Malgré sa mine belle et fraîche, son regard bleu et doux, Gabin est un propre-à-rien, une graine de pourfendeur de cœurs et de dots, Nina le comprend aussitôt, le sait à l’instant même où son regard (à elle) s’est planté dans le sien afin d’en suivre et d’en admirer le velouté du délavé et la brillance de l’irisation. Elle le sait, et aussitôt pense à Sébastien, et en y pensant se met à le haïr, lui, Gabin, qui à sa place est entré et à sa place a pris le bras de Marcelle qui l’entraîne en direction du piano sans plus faire attention à elle qui n’a d’autre ressource que de rejoindre la cuisine où Agathe, sa mère, attend, la cuillère en suspend entre le bol et sa bouche d’où s’écoulent lentement quelques grumeaux de corn-flakes incomplètement mâchés.

Il est bientôt midi, et ce n’est pas fini. Aussi Nina s’active et achève au plus vite de lui faire prendre son petit déjeuner. Puis, après lui avoir sommairement essuyé et nettoyé le visage, recule d’un pas, et attend que de soi-même sa mère se lève, gagne le couloir, puis le séjour dont elle va bientôt occuper le piano.

Elle la suit, et ne peut s’empêcher de sourire à la vue de Gabin qui s’apprête, déjà melliflu dans les gestes et l’expression de la bouche, à s’avancer et à lui présenter ses hommages, et, stupéfait, se voit dédaigné, méprisé, et pire, ignoré : elle passe entre lui et Marcelle – Marcelle qui sait et s’est écartée – exactement comme s’il n’existait pas (et c’est un fait que pour elle il n’existe pas)...