Cest donc avec une certaine surprise qu’il le voit pénétrer dans la cuisine ce jour-là, essoufflé, agité, le pas précipité et nerveux, et le regarde s’asseoir (en bout de table, c’est-à-dire en lui faisant directement face : c’est sa place attitrée) sans un regard pour personne, sans même s’excuser de son retard, alors qu’il la ponctualité même – mais c’est un trait commun à toute la famille – et revient toujours de l’école en compagnie de son frère et qui cette fois l’a laissé revenir seul, son frère Serge qui inexplicablement boude et réclame tandis que la mère s’efforce de terminer au plus vite la préparation du repas dont on commence seulement à sentir les odeurs alors que, en temps ordinaire et à cette heure, le potage traditionnel est déjà consommé.

Il le regarde s’asseoir, et, avec une nette incrédulité, l’écoute à présent parler, écoute Firmin qui, le regard fixé sur un autre paysage que celui de la famille rassemblée – encore qu’il en manque deux membres, inexplicablement absents, inexplicablement en retard, et Aymar se perd dans les raisons qui ont pu ainsi détraquer cette journée –, laisse s’échapper un flot incontrôlé de mots et de paroles, hachés, bousculés, hâtifs ; un flot qui oblige chacun à suspendre son activité et, durant tout le récit que leur inflige l’enfant, à adopter la plus parfaite immobilité...