
Après-midi bruxelloise par un temps remarquable,
véritablement estival. Nous sommes revenus avec beaucoup de livres, surtout Éléonore,
et parmi les miens Sang réservé de Mann, que je viens d'achever et sous
le choc duquel je me trouve encore. Grasset, sans copyright ni
achevé, même éditions que Le Bal
d'Irène Némirovsky (qui m'avait aussi laissé extrêmement songeur). Années
trente, vraisemblablement, et comme pour Le Bal, pas de mention d'un nom
de traducteur, et de la même manière – était-ce le même traducteur ?
ou sont-ce les accents du temps, je
veux dire celui d'alors ? –, ce ton, cette ambiance, et, au bout
du compte, cette écriture, dont je ne sais dire si c'est médiocre ou non (si je peux lui accorder de l'intérêt ou
non) ; mais du charme, oui, malgré – ou à cause
de – certaines tournures de phrases qui, vraisemblablement, sont dues
à une mauvaise traduction, mais qui, en même temps, laissent passer des traces
de la langue d'origine, l'allemand en l'occurrence (mais sans doute est-ce parce
que je connais l'allemand) ; et je ne sais si le choc dont je parlais est
imputable au texte lui-même (son intrigue, ses ressorts, ses personnages) ou à
la traduction qui maintient d'un bout à l'autre dans une zone de douce brume,
laisse perplexe, et de là, du fait de cette perplexité, curieux. Mais il y a le
texte, tout de même, très court, qui s'apparente davantage à la nouvelle qu'au
roman (ainsi la chute qui est bien le propre de la nouvelle, chute qui ne fait
qu'ajouter à la perplexité et à la sensation d'égarement). Aristocratie
allemande du début du siècle, un frère et une sœur, jumeaux, elle qui va
se marier, lui languissant, oisif. Et puis ce curieux repas où le prétendant
est présenté, puis la sortie à l'opéra, et une sorte de sensualité montante et vaporeuse, hésitante qui,
provenant des chanteurs (qui portent les mêmes prénoms – Siegling et
Siegmund ; sont-ce des noms de la mythologie teutonne ?),
gagne le frère aux côtés de sa sœur dans une loge, sensualité qui aboutira
dans leur rapprochement amoureux et, tout porte à le croire, dans l'amour qu'il
feront dans la chambre du frère. Et arrive l'étonnante chute, une fois l'amour
fait, et alors que la sœur s'exclame :
« Mais Beckerath, qu'est-ce qu'il devient dans tout
cela ? »
Beckerath, le promis, et le frère répond :
« Et bien, crois-tu que nous l'avons roulé, le Goy ! »
…