Gabin, incrédule, suit du regard cette figure zombique qui s’assoit au piano et, les yeux éteints, entame derechef une gamme en ré mineur qui du haut au bas du clavier court, pour remonter aussitôt, de l’aigu au grave, puis du grave à l’aigu, et ainsi de suite avec une implacable régularité.
Il interroge Marcelle qui le rassure d’un sourire, lui fait comprendre de ne pas y prendre garde. Il n’en demeure pas moins inquiet, et vaguement contrarié, et comme s’il voulait appeler à lui un autre appui, ou confort, ou secours, il pivote et cherche Nina des yeux.
Nina est au téléphone. Elle appelle Amédée. Amédée est l’un de ses bons amis, en vérité son petit ami du moment ; c’est le fils d’un hautboïste à l’Orchestre de Paris qui lui-même est un bon ami de Sébastien. Amédée est affable, courtois, conciliant, élégant, sagace, prévenant et délicat. Il n’a qu’un seul défaut : il n’a absolument aucune mémoire.
« Tu as vu ton père aujourd’hui ?
– Mon père ?
– Oui, ton père.
– Ah oui, mon père... si je l’ai vu ?
– Oui, tu l’as vu aujourd’hui ?...