi que je ne les ai pas achetés, mais pris au Comité d’Entreprise, ce jour même, qui est bien la sainte Isabelle, encore une autre de ces « coïncidences » troublantes que j’aime tant et qui me fascinent toujours autant.

À noter, comme tu le sais déjà, que ce n’est que le soir que je prends connaissance du prénom du jour, d’où l’absence d’influence du prénom sur le choix étonnant de ce disque...

 

23 février

 

Je n’ai rien dit du disque d’Adjani – je veux parler de son contenu, car pour le reste, il me semble que tu sais tout (je m’aperçois qu’il y ait des chances que tu lises ceci, ainsi que ce qui précède, avant de lire le texte auquel se rapporte ces mots). Tout d’abord, j’ai été déçu et étonné de ne pas y trouver Les dessous chics (il me semble bien pourtant qu’il s’agit du seul disque qu’elle ait fait – ou bien je confonds avec Jane ?). Ensuite, j’ai été agréablement surpris par l’ensemble. Il y a plein de choses très bien, tout à fait inconnues (du moins, par moi). Et contrairement à ce qui a pu se dire à l’époque, ce n’est pas si proche que ça de Birkin : la ressemblance est simplement due au fait de l’aigu dans le registre (mais aussi, bien sûr, la similitude des mélodies et des textes). Pour le reste, je serais assez tenté de dire que je préfère Isabelle à Jane (qui par ailleurs me court un peu avec ses airs de grande saucisse attardée)...

J’ai passé la journée sur le Rapport avec Isabelle dont j’ai fait le texte manuscrit (avec un jour de retard, puisqu’hier je me suis endormi en regardant Chaplin, et j’ai préféré, en me réveillant, c’est-à-dire à deux heures, aller me coucher, et bien m’en a pris car autrement j’aurais saccagé le texte auquel je tenais à porter toute mon attention – texte d’ailleurs complètement différent de ce que j’avais prévu hier). Puis frappe du Rapport et du journal, travail non terminé et qui, j’en ai peur, ne le sera pas demain puisque nous partons aider B*** et M*** dans leur déménagement... T’ai-je parlé de leur maison et tout le reste ?

Ce jour est consacré à Lazare. Il y a toutes les chances que ce soit le commissaire...

Tu remarqueras, notamment dans le texte Lazare, diverses allusions aux cheveux. Crois bien que c’est tout à fait involontaire…

Pour l’anecdote : je viens de rencontrer, avec une certaine surprise, le verbe « to marcel » dans un texte anglais. Il s’agit d’un genre de permanente (de « marcel » coiffeur en français). Étonnant, non ?...

 

 

25 février

 

[...]

Bref, je suis là pour la semaine et depuis hier soir, je fais tout pour deux*. Et crois-moi, je cavale. C’est à peine si j’ai pu écrire une heure en fin d’après-midi entre une tasse de thé à verser et le repas à préparer...

Je profite de ce qu’elle dort (quoique je sois à l’affût du moindre appel) pour écrire un peu. Il est 2 h 30 et je ne pensais pas tant écrire pour le journal (et demain, debout 8 h 00 pour l’infirmière). Il me reste encore Roméo qui, malheureusement (je pensais lui réserver un texte de choix), va pâtir de tout cela...

 

* Lilas immobilisée par un lumbago attrapé au cours du déménagement chez Graham (note du 13 septembre 2021)

 

 

28 février

 

Et ainsi s’achève le deuxième mois de l’année, c’est-à-dire le deuxième mois du Rapport. J’en suis à cinquante-sept textes, ou assimilés, et m’en reste encore trois cent six à composer, c’est-à-dire six fois autant.

Que ressort-il de tout cela ? Je ne sais pas. Il me faudrait tout relire et pour l’instant je n’en ai guère le courage, ni vraiment l’envie. Quelle est mon opinion au sujet de ces deux mois bouclés ? Je ne sais pas. Je sais qu’il y a pas mal d’erreurs, de maladresses, qu’il y a bon nombre de textes à remanier – mais là n’est pas le but –, je sais qu’il y en a des mauvais, des qui ne me satisfont pas tout à fait, d’autres pour lesquels j’aurais aimé d’autres mots, d’autres formes, ou que j’aurais voulu développer, mais je sais aussi qu’il en subsiste que je trouve réussis, que j’aime beaucoup. Et je sais enfin que j’ai toujours l’envie de continuer, même s’il arrive assez souvent qu’une fois devant la page, j’ai envie de tout laisser tomber...

Une phrase de toi concernant ce projet me revient assez souvent. Je m’étais promis de la rapporter et de la commenter. Mais je ne ferai que la rapporter. Cette phrase dit, en substance : on entreprend ce genre de projet lorsqu’on est assis... J’ai parfaitement compris ce que tu voulais dire et je ne suis pas d’accord, même s’il y a une part de vrai. Cependant, j’y pense souvent. Peut-être justement à cause de sa part de vrai (même si je ne suis pas d’accord).

L*** commence à se lever et à faire quelques pas, donc à reprendre certaines de ses fonctions. De ce fait, ma tâche s’allège, et j’ai pu aujourd’hui consacrer quelques heures à SdeF...

 

Note du 29 décembre 2000 au sujet de Romain manuscrit : une phrase supplémentaire, en conclusion, a été retirée par la suite : « L’une d’elles est une petite rousse. Qu’il a surnommée La Rousse, précisément, qu’il connaît bien, qu’il aime bien, et à laquelle il pense souvent lorsque sa binette casse les mottes ». En outre, le texte s’achève à « en nombre important ». Ce qui signifie, et là ma surprise est grande, que j’ai rajouté le reste par la suite !...

 

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