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Casanova n’a pas réécrit Ma fuite des Plombs, mais a conservé le texte original en y apportant des modifications, certaines assez amusantes, d’autres sans grande conséquence, les dernières très instructives et éclairantes… Le premier nombre est le numéro de page du texte d’origine, le second celui de ce qu’il est devenu dans Histoire de ma vie I

 

56 : « Je me voyais à la tête du peuple pour pulvériser le gouvernement et je ne pouvais pas me contenter d’ordonner à des bourreaux le carnage de mes oppresseurs ; mais c’était moi-même qui devait en faire le massacre. »

 

866 : « Il me paraissait d’être à la tête du peuple pour exterminer le gouvernement et pour massacrer les aristocrates ; tout devait être pulvérisé ; je ne me contentais pas d’ordonner à des bourreaux le carnage de mes oppresseurs, mais c’était moi-même qui devais en exécuter le massacre. »

 

57 : « [...] il avait servi sept autres prisonniers qui étaient détenus là-haut, chacun séparé, et dans l’impossibilité de tout commerce réciproque et d’avoir connaissance ni du nom ni de la qualité de ceux que le même malheur accablait. »

 

867 : « [...] il a servi sept autres prisonniers qui étaient retenus là-haut dans des cachots éloignés les uns des autres, pour leur empêcher toute communication. »

 

Conversation avec son geôlier, passage du style indirect au

dialogue dans Histoire de ma vie, avec ajout dans ce dernier :

 

58 : « Il me répondit qu’il fera ma commission, mais que j’avais tort de me moquer, puisque je devais sentir qu’on ne m’avait mis tout seul que pour me rendre la prison plus péni-ble. Il avait raison. »

 

868 : « – Je ferai votre commission, mais vous faites mal à vous moquer ainsi. – Je ne me moque pas, car il vaut mieux, ce me semble, être seul qu’avec les scélérats qui doivent être ici. – Comment Monsieur ! des scélérats ? J’en serais bien fâché. Il n’y a ici que d’honnêtes gens, qu’il faut cependant séparer de la société par des raisons que leurs seules Excellences savent. On vous a mis tout seul pour vous punir davantage, et vous voulez que je remercie de votre part ? – Je ne savais pas cela. Cet ignorant avait raison. »

 

 « La compagnie d’un assassin, d’un fou, d’un malade puant, d’un tigre, d’un ours est préférable à une solitude de cette espèce : elle désespère ; mais on ne peut le savoir qu’en ayant fait l’expérience. »

 

« Il désire l’enfer, s’il le croit, pour se voir en compagnie. Je suis parvenu là-dedans à désirer celle d’un assassin, d’un fou, d’un malade puant, d’un ours. La solitude sous les plombs désespère ; mais pour le savoir, il faut en avoir fait l’expé-rience. Si le prisonnier est un homme de lettres, qu’on lui donne une écritoire et du papier, et son malheur diminue de neuf dixièmes. »

 

Du pouvoir des ans sur les matières alimentaires :

 

59 : « [...] mais je n’ai pu avaler que du riz. »

 

868 : « [...] mais je n’ai pu avaler qu’un peu de soupe. »

 

Où il rapporte un voyage en Espagne qui l’a amené à visiter Agreda, qu’il retrouve

dans l’un des ouvrages qui lui ont été permis de lire sous les Plombs :

 

63 : « Un vieux prêtre me montra le lieu où sœur Marie avait écrit, dont le père, la mère et la sœur avaient tous été saints. »

 

870 : « Un vieux prêtre, qui conçut de moi la plus haute estime, d’abord que je l’ai interrogé sur l’existence de cette heureuse amie de la mère de son créateur, me montra le lieu même où elle avait écrit, m’assurant que le père, la mère et la sœur de la divine biographe avaient tous été saints. »

 

Passage concernant les rats, transformé

en dialogue dans Histoire de ma vie :

 

66 : « [...] il jeta hors du cachot les deux mauvais livres et me donna à leur place Boèce. Sans connaître cet auteur, j’en avais la plus grande idée, mais n’ai pu commencer à le lire que deux semaines après. Pour savoir ce qu’il vaut, il faut le lire dans la situation où j’étais. Personne ni avant ni après lui est parvenu à fournir un baume pareil aux esprits affligés. Senèque à côté de lui devient petit.

Plusieurs clystères d’eau d’orge me guérirent en huit jours de la fièvre et calmèrent l’autre cruelle incommodité, et huit jours après l’appétit vint. »

 

873 : « – Quelle misère ! J’ai dit à M. Cavalli qu’il a risqué de vous tuer avec ses livres, et il m’a dit de les lui rendre, et à leur place il vous donne Boèce. Le voici. – C’est un auteur qui vaut mieux que Senèque, et je vous remercie. – Je vous laisse une seringue et de l’eau d’orge ; amusez vous avec des clystè-res.

Il me fit quatre visites et il me tira d’affaires ; mon appétit revint. »

 

Il s’agit ici de Laurent, le geôlier (changement de point de vue ;

j’ajouterai qu’il y a « prier » dans « s’approprier ») :

 

68 : « [...] il se trouva mon débiteur de vingt-cinq à trente livres. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à employer cet argent à faire célébrer des messes selon mon intention. Il me remercia d’un style comme si c’eût été lui-même le prêtre qui devait les dire. En me voyant par cet acte de dévotion gratifié de la permission de cette courte promenade, où je me voyais debout, j’ai suivi à faire la même chose tous les mois ; mais je n’avais jamais vu la moindre quittance de prêtre qui aurait pu avoir reçu mes aumônes. Tout ce que mon gardien a pu faire de moins injuste fut de s’approprier mon argent et de prier Dieu pour moi lui-même. »

 

873 : « Il se trouva mon débiteur de vingt-cinq à trente livres qu’il ne m’était pas permis de mettre dans ma bourse. Je les lui ai laissées, lui disant de me faire célébrer des messes. Il me remercia d’un style comme si c’était lui-même le prêtre qui devait les dire. J’en ai usé ainsi tous les mois, et je n’ai jamais vu de quittances d’aucun prêtre ; il est certain que tout ce que Laurent put faire de moins injuste fut de s’approprier mon argent, et de dire mes messes lui-même au cabaret. »

 

Réflexions sur l’Inquisition, la justice, beaucoup plus étoffées dans Ma fuite.

Je me contenterai de quelques exemples, dont ce relevé, absent de Histoire de ma vie :

 

68 : « Tels étaient mes raisonnements et tels sont ceux de tous les prisonniers qui ne se sentent pas criminels. On se figure immanquable ce qu’on désire ; Arioste dit : il miser suol – dar facile credenza a quel che vuole [l’homme dans le malheur croit facilement ce qu’il désire], et Sénèque, dans une de ses tragédies, l’a dit encore plus élégamment : quod nimis miseri volunt – hoc facile credunt [ce que les mal-heureux désirent trop vivement, ils le croient volontiers]. »

 

 

Dans Histoire de ma vie, ces réflexions s’achèvent à :

 

 

873 : « Ceux qui les tiennent en vigueur sont des sénateurs choisis entre les plus qualifiés et reconnus pour les plus vertu-eux. »

 

Figure ici une note de bas de page qui apporte cette précision : « La page 1 267 du manuscrit est presque entièrement barrée, illisible. » Ne serait-ce pas celle qui correspond justement au texte d’origine qui se poursuit ainsi :

 

« Élus à couvrir ce poste éminent, ils doivent jurer de faire ce que les premiers instituteurs ont prescrits à ceux qui y président, et ils n’y manquent pas, quoique quelquefois en soupirant. Il n’y a que sept à huit ans que je fus témoin des soupirs d’un d’eux, très honnête homme, dans le cas qu’il dut faire étrangler sommairement un chef boute-feu qui mettait en alarme toute la ville de Muran. Ce sénateur, avec un cœur bon et un esprit juste, ne se croyait maître de rien. Il n’osait pas croire d’être inquisiteur d’État : il disait : je sers le tribunal ; je crois qu’il devait avoir une espèce de sentiment de vénération pour la table et pour les trois fauteuils qui le forment. Un fort désagrément que j’ai eu dans l’année 1782 m’a excité à une vengeance. Je me suis satisfait sans blesser les lois ; mais je me suis rendu ennemi de toute la noblesse qui a fait cause commune. Je lui ai donné volontairement un éternel adieu. Sans ce puissant motif, je n’aurais jamais eu la force de  m’éloigner de ma patrie ; car j’étais tant acoquiné, comme dit Montagne, à tous les gros plaisirs que l’homme peut s’y procurer que, peu différent d’un cochon, je croupissais délicieusement : et voilà comment les hommes font souvent du bien à quelqu’un sans l’intention de lui en faire. »

 

 

Casanova se fait de nouveau plus précis

et plus hardi dans ses réflexions :

 

« Je trouvais impossible qu’ils m’eussent condamné et écrit ma sentence, car, selon mon système, cela ne pouvait pas se faire sans me parler, sans me la communiquer : celui de la savoir en même temps que son crime est le droit incontestable de tout criminel, auquel notre religion nous dit que Dieu même devenu notre juge se soumettra dans le jour novissime. [...] Mon raisonnement n’avait pas lieu vis-à-vis des règles du tribunal qui se distingue de tous les tribunaux de la terre et qui ne fait pas profession d’une certaine politesse. Quand il procède contre un délinquant, il est déjà sûr qu’il l’est. Quel besoin a-t-il donc de lui parler ? Et quand il l’a condamné, quelle nécessité y a-t-il de lui donner la mauvaise nouvelle de la sentence ? Son consentement n’est pas nécessaire ; il vaut mieux, dit-on, de le laisser espérer ; si l’on lui en rendît compte, il ne resterait pas pour cela en prison une seule heure de moins. Celui qui est sage ne rend compte à personne de ses affaires, et juger et condamner sont les affaires du tribunal, dont le coupable ne doit pas se mêler. Je savais en partie ces usages ; mais il y a sur la terre des choses qu’on ne peut dire de bien savoir que lorsqu’on les sait par expérience. »

 

« Je trouvais impossible qu’ils eussent pu me condamner et écrire ma sentence sans me la communiquer, et m’en avoir dit la raison. Mon droit me paraissait incontestable, et je raisonnais ainsi en conséquence ; mais ce raisonnement n’avait pas lieu vis-à-vis des règles d’un tribunal qui se distingue de tous les tribunaux légaux de tous les gouvernements de la terre. [...] et les affaires du Tribunal vénitien ne sont que celles de juger et condamner ; le coupable est une machine qui n’a pas besoin de s’en mêler pour coopérer à la chose ; c’est un clou qui pour entrer dans une planche n’a besoin que des coups de marteau. »

 

Maggiorin, compagnon de cellule, lui raconte ses mésaventures et l’objet

de son incarcération ; la conclusion est différente dans Histoire de ma vie :

 

79 : « Il me demanda en pleurant s’il pouvait la regarder comme sa femme et je l’ai vu désespéré lorsque je lui ai dit qu’elle ne l’était pas. Il défendit sa cause vis-à-vis de moi par des lois tirées du code de la nature qui lui paraissaient saintes et toutes-puissantes, et je crois qu’il m’a supposé un peu fou lorsque je lui ai dit que la nature ne pouvait mener l’homme qu’à faire des sottises. »

 

879 : « Je crois, monsieur, que je peux considérer la jeune comtesse comme ma femme.

– Vous vous trompez.

– Mais la nature.

– La nature si on l’écoute mène l’homme à faire des sottises jusqu’à ce qu’on le mette sous les plombs.

– Je suis donc sous les plombs ?

– Comme moi.

Il commença à pleurer à chaudes larmes. »

 

De la multiplication du papier au fil du temps :

 

80 : « J’ai vu plusieurs vieux meubles jetés sur le plancher à droite et à gauche de deux caisses et devant un grand tas de cahiers. J’en ai pris cinq à six pour m’amuser à les lire. »

 

880 : « J’en ai pris dix à douze pour m’amuser à les lire. »

 

Puis la liste des accusations trouvées dans ces cahiers :

 

« C’étaient des procès, tous criminels, que j’ai trouvés très amusants : lecture pour moi d’une nouvelle espèce ; interro-gations suggestives, réponses singulières sur des séductions de vierges, des galanteries défendues vis-à-vis des gouver-neurs, des confesseurs, des maîtres d’école et des pupilles. »

 

« C’était des procès tous criminels dont j’ai trouvé la lecture très divertissante, car il m’était permis de lire ce qui dans son temps dut avoir été très secret. J’ai vu des réponses singulières à des interrogations suggestives sur des séductions de vierges, des galanteries poussées trop loin par des hommes employés à des conservatoires de filles [orphelinats], des faits vis-à-vis des confesseurs qui avaient abusé de leur pénitente, des maîtres d’école convaincus de pédérastie, et des tuteurs qui avaient trompé leurs pupilles. »

 

Où il fait l’impasse d’une explication :

 

81 : « J’ai su longtemps après qu’on a tenu là-dedans [autres prisons appelées les quatre] ce pauvre garçon cinq ans et qu’on l’a envoyé après à Cerigo, qui est l’ancienne Cythère, île appartenant à la République de Venise, située à la fin de l’Archipel, la plus éloignée de toutes les posses-sions du grand conseil. »

 

881 : « J’ai su longtemps après que le pauvre Maggiorin y est resté cinq ans, et qu’on l’a après envoyé à Cerigo pour dix. »

 

86 : « Mon nouveau venu était un homme de cinquante ans grand comme moi, un peu courbé, maigre, à grande bouche et longues dents, avec des petits yeux châtains, des longs sourcils rouges, une perruque ronde et noire et vêtu de gros drap gris. »

 

883 : « Mon nouveau venu était un homme de cinquante ans grand comme moi, un peu courbé, maigre, à grande bouche et longues dents sales ; il avait des petits yeux châtains, et des longs sourcils rouges, une perruque ronde et noire qui puait l’huile, et un habit de gros drap gris. »

 

Puis, mêmes pages, le dialogue de l’argent :

 

« Le gardien dit à cet homme qu’il avait mal fait à ne pas mettre dans sa poche de l’argent, puisque le secrétaire lui avait ordonné de ne lui porter que de l’eau et du pain de munition qu’on appelle biscotto. Mon homme soupira et ne répondit rien. Lorsque nous fûmes seuls, je lui ai dit qu’il mangerait avec moi et le vilain avare me baisa la main et me parla ainsi : [...]. »

 

« Le geôlier lui demanda ce qu’il voulait pour son dîner, et de l’argent pour l’acheter.

– Je n’ai pas d’argent.

– Un homme riche comme vous n’a pas d’argent ?

– Je n’ai pas le sou.

– Fort bien. Je m’en vais d’abord vous porter du biscuit de munition une livre et demie, et un pot d’eau excellente. C’est dans l’ordre.

Il le lui porta avant que de partir, et il me laissa avec ce spectre.

Je l’entends soupirer, il me fait pitié, et je romps le silence.

– Ne soupirez pas, monsieur, vous dînerez avec moi ; mais il me semble que vous ayez commis une grande faute en venant ici sans argent.

– J’en ai ; mais il ne faut pas le dire à ces harpies.

– Belle sagacité qui vous condamne au pain et à l’eau ! Puis-je vous demander si vous savez la raison de votre détention ? »

 

(Précision : dans Histoire de ma vie, les noms propres figurent en entier…)

 

91 : « Ce fut alors que j’ai reconnu la vérité du prover-be : guardati da colui che non ha letto che un libro solo. J’ai bien maudit Charon et les usuriers. »

 

886 : « [...]. Charon l’avait rendu athée, et il s’en vantait sans façon. »

92 : « Dans le fort de ma sensibilité, j’ai pardonné à mes oppresseurs et j’ai quasi abandonné le projet de m’enfuir, tant l’homme est bon, tant le malheur l’accable et l’avilit ; mais le sentiment excité par un moyen pareil devient faible peu de moments après son essor. »

 

886 : « [...] tant l’homme est pliant lorsque le malheur l’accable et l’avilit. »

 

95 : « C’est ainsi que Dieu me préparait le nécessaire à une fuite qui devait être admirable, mais non prodigieu-se. »

 

887 : « C’était ainsi que DIEU me préparait le nécessaire à une fuite qui devait être admirable sinon prodigieuse. »

 

100 : « Une efflorescence dartreuse, qui de temps en temps m’envahissait en me causant une très incommode démangeaison sur tout le corps, m’assaillit [...] »

 

890 : « J’avais eu une espèce de rougeole, qui après s’être desséchée m’avait laissé sur les bras des dartres qui me causaient une démangeaison qui m’incommodait ; »

 

105 : « Le lendemain, on lui porta un lit et du linge et à manger de la juiverie. »

 

892 : « Le lendemain on lui porta à manger de chez lui, et un lit. »

 

106 : « Je me suis diverti un jour à le convaincre que son vice dominant était l’avarice, au point qu’il ne tiendrait qu’aux inquisiteurs de le faire rester en prison pour toute sa vie s’ils eussent envie de se divertir en lui donnant de l’argent d’avance sous condition qu’il y resterait de bon gré pour un temps limité. Il tomba d’accord que pour une somme considérable il pourrait se résoudre à rester pour un peu de temps, mais que ce ne serait que pour se dédommager de ses pertes. Ce fut assez pour l’obliger à convenir que pour une plus grosse somme il renouvellerait la même condition au bout du terme convenu et, au lieu de se mortifier, il en a ri. »

 

893 : « Il ne voulait pas convenir d’être avare, et pour l’en convaincre je lui ai démontré un jour que si les Inquisiteurs d’État lui donnaient cent sequins par jour, en lui ouvrant en même temps la porte de la prison, il n’en sortirait plus pour ne pas perdre les cent sequins. Il dut en convenir, et il en rit. »

 

« Il était talmudiste comme tous les juifs qui existent aujourd’hui et il affectait de me faire voir qu’il était très attaché à sa religion en conséquence de son savoir. En examinant dans la suite de ma vie mon genre humain, j’ai vu que la plus grande partir des hommes croit que le plus essentiel de la religion est le cérémonial. »

 

« Il était Talmudiste, comme tous les Juifs qui existent aujourd’hui ; et il affectait de me faire voir qu’il était très attaché à sa religion en conséquence de son savoir. Étant fils d’un Rabbi il était docte dans le cérémonial ; mais en examinant dans la suite mon genre humain, j’ai vu que la plus grande partie des hommes croit que le plus essentiel de la religion consiste dans la discipline. »

 

107 : « Ce juif extrêmement gras ne sortait jamais de son lit et dans la nuit il lui arrivait de ne pouvoir pas dormir, tandis que je dormais assez bien. Il s’avisa une fois de me réveiller sur le plus beau de mon repos. Je lui ai demandé avec aigreur pourquoi il m’avait réveillé, et il me dit que, ne pouvant pas dormir, il me priait d’avoir la complaisance de causer avec lui, moyennant quoi il espérait qu’un doux sommeil viendrait à son secours. Surpris par un mouvement d’indignation, je ne lui ai pas répondu d’abord ; mais dès que je me suis trouvé en état de lui parler avec douceur, je lui ai dit que j’étais persuadé que son insomnie était un vrai tourment et que je le plaignais, mais qu’une autre fois que pour s’en soulager il s’aviserait de me priver du plus grand bien dont la nature me permettait de jouir dans le grand malheur qui m’accablait, je sortirais de mon lit pour aller l’étrangler. Il ne me répondit pas. Ce fut la dernière fois qu’il me joua ce tour. »

 

« Il s’avisa une fois de me réveiller sur le plus beau de mon repos.

– Eh bien par DIEU, lui dis-je, que voulez-vous ? Pourquoi m’avez-vous réveillé : si vous mourez je vous pardonne.

– Hélas ! mon cher ami, je ne peux pas dormir, ayez pitié de moi, et causons un peu.

– Et vous m’appelez cher ami ? Homme exécrable ! Je crois que votre insomnie est un vrai tourment, et je vous plains ; mais si une autre fois pour vous soulager de votre peine, vous vous aviserez de me priver du plus grand bien dont la nature me permet de jouir dans le grand malheur qui m’accable, je sortirai de mon lit pour venir vous étrangler.

– Pardonnez de grâce, et soyez sûr que je ne vous réveillerai plus à l’avenir. »

 

Puis visite du circospetto :

 

109 : « Le ministre du tribunal doit avoir employé toute sa force pour s’empêcher de rire en me voyant, car ma personne, habillée très galamment, échevelée, et avec une barbe noire de huit mois, avait de quoi faire rire le plus sérieux de tous les hommes. »

 

894 : « Avec ma barbe de huit mois, et un habit composé par l’amour fait pour les chaleurs du mois de juillet dans ce jour-là, où le froid était fort, j’étais un personnage qui devait exciter à rire, et non pas inspirer la pitié. Ce terrible froid me faisait trembler comme le bord de l’ombre causée par le soleil qui va se coucher, ce qui me déplaisait par la seule raison que le secrétaire pouvait croire que je tremblais de peur. »

 

111 : « Je me suis alors adressé avec beaucoup de dévotion au saint thaumaturge saint Antoine, dont j’avais visité le tombeau mille fois dans le temps de mes études à Padoue, mais j’ai aussi espéré en vain. »

 

896 : « [...] je me suis attaché à St-Antoine, qui fait, à ce qu’on dit à Padoue, treize miracles par jour ; mais en vain aussi. »

 

114 : « Les esprits forts qui disent que la prière ne sert à rien ne savent pas ce qu’ils disent : je sais qu’après avoir prié Dieu je me trouvais toujours plus fort. Il n’en faut pas davantage pour en reconnaître l’utilité. On prétend que cette augmentation de force soit un effet naturel de la matière rendue plus vigoureuse par la confiance qu’elle eut en sa prière et que cela se fait sans que Dieu s’en mêle. Je réponds qu’une fois qu’on admet Dieu, Dieu doit se mêler de tout. Ceux qui ont une religion ont bien des ressources que les incrédules n’ont pas. Les premiers y entendent peu, mais les derniers n’y comprennent absolument rien. »

 

897 : « [...] c’est assez pour en prouver l’utilité, soit que l’augmentation de vigueur vienne immédiatement de DIEU, soit qu’elle soit une conséquence physique de la confiance qu’on a en lui. »

 

Puis cette bizarrerie :

 

117 : « Ce fut lui qui dit le premier en me voyant : voilà C... [...]. »

 

899 : « Ce fut lui qui dit le premier en me voyant :

– Voilà Casanova. »

 

118 : « Plusieurs disaient que je m’étais fait chef d’une nouvelle religion et que les inquisiteurs d’État ne m’avaient fait enfermer qu’à la réquisition de l’inquisition ecclésiastique. Autres disaient que Madame L. M. avait fait persuader par le ch. A. Moc. le tribunal à me faire arrêter parce que je gâtais avec mes raisonnements ultra-mondains la bonne religion de ses trois fils, dont le premier est aujourd’hui P. de Saint-Marc et les deux autres membres à leur tour du C. des Dix. Quelques-uns disaient que le conseiller Ant. C., inquisiteur d’État lors de ma détention, et protecteur du théâtre de saint-Ange, m’avait fait enfermer en qualité de perturbateur du repos public, puisque je sifflais les comédies de l’abbé Chiari, lié à la clique du N. H. Marcant. Z., chef du parti de Goldoni. On assurait que si l’on ne m’eût pas fait enfermer, j’allais tuer le même abbé à Padoue. »

 

« On disait que j’étais chef d’une nouvelle religion ; d’autres disaient que Mme Memmo avait convaincu le Tribunal que j’enseignais l’athéisme à ses fils. On disait que M. Antonio Condulmer, Inquisiteur d’État, m’avait fait enfermer en qualité de perturbateur du repos public, puisque je sifflais les comédies de l’abbé Chiari ; et que je voulais aller exprès à Padoue pour le tuer. »

 

119 : « Pour ce qui regarde cet abbé, il était vrai que j’avais dit que je voulais aller à Padoue pour le tuer, mais le père Origo, illustre jésuite, m’avait calmé en m’insinuant que je pouvais me venger de ce qu’il m’avait ridiculisé dans un mauvais roman, mais pas autrement que comme il est permis de se venger à un bon chrétien. Il me dit d’aller faire publiquement son éloge dans les cafés où il était connu. J’ai suivi son conseil et j’ai trouvé la vengeance parfaite. D’abord tuer j’en avais dit du bien, tout le monde, en se moquant de mon éloge, prononçait contre lui des satires sanglantes. Je suis devenu l’admirateur de la pro-fonde politique du père Origo. »

 

« Pour ce qui regarde cet abbé, qui avait été jésuite, je lui avais pardonné. Le fameux père Origo, aussi jésuite, m’avait appris à me venger en disant du bien de lui dans les grandes compagnies. Mes éloges excitaient les assistants à pronon-cer des satires, et je me voyais vengé sans m’incommoder. »

 

120 : « Mais lorsqu’il me vit curieux de savoir par quelle malheureuse aventure je possédais sa chère compagnie, voilà ce qu’il n’eut aucune difficulté de me dire et que je crois de pouvoir publier au bout de trente-deux de silence : [...]. »

 

« Voilà l’histoire de sa détention comme il me l’a narrée lui-même : [...]. »

 

121 : « Je me suis d’abord rendu chez moi pour dormir jusqu’à vingt ; mais un homme me remit un billet  [...]. »

 

900 : « J’allais me coucher pour dormir jusqu’à vingt, lors-qu’un fante me remit un billet [...]. »

 

124 : « L’amour de la patrie devient un vrai fantôme devant l’esprit d’un homme en prison. »

 

902 : « L’amour de la patrie devient un vrai fantôme devant l’esprit d’un homme opprimé par elle. »

 

« Il était amoureux de Madame Ales... et il devait être heu-reux [...]. »

 

« Il était amoureux de Mme Alessandri qui avait été chan-teuse et qui était maîtresse ou épouse de son ami Martinengo, et il devait être heureux [...]. »

 

« Il soupirait, les larmes sortaient de ses yeux malgré lui et, obligé à convenir que ce qui le faisait gémir était quelque malheur qui n’existerait pas sans la prison, il m’avoua qu’il aimait et me dit que l’objet de sa flamme était l’assemblage de toutes les vertus, ce qui ne permettait pas à son ardeur d’aller au-delà des bornes du respect le plus profond. »

 

« Il soupirait, les larmes sortaient de ses yeux, et il conve-nait qu’il aimait une femme qui assemblait en elle toutes les vertus. »

 

« Il n’est même pas vrai que l’amour ne soit que bagatelle. Je me suis plusieurs fois félicité là dedans de ce que je n’étais pas amoureux et ma dernière pensée fut celle de la fille avec laquelle je devais aller déjeuner à sainte Anne le jour de ma capture. »

 

« Il n’est même pas vrai que l’amour ne soit que bagatel-le. »

 

125 : « Le moindre de mes doutes sur cet article m’au-rait rendu coupable d’une insulte. »

 

« [...] le moindre de mes doutes aurait insulté sa belle âme. »

 

« Un quart d’heure après il reparut, fit emporter tout ce qui appartenait à cet aimable homme et me renferma. J’ai passé toute la journée fort triste, sans rien faire et même sans pouvoir lire. »

 

« Laurent parut, descendit avec lui, et reparut un quart d’heure après pour emporter tout ce qui appartenait à cet aimable homme. »

 

126 : « [...] mais en même temps, j’ai vu, très peu distante du même petit trou qui n’était pas plus grand qu’une goutte de cire, [...]. »

 

« [...] qui n’était pas plus grand qu’une mouche [...]. »

 

« Après l’ampliation, un second petit trou du même cali-bre, que j’ai fait et où j’ai mis l’œil, me fit voir mon ouvrage, Dieu merci, réduit à sa perfection. »

 

903 : « Après l’ampliation, un second petit trou du même calibre me fit voir que DIEU avait béni mon ouvrage. »

 

« J’ai bouché les petits trous pour empêcher que les petits fragments ne tombent dans la chambre [...]. »

 

« [...] ne tombassent [...]. »

 

127 : « La journée du vingt-cinq, à midi, il m’arriva ce qui me fait frissonner encore dans ce moment où je vais l’écrire. »

 

« [...] où je l’écris [...]. »

 

(La page 129 marque la fin de la première partie de Ma Fuite... Dans Histoire de ma vie, Casanova clôturera son chapitre douze lignes plus loin, clôture un peu bancale. Pourquoi n’y a-t-il pas concordance ?)

 

132 : « Je me tenais sur mon fauteuil comme un homme stupéfait [...]. »

 

905 : « [...] exstupéfait [...]. » (Italianisme. Pourquoi cette « mauvaise » correction ?)

 

On le change de cellule

alors qu’il était prêt à s’évader :

 

« [...] mais en même temps j’accusais la punition de trop de sévérité, puisque je n’avais différé de trois jours que par prudente précaution. »

 

« Il était vrai que j’aurais pu descendre trois jours plus tôt mais il ne me paraissait pas de mériter une pareille punition pour avoir différé en grâce de la plus prudente de toutes les précautions ; et adoptant une précaution qui m’était prescrite par une prévoyance, qui au contraire méritait récompense, puisque si j’avais dû suivre toute mon impatience naturelle j’aurais bravé tous les dangers. »

 

133 : « [...] je tâchais de me mettre dans un état assez tranquille pour souffrir sans lâcheté tout ce qui pouvait m’arriver de plus horrible. »

 

906 : « [...] je tâchais de me mettre dans un état de tranquillité fait pour résister à tout ce qui pouvait m’arriver de désagréable. »

 

« Tous les juges de la terre ont toujours cru qu’en laissant la vie à celui qui a mérité la mort on lui accorde une grâce, quelle que soit l’horreur de la prison qu’on lui substitue. »

 

 « […] Il me semble que ce puisse être une grâce que paraissant telle au coupable, mais ils la lui font sans le consulter. Elle devient injustice. »

 

134 : « [...] puisque des rats de mer, plus grands que ceux que j’ai connus à la poutre, iraient le lui arracher des mains. »

 

906 : « [...] des rats de mer fort gros iraient le lui arracher des mains. »

 

« Cet infâme était dans le même temps l’espion du grand vizir. »

 

907 : « […] Ayant été reconnu coupable de ce double espionnage il mérita la mort, et il est certain que l’envoyant mourir dans les puits on lui fit grâce ; et c’est si vrai qu’il y vécut trente-sept ans. Il ne peut que s’être ennuyé et avoir eu toujours faim. Il peut avoir dit : Dum vita superest bene est. Mais les prisons que j’ai vues à Spilberg en Moravie, où la clémence mettait des coupables de mort, et où le scélérat ne pouvait jamais parvenir à y résister un an sont telles que la mort qu’elles causent Siculi non invenere tyranni. »

 

134 : « Dans un endroit où on se nourrit d’espérances chimériques on doit aussi avoir des craintes extrêmes. »

 

908 : « Dans un endroit où le malheureux se nourrit d’espérances chimériques, il doit aussi avoir des craintes paniques déraisonnées. »

 

136 : « [...] en me trouvant encore possesseur de mon verrou, j’ai poursuivi à y compter dessus, sans avoir cependant dans ma tête aucun projet. »

 

908 : « Me trouvant encore possesseur de mon verrou, j’ai adoré la Providence, et j’ai vu que je pouvais encore y compter dessus pour le rendre l’instrument de ma fuite. » (Pourquoi « Providence » plutôt que Dieu ?)

 

138 : « [...] je me sentais mourir d’inanition et réellement j’allais succomber. »

 

909 : « [...] je me sentais mourir d’inanition. »

 

140 : « [...] je fus alors convaincu que son propre intérêt le forçait à tenir caché au ministre du tribunal ce que j’avais fait. Le petit vent qui soufflait tous les jours, et qui toujours à la même heure entrait chez moi, me rendit la force et l’appétit.

J’ai ordonné à Laurent [...]. »

 

910 : « J’ai alors connu que son propre intérêt le força à ne rien dire au ministre de tout ce que j’avais fait.

J’avais ordonné à Laurent [...]. »

 

141 : « J’en ai fait d’abord six autres et, n’ayant pas de crayon, je me suis servi du suc de mûres noires au lieu d’encre et m’ayant laissé croître l’ongle du petit doigt de ma main droite pour me polir les oreilles, j’y ai fait une pointe et je m’en suis servi comme d’une excellente plume, en mettant le petit doigt entre le pouce et l’index. Enchanté de ma belle invention, j’ai fait le catalogue des livres que j’avais [...]. »

 

911 : « J’en ai fait d’abord six autres. J’avais laissé croître l’ongle de mon petit doigts de la main droite pour me nettoyer l’oreille, je l’ai coupé en pointe, et j’en ai fait une plume, et au lieu d’encre je me suis servi du suc de mûres noires, et j’ai écrit mes six vers sur le même papier. Outre cela j’ai écrit le catalogue des livres que j’avais [...]. »

 

Dans Histoire de ma vie, une note à latet

précise : « Caché ; rayé : quaere : cherchez !)…

 

« Sur le même livre, là où l’on écrit le titre, j’ai écrit : later, quere. »

 

« Au dos du même livre là où l’on met le titre j’ai écrit latet. »

 

« Laurent me porta sur-le-champ le second tome de Wolff. Il me dit que la personne n’avait pas voulu différer pour me faire un si petit plaisir. J’en fus fâché, car je désirais une réponse.

D’abord que je fus seul, j’ai ouvert le livre et j’y ai trouvé une courte lettre en latin sur laquelle j’ai lu : [...]. »

 

« Il me porta sur-le-champ le second tome.

Un billet volant entre les feuilles du livre, écrit en latin, parlait ainsi : […] »

 

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