2007
*
13 janvier
Hier, Laurent au Blockhouse pour une troisième version de ? (le titre m'échappe tout à coup). Je reporte mes commentaires, mais je relève tout de même que Ling Ti-Ping était nettement plus inspirée que la fois précédente*… Je n’avais pas pris mon sac à son, ça m’avait permis d’être plus attentif ; il n’empêche, je ne sais toujours que penser de ce genre de « prestation » en grande partie improvisée. Il y a eu de beaux moments, mais brefs, et c’est sans doute ce qui ne va pas : c’est un ensemble dont je ne peux extraire que des moments. Qu’est-ce qui, en vérité, justifie, conduit le tout ? Je leur « reproche » de même une certaine gravité, presque convenue qui, à mon avis, nuit. Je ne vois pas pourquoi cela doit être grave, forcément. Ça mériterait d’être plus léger, cela mériterait un sourire, ou un éclair dans les yeux, de l’humour…
* je n’ai pas le souvenir de cette prestation (note du 13 novembre 2021)
3 février
Pas de nouvelles depuis quand ? Le journal ne me semble plus apparaître dans mon esprit et dans ma vie que comme une vague brume ou une tache sur la rétine à laquelle je me serais habitué sans chercher à la chasser (qu’est-ce que ça veut dire ?). Depuis quand ?
5 mars
Le compte du Lys est bourré à craquer au point que je ne sais comment utiliser cet argent. À ce propos, je n’ai rien dit de la nouvelle traduction arrivée il y a deux jours « concernant » un documentaire (les mots et formules à bannir de mon vocabulaire : « concernant », « en ce qui concerne », « en matière », « en termes de », « quant à », « au niveau de »). Ça s’intitule Gold Dreams ou de l’histoire de la non qualification de l’équipe de foot de Palestine lors du dernier championnat du monde. C’est Laura qui m’a envoyé cela, à faire de toute urgence, asap (et voilà bien le problème, le fond de tout : l’urgence, les délais, asap, « as soon as possible », c’est-à-dire ce qui constitue la base – à bannir également : « base » – du travail d’Éléonore, qui, du reste, m’a permis de vivre cette expérience unique* : travailler constamment dans l’urgence, et j’ai écrit à Laurent : « il faut être fou pour vivre de cette façon-là, et je crois bien qu’il y a une part de folie » – mais lui aussi vit de cette manière-là). Il s’agissait des sous-titres en anglais qu’il fallait traduire en français, sans les images, merci. J’ai fait comme j’ai pu, c’est bien payé. Je peux employer une partie de cet argent à La Barge et au premier numéro du Journal musical encore que je n’aie pas de nouvelles de Léo au sujet de l’illustration…
* Éléonore est traductrice professionnelle et c’est par elle que transitent les traductions qui me sont confiées, en l’occurrence une énorme qui m’avait tenu dans un état constant de fièvre et de tension pendant près de deux mois – mais avait renfloué le compte du Lys (note du 13 novembre 2021)
19 mars
En avril, je sors La Barge et le premier numéro du Journal musical…
21 mars
J’ai boycotté Laurent à Bruxelles, j’ai boycotté les deux Japonaises rue du Cirque, j’ai boycotté Horace rue de Gand, j’ai boycotté Antek à Tourcoing, j’ai boycotté Cécile et Thierry au Biplan. Je suis allé à St Omer, je vais aller à la Renaissance. Je vais boycotter Horace à Douchy, je vais aller à la Renaissance…
22 mars
Concert de Laurent chez Léo pour célébrer le printemps… Comment aurais-je pu penser que V. y serait ? Je n’en revenais pas. Elle était comme tombée tout à coup devant moi. Il y avait du monde, je me faufilais à la suite d’Éléonore, avais les bras chargés, parapluie, sac à son, un sachet. Une voix m’a dit bonsoir, j’ai levé les yeux, elle était devant moi, je n’en revenais pas. Elle m’a dit : « je sais que j’ai vieilli », moi comme dans un rêve : « mais pourquoi dis-tu ça ? » et elle : « cela fait dix ans ». De quoi parlait-elle ? pourquoi disait-elle cela, pourquoi ces mots si étranges, et pourquoi dix ans ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Ça a été tout, j’ai continué mon chemin jusque dans la seconde pièce, ai salué diverses personnes, mais je les ai à peine vues, j’étais bouleversé, retourné. Pourquoi Léo avait-il eu la stupide idée de l’inviter ? Et puis, j’ai vu son père. Lorsque j’ai de nouveau tourné la tête, elle était dans la seconde pièce avec lui, et Léo. J’étais contre la bibliothèque, déposais tant bien que mal mes affaires, préparais le matériel pour l’enregistrement, répondais à Laurent sans l’entendre ni m’entendre. Mon cœur battait. De temps à autre, je tournais la tête vers elle, la voyais en pleine lumière à la différence de la fois précédente (deux ans, pas dix !) où elle était restée dans la pénombre, ce soir miraculeux où je nous avais enregistrés. Elle irradiait, était splendide. Et j’ai achevé les préparatifs de l’enregistrement, le concert a commencé, je l’ai perdue de vue. Où était-elle ? Je ne les voyais plus, elle, son père. Puis je l’ai vue au bord de la scène, assise à même le sol, les jambes pliées, les bras les entourant. Le concert s’est déroulé, c’est à peine si je l’ai entendu. Il allait s’achever à un moment ou un autre, et à ce moment-là, qu’allait-il se passer ?...
27 mars
Il y avait un concert à la maison folie de Moulins, Tricotépied. Laurent y jouait, ainsi qu’Igor, Anatole et Sakina. Je suis arrivé in extremis. Ça se passait dans la salle dite « Gde Cuve », petites tables rondes à nappe blanche, bougies sur les tables, éclairage feutré et étudié (le nombre important d’enfants m’a fait croire durant un instant que le concert leur était réservé). Ils sont sept (formation de jazz de type Vienna Art Orchestra). Ça a été un rare moment de musique. Je suis ensuite allé chez Léo pour une réunion organisée par Sylvette pour la présentation de son projet de film consacré à la sirène à partir de prises faites par « Tatache ». Ébauche : une quinzaine de minutes regardées sur le Mac de Léo, de la fabrication jusqu’à la mise à l’eau dans le bassin, le tout construit à la Haneke. Elle projette d’ajouter d’autres images pour atteindre les vingt-six minutes réglementaires et m’a demandé de faire la musique en remplacement de celle de Satie, provisoire, qui pourtant m’a semblé adaptée. J’ai accepté. S’en est suivie l’inévitable séance « scout », guitare et compagnie, qu’affectionne Sylvette et qui commence à m’indisposer. Elle a beaucoup insisté pour que je joue quelque chose à la guitare, Éléonore l’a épaulée, j’ai refusé. Sur la route du retour, elle m’a dit qu’elle ne comprenait pas mon comportement et en a été déçue…
30 mars
Je suis passé à la Renaissance, Léo m’a montré ce qu’il avait réalisé pour le premier numéro du Journal musical. Magnifique. Visages caricaturaux en blanc sur fond noir (« à la Cabu », dixit Jacques, c’est vrai, il y a de ça), c’est-à-dire ceux des personnages de la Rue concernés par ce premier numéro. Je l’édite en avril. Enfin !...
5 avril
J’ai réécouté la totalité des pièces du premier numéro du Journal musical après avoir imprimé les livrets. Les bonnes pièces parviennent à racheter les mauvaises pour aboutir à un équilibre d’ensemble potable. Voilà le mot : potable. Certaines pièces me semblent ne plus avoir le moindre intérêt, Rémi est mal fait, presque risible. Mais il y a un projet de départ qui doit être respecté. (Doit-il vraiment être respecté ?) Il n’empêche que toutes mes raisons ne servent à rien puisque ça paraîtra, puisqu’il faut bien que cela paraisse…
11 avril
Je suis à la maison jusqu’à mardi, le prétexte de la maladie me permettra de souffler un peu et d’achever mon travail : Lustre II, l’impression de La Barge, l’enregistrement du premier numéro du Journal musical…
16 avril
Je me suis levé tôt pour conduire Éléonore à la gare. Au retour, je me suis mis à Lustre II, ultimes corrections après la lecture qu’elle en avait faite. Puis le Journal musical I, ultime préparation et vérification avant la maquette finale – je pensais l’écouter en bas, mais Douchka était rentrée et regardait la télé. J’en ai un peu assez de sa présence à la maison*…
* nous l’avions recueillie après son divorce et avant qu’elle n’ait les clefs de la maison qu’elle venait de s’acheter ; elle est restée quatre mois (note du 12 novembre 2021)
17 avril
J’ai écouté les pièces du deuxième numéro du Journal musical, par ordre alphabétique, y ai pris un certain plaisir tout en m’étonnant du souffle très important de la majorité d’entre elles…
19 avril
Je ne peux me résoudre à aller me coucher sans avoir achevé la lecture de La Barge. Je suis enchanté, ai hâte que ça soit publié. Il y a une faiblesse au milieu (notamment la disparition de Léo prématurée, et une certaine maladresse dans le déroulement de l’intrigue), mais j’adore les trente dernières pages. Je pense que c’est un beau texte. Alors que je tâchais de trouver le sommeil, je pensais à ce qui séparait ce texte de fiction pure et toute la production de Journals. La différence, c’est la construction. Construire. Journals ne construit rien et l’écriture est pauvre. Il n’y avait rien et La Barge s’est construite ; il y a moi et de moi je fais Journals. Ce n’est pas une véritable construction…
22 avril
À la table du séjour, j’ai agrafé et plié Lustre II imprimé hier. J’ai alors constaté une curieuse anomalie : une différence de quelques millimètres entre la marge gauche et celle de droite alors que les épreuves sont parfaites. Tout le texte est décalé sur la gauche et le plus étrange c’est que, après agrafage, le centrage général n’est pas affecté. J’ai du moins fait un essai sur un exemplaire. Je verrai ce qu’il en est demain avec le massicot de Copy-Top. Je me suis ensuite attelé à Lustre III ; je constate qu’à l’exception de la mise à l’eau de la sirène, il n’y a rien de très excitant ; à l’inverse, mars 2007 est très fourni, à ce point que je me demande si le devoir de vacance ne va pas se faire grignoter avant d’être avalé par le journal actuel. Je remarque en outre, je l’avais déjà constaté, un décalage entre le rapport détaillé écrit et lu ; c’est-à-dire que ce qui me semble complètement inintéressant à l’écrit se révèle le plus attractif à la lecture quelques mois plus tard. C’est ce qui concerne en général le détail d’une journée, et plus précisément ce qui touche à la maison (c’est sans doute ce qui a fait dire à Jacques que la maison prenait dans les journals, et plus précisément dans Lustre I une place étonnante). C’est ce qui se produit avec mars 2007, et j’ai envie de conserver ces rapports-là. Et une nouvelle fois va se poser la question de la justesse et de la place. La justesse : dois-je me conformer absolument au contrat de départ pour Lustre ? La place : comment vais-je pouvoir tout mettre dans les trente pages imparties pour Lustre III ?...
28 avril
Massicottage de Lustre II. J’ai renoncé à celui du livret du Journal musical lorsque j’ai constaté que le massicot, de plus en plus poussif, coupait légèrement de biais. Je serai quitte à le faire à la main. Par contre, ça va poser un problème pour les couvertures et surtout l’impression de Léo… Au retour, enveloppes, dédicaces, mise sous enveloppes, tout est prêt à partir. Je constate que bon nombre de lecteurs se font tirer la patte pour payer. Vais-je devoir les rayer, et si oui, pour combien de personnes vais-je publier ? Je n’ose faire le compte…
29 avril
J’ai passé trois heures devant la machine 1 de Copy-Top dans la chaleur, le bruit des machines et l’affluence. Tout cela pour me rendre compte que de une, j’avais commencé par tirer cent-vingt exemplaires et non soixante comme prévu, et de deux, qu’il y a un décalage important sur certaines des pages, décalage que rien n’explique. Je vérifierai demain si cela change quelque chose au plan de coupe. En outre, je ne pourrai me servir du massicot. J’ai décidé d’oublier Léo pour me consacrer au Journal musical 1 que je sortirai le mois prochain. Lustre II est dans la boîte aux lettres de la poste…
4 mai
Dans la nuit, j’ai réécouté et sélectionné les prises pour Fête-Dieu, Zita et ND du Carmel. Zita avec la voix de Cécile m’a remué. J’en ai sélectionné trois, avec un montage pour ND du Carmel… Réenregistrement d’Habib et Irène II « corrompus » à partir des bandes originales. Le souffle de la copie est énorme, anormal. Je n’avais pas vérifié et la présence de Douchka qui dormait m’a empêché, à deux heures du matin, à mettre en route le Revox pour vérification*. Il est temps qu’elle s’en aille. J’en ai assez. Cela fait plus de trois mois qu’elle est là et sa présence m’insupporte…
* sa chambre était à côté de mon bureau (note du 12 novembre 2021)
5 mai
L’énigme du souffle n’est toujours pas résolue. J’ai écouté les originaux sur le Revox. Le souffle est important pour Irène, mais sans commune mesure avec ce que j’obtiens sur le laptop. Nouvel essai avec le casque branché sur le laptop. Je m’aperçois alors que le souffle provient du branchement. Je cherche la cause sans la trouver. Je branche sur le minidisque : pas de souffle. Je branche sur le laptop : souffle. Me vient alors l’idée d’enregistrer une copie sur le minidisque que je copierai ensuite sur le laptop puisque le branchement minidisque laptop ne pose pas de problèmes. C’est ce que j’ai fait pour Irène qui est nettement meilleure de cette manière. Mais pas pour Habib. Mystère. Ça n’explique pas d’où provient ce souffle inexistant, lorsque j’ai fait d’autres copies à partir du Revox, des pièces du Journal musical, des émissions de radio. Mystère…
7 mai
J’ai passé la journée d’hier à essayer de résoudre le problème du souffle des pièces réenregistrées sur le laptop. J’ai fait une écoute du CD enregistré il y a une dizaine de jours (me laisser un peu de recul, alors que j’avais pensé la faire sur la chaîne d’en bas, de meilleure qualité, mais comment trouver une heure de solitude et de silence depuis que Laura est à la maison ?) : un souffle énorme sur ces pièces (Honorine, Tatiana, Blaise) que je ne m’explique toujours pas, notamment sur un canal. Je les ai réenregistrées à partir des originaux sur le minidisque après avoir constaté qu’il était impossible d’extraire les pièces des CD de sauvegarde que j’avais effectués. Ces copies portent l’extension cda et non wave. Pourquoi ? Et pourquoi n’est-il pas possible de les extraire ? Copie sur minidisque, donc, puis copie sur le laptop. Le souffle disparaît, n’existe que celui d’origine légèrement accentué, mais que j’ai pu éliminer par filtrage. Cette fois, je peux considérer les pièces comme prêtes. Je ferai un dernier essai avant de passer à la gravure (gravage ?) définitive…
8 mai
J’ai réenregistré Jean de Dieu et Olive, ai fait une écoute au casque du tout avant de graver. Je viens de faire un survol sur baffles avant une réécoute définitive au calme et sur la chaîne du bas. Le souffle des pièces analogiques est infime, le niveau d’ensemble est correct et je pense que c’est achevé et que je peux passer à la réalisation finale. Je pense que pour toutes les pièces sur bande, je vais devoir effectuer un nouvel enregistrement. Blaise, notamment y a nettement gagné. Parallèlement, j’ai poursuivi la tâche laborieuse de la découpe des livrets à la main. Je pourrai dire, pour cette édition, que j’ai effectivement tout fait à la main…
13 mai
Nouvelle écoute du Journal musical 1 sur la chaîne du bas : souffle important à Clotilde et Gwladys. Il faut aussi que je raccourcisse Rosine. Ce n’est donc pas encore fini. En même temps, je suis comme atteint de paresse face à ce premier numéro. Mais, en vérité, ce n’est pas vraiment de la paresse. Je sais simplement que j’ai le temps, qu’il n’y a aucune urgence…
26 mai
Je travaille à une nouvelle traduction (pas inintéressante pour une fois) tandis que le graveur fait son office : il grave. Il grave à la chaîne le premier numéro du Journal musical que je me suis enfin décidé à lancer après une ultime écoute effectuée il y a deux jours au bureau. Un peu de souffle par-ci par-là, que j’aurais pu corriger, mais j’en ai assez, il faut mettre un point. C’est fait…
J’alterne traduction et gravure avant collage de l’étiquette. J’ai commencé à couper les livrets à la mesure du boîtier. Quelques exemplaires sont définitivement prêts. Le premier est allé à Éléonore qui n’a même pas pris la peine de l’ouvrir ; elle a d’autres choses en tête, mais tout de même. À ce propos, Douchka signe lundi. Elle l’a su avant-hier. Depuis, elle fait la gueule à la perspective de quitter la maison et de se retrouver seule dans la sienne. Laura lui a demandé quand elle emménageait. « La semaine, je peux pas parce que je travaille. Je crois que je vais commencer à déménager dimanche prochain. » Au rythme d’une cuillère ou d’un pot de fleurs par semaine, elle sera encore ici l’année prochaine…
M’est venue l’idée de proposer une souscription pour le Journal musical. Au départ, je pensais en envoyer gracieusement des exemplaires à des non abonnés, que tout le monde en profite. De là l’idée de la souscription. J’ai constitué un bulletin spécial. J’y déclare que je me donne cinq ans pour achever la totalité sous peine de rembourser…
30 mai
Hier, soirée Blockhouse. Motifs et bouches cousues, avec l’adjonction de Laszro (j’ai oublié son prénom, Denis, il me semble). « Systématique » m’est venu à plusieurs reprises à l’esprit : les musiciens, le lieu, le public, la musique. Surtout la musique, improvisée, comme il se doit. Trois pièces. Quatuor en ensemble face à l’écran du laptop de Laurent. Puis une projection avec dissémination des musiciens dans la salle, film pour le moins étrange, jeu de petites barres, de motifs divers sur quatre carrés de couleurs ; je ne suis pas sûr d’avoir compris, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai trouvé cela pauvre, infiniment pauvre. J’ai appris par la suite que Laurent en était l’auteur ; j’ai jugé bon de ne faire aucune remarque. Troisième pièce, retour de l’ensemble sur la scène… Musique improvisée. Expérience, expérimentation, laboratoire, recherche. Je sais à quoi m’attendre, et, dans une certaine mesure, il n’y a pas de surprise (ou plus de surprise). Je l’attends, pourtant. Je n’y suis, en définitive, que pour cela : la surprise. L’éclat, l’inédit, l’inouï. Quelque chose va peut-être surgir, ou simplement se dessiner. Tout dépendra du temps, des circonstances, de l’état d’esprit, de l’humeur, du bon vouloir de chacun ; dépendra aussi des qualités, des capacités, de la sensibilité des musiciens. Beaucoup de paramètres sont jetés en l’air comme des pièces, ou comme des cartes étalées (mah-jong) sur une table dont on extraira certaines et desquelles on tirera une vue. Elle sera surprenante ou pas. Hasard, aléatoire, chance (mais la chance n’existe pas). On peut essayer de tracer des lignes à l’avance, de poser un cadre, de structurer un tant soit peu, il n’en reste pas moins que l’on est dans le domaine du hasard. Laurent m’a demandé si ça m’avait plu. J’ai dit « oui », sans précision, sans un développement qui aurait été nécessaire, mais que je n’ai pas fait faute de clarté, à ce moment-là, dans mon esprit. Mais je mentais. Non, je ne mentais pas, car le mensonge aurait consisté à dire que ça m’avait déplu. De toute manière, la question ne se pose pas ainsi. Plaire, pas plaire. Il ne s’agit pas de cela. Ce dont il s’agit, c’est de savoir si tout cela a vraiment un sens. Lorsque l’un d’entre eux tire un son qui me fait penser à certaine pièce de Levinas, je me dis que Levinas utilise ce son pour en faire une pièce, tandis que là le son se perd, faute, dirais-je, d’un maître (le marteau ?). C’est-à-dire, quelque chose, quelqu’un qui sache le saisir, l’attraper (au lasso) pour le maîtriser, l’enchaîner, le dompter. (Mais tout l’intérêt résiderait peut-être dans le fait de laisser la totale liberté au son. Peut-être.) C’est peut-être là le gros problème (si tant est que problème il y ait) : celui de la perdition, de la perte. J’avais écrit, après le concert de l’année dernière (voir Lustre III) qu’en définitive il fallait que la musique improvisée ne laisse aucune trace. Hier, alors que l’appareil enregistrait, je me demandais s’il ne serait pas intéressant de constituer une pièce de cet enregistrement, c’est-à-dire procéder comme je le fais pour mes propres pièces (le Journal musical, par exemple). Je vais tenter l’expérience…
Ce que j’écoute à présent, pour la troisième fois, tout en écrivant, va à l’encontre de ce que j’ai écrit dans Lustre III : cette fois, je n’ai pas besoin de l’image, ma perception est différente et cette écoute différée me plaît davantage que celle en direct d’hier…
Une chose, en général : l’austérité. C’est extrêmement austère. Davantage : dur. La fantaisie, la légèreté, voire l’humour, sont rares (comme repoussées, proscrites)… C’est très sérieux…
1er juin
Mylène, ce matin, m’a dit qu’elle avait écouté les douze premières pièces du Journal musical et à quel point ça lui avait fait du bien ; elle m’a parlé de l’effet que cette écoute avait produit sur elle, parlé de « coup de jeunesse » (je me suis demandé s’il n’y avait pas dans cette musique quelque chose de « daté » qui m’aurait échappé). Ce qu’elle voulait dire, c’est une impression d’un « saut dans le passé », ou pour le moins « d’avoir rajeuni ». Il ne lui a pas échappé que c’était en partie lié à moi, et aussi d’entendre la voix de Lilas. Il n’empêche, elle ne s’explique pas cet effet. Ni moi. J’attends avec impatience d’autres réactions…
4 juin
J’ai à côté de moi, le Bulletin 1 de Journals, c’est-à-dire la toute première édition, que j’ai ressortie en pensant à tous les commentaires liés à l’élaboration de ce que j’appelais à l’époque le « projet ». Ils pourraient m’être utiles pour la constitution du Journal du journal musical…
7 juin
Omer a « souscrit » au Journal musical. Je n’en attendais pas moins de lui. Je m’étonne qu’Hermès ne l’ait pas encore fait. Sinon, pas de réaction. Il y a deux jours, Laurent m’a dit qu’il avait commencé à écouter. Depuis rien…
(J’ai réécouté avec grand plaisir l’enregistrement de la performance d’Orio à la maison folie de Wazemmes en décembre 2004 ; je songe à en faire un CD…)
10 juin
Le Poulailler est un ancien corps de ferme réhabilité et aménagé en habitation. L’une des parties a été transformée en galerie... De l’herbe, des arbres, des volets de couleur, un intérieur rustique du temps d’Illiers, un petit bar. C’est champêtre, apaisant. Laurence y expose, série de dessins petit format, délicats, colorés, sentis, très beaux. Laurent se produisait avec le Quatuor Bioman pour une reprise du menuet de Mozart, dans le jardin, sous un arbre séculaire, puis un double duo, chacun à une extrémité de la cour. J’ai enregistré et viens d’écouter et de copier. C’est très réussi, tant l’enregistrement que la prestation. Puis nous avons attendu la tombée de la nuit pour une performance de Furtives Figures, Laurence et Laurent, elle et ses projections, lui dans la construction d’écrans aléatoires à l’aide de tiges de bambous et de draps. Comme je l’ai écrit à Laurent, autant j’avais été réticent au Blockhouse que là j’ai été séduit. Légèreté, fraîcheur. C’est manifestement une prestation d’extérieur. Le tout s’est achevé dans le bar avec une tournée de vin accompagné d’œufs durs (j’ai surpris Darius en train de servir derrière le bar avec une assurance et une aise qui m’avaient fait douter qu’il s’agissait de lui)...
12 juin
J’attends toujours des réactions au Journal musical. Position, état d’attente comme il y a vingt-cinq ans lorsque je commençais à écrire, à être publié. Et procrastination, toujours, de plus en plus : une lettre que je dois rédiger pour Valérie, des coups de fil à passer. Je m’aperçois qu’il n’y a plus que la correspondance électronique qui me convienne, ne me rebute pas. Distance…
J’ai tenté de me remettre à Lustre III, sans grand résultat. Mais il y a les traductions à terminer, et le souci que commence à me causer la suite du Journal musical*. De la même manière, il faut contacter des musiciens, remettre en route cette machine, ça demandera du temps, de l’énergie, des efforts. Lorsque j’ai remis à Sakina un exemplaire du Journal musical (elle pensait du reste qu’il s’agissait de l’enregistrement au bar des corsaires), je n’ai même pas été fichu de lui parler de mon intention de l’ « enrôler » (la « recruter », et c’est peut-être pire) pour l’enregistrement de la suite. J’aurais eu l’impression à ce moment-là, en lui remettant le numéro 1, de l’acheter. Étrange… (Elle m’a remercié à plusieurs reprises, ça n’a fait qu’accentuer ma « gêne ».)
L’enregistrement des pièces restantes n’est pas un problème. Il suffit simplement que je le décide, planifie et, durant le temps nécessaire, ne fasse que ça. Laisser dès lors le reste en attente. Mais, bien sûr, ce n’est pas dans ma nature, mon comportement (je voulais dire « tempérament ») qui, très vite, m’imposeront une bifurcation, un autre chemin…
Le phénomène de la fuite du temps, de l’impression de son accélération au fil du temps (de l’âge, plutôt, quoique), est lié à ce qui a été vécu et non à ce qui reste à vivre. Samuel avait raison. Mais ce n’est pas tout à fait vrai, car quoi que l’on fasse, on ne peut s’empêcher de penser à ce qui reste à vivre. À partir d’un certain âge (milieu statistique, la quarantaine, sans doute), apparaît un conflit entre les deux et les perspectives prennent un autre caractère. C’est en tout cas mon cas…
* je suis étonné de n’avoir rien écrit au sujet de la sélection que j’avais finalement adoptée pour l’ordre des pièces. La méthode repose, à partir du calendrier, sur l’alternance horizontal et vertical (je conserve donc la chronologie) et le choix de l’enchaînement des pièces en fonction de mon goût et de la cohésion d’ensemble (je contrôle l’aléatoire). Le premier mois a trente-et-un jours, le deuxième vingt-huit, le troisième trente-et-un, etc. Le premier numéro (premier mois, trente-et-un jours) est construit de la manière suivante (en tenant compte du fait que toutes les pièces n’aient pas été enregistrées), en partant de Justin, 1er juin (note du 13 novembre 2021)
16 juin
Je vais tenter de me remettre à Lustre III. Mais auparavant, le vin. J’ai eu l’idée pour célébrer mon intronisation au club de dégustation* en septembre de sortir Le journal du vin dans son intégralité et sans y toucher, en y ajoutant simplement un court texte en préface en guise de situation. J’en offrirais un exemplaire à chacun des membres. Le reste irait aux abonnés …
* club de dégustation œnologique dont Jean-Stéphane était le président ; j’y suis resté une bonne dizaine d’années (note du 12 novembre 2021)
24 juin
J’ai profité de ce que la maison soit déserte pour m’attaquer à Benoît et Romuald. Contre toute attente, je les ai enregistrés en quelques prises, puis montés sur le laptop ; je pense que c’est tout à fait acceptable et que je les accepterai car j’avoue que j’en ai un peu assez de les travailler et ai surtout envie de « liquider » cette affaire au plus vite, c’est-à-dire la fin des enregistrements des pièces. Comment en reste-t-il à présent ? À ce propos, Laurent ne m’a toujours pas donné son envie (je voulais dire : « avis ») à propos du premier numéro. Que dois-je en déduire ?...
28 juin
J’avais promis à Thierry de passer à sa répétition avec Cécile, pour les enregistrer, mais aussi pour que nous discutions des prochaines pièces à enregistrer. Ce n’est qu’au dernier moment que je me suis décidé, et si j’y suis allé, ce n’est pas par véritable envie, mais pour lutter contre la glu qui me tenait cloué à mon siège. J’y suis allé. Ils ont fait leur répétition, j’ai enregistré, Hermine a fait des crêpes. Je suis rentré un peu lourd, un peu hagard, sans raison précise. J’ai néanmoins réussi à bien travailler à Lustre III…
13 juillet
J’ai entamé la deuxième réécoute de l’enregistrement fait à Venise. Il faut pour le moins que j’en fasse quelque chose pour les intéressés, Léo, Wilhelm, Eva, Siegfried (Éléonore ? Son exemplaire du Journal musical traîne dans le jardin d’hiver au milieu de papiers et de revues épars ; elle ne l’a même pas écouté). Il est simplement dommage que je n’aie pas davantage de traces de nos voix. Éléonore m’avait pourtant suggéré d’enregistrer l’un de nos repas, dans la cuisine, par exemple…
21 juillet
Soirée chez Thierry pour son anniversaire, quelques personnes triées sur le volet dont Cécile, deux amies entrevues lors de soirées, et Gervaise, qui avait fait des essais de mise en scène à l’époque des Belles endormies. Je la croise de temps à autre et, récemment, elle avait demandé à Thierry pourquoi je ne lui disais pas bonjour. Je me suis largement rattrapé hier. C’est une très belle femme (je n’ai pas le souvenir de cette joliesse ; sans doute le temps y est pour quelque chose), brune, au visage volontaire (mais je pense qu’elle est fragile), expansive ; Dunkerquoise de surcroît. Elle désirait s’abonner et, de ce fait, j’ai pensé lui offrir un exemplaire du Wam. Nous étions dans la cour. Barbecue dans le jardin ; Thierry et moi y avons brûlé l’une de ses guitares…
23 juillet
Je mets le Journal du site à jour tout en poursuivant la copie de Venise. J’en suis au pavillon russe et au magnifique travail d’AES+F. J’ai pratiquement toute la bande-son…
30 juillet
J’ai pris un exemplaire du Site au hasard dans la bibliothèque d’Éléonore, le numéro de décembre. Je l’ai parcouru avec rien de moins que de la stupéfaction. Formule fragmentaire du journal type, j’en avais perdu tout souvenir (cela me semble totalement illisible aujourd’hui). Un monde le sépare de Lustre et de Dot. Je relève néanmoins un passage qui m’a beaucoup fait rire, une rixe linguistique entre Éléonore et moi, très réussie. De là, l’idée d’un recueil des meilleurs passages des journals avant Dot, par exemple. Je ne suis pas mécontent de constater qu’il y a tout de même une évolution (à défaut de révolution)… (Auparavant, j’avais jeté un œil à Emma*, en avais lu les premières pages, non sans déplaisir, et en pensant que jamais qui que ce soit n’en avait fait mention lorsque je l’avais publié…)
* numéro XXXIII au catalogue, paru en 2000 (note du 13 novembre 2021)
3 août
Est-ce qu’inconsciemment je ne délaisse pas le journal pour n’avoir pas trop de choses à insérer dans le Lustre correspondant, c’est-à-dire le VIII ?) Je travaille « activement » à Lustre III et le IV dans la foulée et en parallèle. J’ai décidé de boucler lundi…
3 septembre
J’ai passé une partie de la soirée à réécouter les pièces du deuxième numéro du Journal musical. J’ai apporté quelques transformations, mais dans l’ensemble tout me semble correct, y compris le souffle. Néanmoins, j’ai l’impression d’une baisse de qualité par rapport au premier. Il faudra que je fasse attention à un équilibre d’ensemble, encore qu’il y ait encore trente-cinq pièces à faire interpréter et à enregistrer et il me sera difficile de préparer les suivants en ayant comme seule trace sonore les partitions en MIDI. Et je n’ai aucune nouvelle de Laurent depuis juin. J’attends qu’il réapparaisse pour remettre les choses en route…
6 septembre
J’ai imprimé, massicoté Lustre III, envoyé ce matin. À présent, il faut penser au suivant. Mais lequel ? En outre, il n’y a pas d’à présent, puisque tout est présent dans mon esprit : les Lustre à venir, Dot que je songe à relancer, le deuxième numéro du Journal musical (il me semble que j’en ai parlé), La Barge dont la moitié attend d’être imprimée, sans compter le problème du décalage de pages et du massicot à régler…
8 septembre
Je travaille au troisième numéro du Journal musical…
16 septembre
J’ai passé une partie de l’après-midi à chercher à constituer un disque pour Rüdiger en remerciements de ceux qu’il nous a fait parvenir par l’intermédiaire de Léo. J’étais parti des Intrus, bien sûr, et je cherche à toutes forces à lui en adjoindre d’autres, d’autres pièces musicales. J’y passe évidemment beaucoup de temps, et ce n’est pas fini…
J’étais décidé à me rendre à la première des randonnées organisées par la galerie d’Aristide dans le cadre des journées du patrimoine ; il s’agissait d’une balade le long du canal, départ du quai près du cimetière. Il faisait beau, mais non, je suis resté à la maison en attendant l’heure du vernissage de l’exposition de Christine (« en chansons » dixit l’invitation). Je ne pouvais le manquer. Ses peintures de l’exposition du cheval m’avaient frappé, et je ne pouvais faire autrement que d’aller voir ce qu’il en était de celle-ci, d’autant que je suis désormais l’un des ses trois collectionneurs. C’était au Camion, l’une des multiples associations de Roubaix, installée dans une école maternelle désaffectée. Il y avait effectivement des chansons, comme la fois précédente, dont celles de Nicolas Daquin. J’avais pris mon matériel et, lorsque je suis arrivé, c’était déjà bien entamé ; mais comme rien n’était vraiment programmé, comme tout était à son image, c’est-à-dire à figure de spontanéité, de légèreté, d’offrande, il y a eu d’autres interventions : une jeune fille à la guitare, puis l’inénarrable Youssef et sa vitalité, un jeune homme qui chantait du Trenet, un autre plus âgé qui a raconté le Petit Chaperon rouge en chti, j’étais écroulé de rire. J’avais donc sorti mon micro et mon enregistreur ; mais la batterie a lâché au bout de quelques minutes. Je l’ai remplacée par une pile qui a lâché au bout d’une minute, puis une deuxième qui l’a imitée et une troisième qui n’a pas fait trente secondes. Christine a chanté, puis Daquin, et j’étais là tout penaud avec mon micro qui n’enregistrait que l’air ; à côté de moi Jaouen riait. L’ambiance était roubaisienne, c’est-à-dire le mélange des types, des classes, du social et du familial, teinté de simplicité et d’une certaine manière, d’authenticité. Mais ces mots ne disent pas grand-chose ; il y en aurait d’autres pour définir tout à fait cette qualité particulière que je rencontre depuis que j’habite ici et qui m’étonne à chaque fois. Christine n’échappe pas à la règle et sa peinture va dans ce sens, spontanéité, candeur, et c’est également un mélange ; de styles, de supports, des roues de vélo enrubannées, de simples cartons, des toiles, sorte de vrac bon enfant, et cette grande peinture constituée de quatre carrés de papier cartonné qu’elle n’a pas eu le temps de bien coller. « Il faudra que je les colle bien. » C’était de toute évidence la plus belle, la plus forte ; j’y ai aussitôt retrouvé l’esprit et la touche des chevaux de la précédente. « C’est ma famille à vélo ; il y a mon père là, et puis ma mère ; ici c’est mon frère aîné et là le cadet ; moi, je suis là. » C’est une forme suspendue dans les airs qui ajoute à l’étrangeté de la composition, entre dessin d’enfant et expressionnisme allemand. J’ai immédiatement eu envie de l’acquérir ; mais je ne voyais pas bien où accrocher ces quatre mètres carrés. Il y a en avait une autre, plus petite, sur le côté, deux vélos barbouillés qui pédalent dans la couleur ; et une troisième, dont le sujet m’échappait totalement, même touche, sur la gauche. Je lui ai alors fait remarquer que les trois qui me plaisaient, avaient le même esprit et étaient si différentes des autres, plutôt de l’ordre du naïf, étaient regroupées et étaient les trois que l’on voit en entrant. Ce n’était pas délibéré, pas conscient en tout cas. Nous étions seuls à ce moment-là, c’était la fin, il n’y avait pratiquement plus personne. Je lui avais dit : « Il y en a quelques unes qui me plaisent beaucoup. » « Lesquelles ? » Elle m’avait aussitôt entraîné dans la salle. J’ai survolé toutes ces peintures en me posant la question de ce qui motivait une femme comme elle, de ce qui pouvait l’amener à des choses si différentes, dont certaines sans grand intérêt, de ce qui l’animait ; en même temps, je me posais la question de l’art, car il s’agit bien de ça puisqu’elle expose. C’est elle-même qui a prononcé le mot : « art », qui a sonné étrangement à ce moment-là car en vérité, ce n’est pas à l’art que je pensais, mais plutôt à la création, au processus créatif qui s’était emparé d’une femme comme elle. Je ne pensais pas à l’art, et s’il a sonné étrangement c’est parce que, en définitive, il n’avait pas sa place à cet endroit, à ce moment-là. Elle ne lui donnait certainement pas le même sens que moi, et si nous en avions débattu, nous ne nous serions pas compris, mais pour elle, il avait sa place car, le plus simplement du monde, il s’agissait de peinture, et la peinture est un art ; alors, c’est de l’art ; mais pour moi, il n’avait pas sa place, car l’art appelle un système, une institution, une machine dont le processus créatif n’est plus que le plus petit élément. Parler d’art, c’est, inévitablement, parler de stratégie, de carrière, de plan, de calcul, et là, de calcul, il n’y en avait pas l’ombre, et le mot stratégie n’a pas encore passé les portes de la cité (ou l’a depuis longtemps désertée) ; et s’il y a calcul, c’est simplement celui des frais engagés pour cette exposition intimiste, dans une salle d’école désaffectée au cœur d’une cité poussiéreuse, faite par une femme simple qui participe à des ateliers, regarde le monde avec des éclairs dans les yeux, n’a d’autre prétention que de montrer à ses amis et connaissances le produit de son travail, et au lieu de « produit », je devrais dire le « fruit ». Et il se trouve que je m’arrête devant son travail, encore que je me demande si travail convient dans la mesure où il y a un éparpillement, un éclatement, où le premier moteur, et peut-être le seul, est la spontanéité. Elle se pose des questions, mais ce qui l’anime et l’animera sans doute toujours, c’est la spontanéité ; c’est précisément la spontanéité qui fait de la famille à vélo la plus belle et surtout la plus forte, et sans doute la seule forte… À un moment donné, elle m’a présenté l’un des protagonistes de la partie chant. « Il est peintre. » Et a ajouté : « Un vrai peintre. » J’ai oublié de lui poser la question suivante : « Qu’est-ce que c’est un vrai peintre ? N’es-tu pas aussi un vrai peintre ? » (Peintresse.)
17 septembre
Je suis en train de copier l’enregistrement du récital que Dans la cuisine a donné dans le jardin de chez Gervaise. Gervaise leur avait préparé une mise en scène afin que ça ne soit pas une suite de chansons, mais une histoire illustrée de chansons. C’était frais, léger, très réussi, ils sont tous les deux épatants. Cécile ne fait que progresser, gagner en assurance et est toujours aussi délicieuse. Je note que ce n’est pas la première fois que je rentre dans cet appartement : c’est celui de Lucie à qui j’avais donné des cours de piano il y a dix ans. Étrange…
26 septembre
Je travaille vaguement à Lustre IV, puis à la préface pour Jean-Stéphane dont je ne me sors pas très bien*. J’ai le Journal du vin en tête, le prochain Journal sonore que je consacrerai certainement à la musique et ferai à partir du disque que je viens de réaliser pour Brunehilde et Rüdiger suite à leur dernier cadeau (en ai-je parlé ? Oui, non ? Les marches funèbres à Trepani en Sicile), puis les photos de la journée de la sirène arrivées alors que je venais de poster Lustre III ?...
* D’abbaye à Zeugma de Jean-Stéphane Roger
30 septembre
Je n’avais plus envie de sortir, d’aller au Blockhouse. Mais je m’en serais voulu de ne pas y être allé, alors j’ai empoigné mon sac à son et ai filé. Dehors, parmi les fumeurs, se trouvaient Richard avec Fanny et Léo. Je me suis joint à eux, ai demandé son adresse à Richard pour lui envoyer le Journal Musical. C’était La Pieuvre, nouvelle interprétation d’Ellipse. Comment une trentaine de musiciens pouvaient-ils tenir dans un espace aussi réduit ? Ils ont pu, à ma grande surprise, sans que ça soit une invasion, un comble. Ils occupaient la moitié de la salle, disposés en ovale autour du chef au centre (qui pivotait sur son tabouret), mais cela ne gênait pas. Pour le public, il y avait une bonne cinquantaine de personnes. La disposition des uns et des autres posait un problème pour l’enregistrement. Alors, j’ai décidé de tenir le micro à la main et de me faufiler. Une heure d’une monstrueuse masse sonore. J’ai tout réécouté aussitôt rentré…
6 octobre
Je suis en train de travailler à Lustre IV et me passe tout à coup par l’esprit que je n’ai pas dit un mot de la reprise des répétitions de Philippe et Jacques avec Thierry ! Comment ai-je pu oublier une chose pareille ? Toujours est-il que la troisième répétition a eu lieu jeudi en fin d’après-midi chez lui, comme les deux précédentes, les deux jeudis précédents. À la première, nous avons fait un enregistrement de la première page, nous avons consacré la deuxième à la seconde page, la plus coriace, nous ne la maîtrisons pas encore, et aux premières mesures d’Henri/Joël (nous n’avions fait que l’aborder au cours des dernières répétitions il y a trois ou quatre ans). Jeudi, nous avons revu la deuxième page de Philippe et Jacques avant d’en faire quelques prises, puis d’autres de la première page. Nous avons écouté. Le moins que je puisse dire, c’est que je n’étais pas très en forme, ou, plus exactement, que ma voix ne l’était pas, contrairement au premier enregistrement. Nous l’avons aussi écouté, du reste. J’ai été stupéfait face à la mauvaise qualité de cette interprétation que, pourtant, j’avais écoutée quelques jours après. Je n’ai pas encore écoutée l’enregistrement de jeudi…
Thierry passe le jeudi chez sa mère. Il en revient toujours avec des gâteries, pain de chien, makocz, placek. J’ai droit à de larges portions…
7 octobre
Philippe et Jacques. Je pensais que ça allait être laborieux après toutes ces années et les multiples répétitions, mais je m’aperçois que j’y prends du plaisir et que ce plaisir semble partagé. Encore qu’il ne faille pas que ça s’éternise…
8 octobre
Je suis au bureau, je travaille au Journal du vin…
9 octobre
J’écoute EMOS au Blockhouse, superbe. Suit la soirée au Blue Corner*, pas mal ; à utiliser (ou à faire copies pour les intéressés) pour le projet Intrus et autres musiques : bribes avec musique de fond (04, 6.30)**. Puis le début de l’enregistrement au Blockhouse, pour « ambiance »…
* il s’agit de deux enregistrements : un concert d’EMOS (Entreprise de Main d’Œuvre Sentimentale) du 19 mai 2005 (groupe dans lequel jouait Laurent), et la soirée d’après-vernissage d’une exposition d’Antek deux jours plus tard
** je ne sais plus de quoi il s’agit (notes du 12 novembre 2021)
14 octobre
César, Omer et Humbert avaient réservé leur soirée pour la demi-finale de la coupe du monde de rugby, ignoraient l’invitation faite par Léo pour le concert de Barbarie Barbara* pourtant prévu de longue date ; Léo en a été très fâché. Il y avait à peine une dizaine de personnes et Thierry et Gélase étaient également devant leur poste de télé. Cyril et Denis n’étaient pas très contents et un peu déboussolés, mais le récital a eu lieu quand même. Denis a utilisé l’Érard que Venceslas avait accordé pour l’occasion, Cyril a chanté sans micro. J’étais au bord de la scène avec mon appareillage à son. Ça a duré un peu plus d’une heure, un seul set composé, à deux exceptions près, de compositions de Cyril dont certaines qui m’étaient inconnues. C’était excellent. Cyril a de plus en plus de présence, gagne en assurance, les effets de scène sont justes et drôles, Denis est toujours aussi fou (non, pas fou ; débridé ?). C’est leur premier véritable récital, la première fois qu’ils ne jouent pas dans un bistrot, la première fois qu’il n’y a pas le moindre bruit, que tout le monde écoute, la première fois que Denis utilise un véritable piano. Dès lors, tout prend une autre dimension et je pense que je ne pourrai plus les imaginer dans un café au milieu des conversations, de bruits de percolateurs et de verres entrechoqués. Ils sont mûrs pour la scène, faits pour la scène. Mais quelle scène ? Le même problème se pose pour Thierry et Cécile : il faut désormais qu’il y ait un public qui se déplace pour les voir et les écouter. Mais quel public, dans quel endroit ?...
(Que se passe-t-il avec Cyril ? Des CD étaient à vendre. En m’emparant de l’un d’entre eux, j’ai vu que seul son nom occupait la pochette : Cyril Dymny, Mon pote et moi. Quelqu’un l’a taquiné à ce sujet, et a souligné le fait que la moitié de la famille Dymny avait collaboré. Mais Denis ? Où était-il ? Il était là, à l’intérieur, dans un coin, comme arrangeur et accompagnateur au piano. Ce CD ne regroupe que des compositions de Cyril, mais c’est Barbarie Barbara qui les fait vivre, leur a donné vie. C’est un ensemble, un groupe. Qu’en pense Denis ?)
* le nom de scène de Cyril et Denis jusqu’alors (note du 12 novembre 2021)
16 octobre
Avec la perspective de la publication de Lustre, je me trouve de nouveau en position de contrainte vis-à-vis du journal, nouveau piège qu’il me tend pour m’obliger à renoncer aux développements ultérieurs, et à tout compresser et condenser en une seule page puisque ce sera la règle : un jour en une seule page et aucune autre. Mais c’est bien ce que je voulais (devoir de vacance), c’est-à-dire le brut, le succinct, la fidélité à l’écrit, la rapidité de la réalisation et l’absence d’élaboration. C’est ainsi que 1296 a été réduit à quelques portions de page, et l’exposition de Butz et Fouque à Ostende à quelques lignes alors que dans le journal elle prend plusieurs pages...
21 octobre
Laurence et Laurent faisaient la troisième édition de leur duo Furtives Figures au BAR. À peine une dizaine de personnes, j’ai enregistré…
2 novembre
Répétition d’Henri/Joël chez Thierry. Un de ses amis se trouvait là. Ça a avancé un peu, pas beaucoup. La semaine dernière, c’était Gervaise, aujourd’hui cet ami, ce n’étaient pas les meilleures conditions, et j’ai l’impression que ma voix a perdu un peu, tant en puissance, en qualité qu’en justesse. Ce n’est peut-être qu’une impression ou un moment passager, je l’espère…
9 novembre
Jérôme était à la cave avec Éléonore pour jeter un coup d’œil à la chaudière en panne. Je suis resté seul dans la cuisine avec sa fille ; je l’avais croisée une fois ou deux, ne lui avais jamais parlé. Elle m’a demandé ce que je faisais, si j’étais aussi traducteur. J’ai dit oui, en partie, mais je n’en vivais pas, « heureusement » (je m’attendais à ce qu’elle relève ce « heureusement », elle ne l’a pas fait). « Pour gagner ma vie, je suis archiviste, sinon j’écris et je fais de la musique. » « Ah, de la musique ? Du piano ? » « Oui, et de la guitare. » « C’est bien. » Est-ce que c’est bien ?... Pour la première fois, Jérôme m’a demandé de mes nouvelles : « Tu écris toujours ? » Comme si l’on pouvait cesser d’écrire. Nous en avons parlé, pas des publications, du Lys, mais de l’écriture, et du journal, et du poids qu’il représentait dans ma vie. Il m’a demandé à un moment donné si j’avais déjà eu l’idée d’écrire le journal d’un autre. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui dire que c’était le journal d’un autre…
J’ai été très intrigué par ce que Martha m’avait dit du Bulletin III que je lui avais envoyé. Je suis en train de le relire. C’est effectivement un peu comme s’il s’agissait du journal d’un autre. (J’y relève un passage p. 56 au sujet du Journal musical, à utiliser pour les CD…)*
* « Je pensais il y a peu que l’échantillonnage et l’emploi qu’en font certains musiciens est peut-être ce qu’il y a eu de plus intéressant (novateur ?) depuis la musique concrète (à part Beefheart, bien entendu). C’est enfin une autre proposition. Une proposition ! Et en pensant à ma propre musique depuis qu’elle existe et à l’espèce de brouillon, de confusion et d’égarement qu’elle constitue, je me dis parfois que le Journal musical est peut-être une manière d’aboutissement. Ou de solution (dans tous ses sens, mais principalement dans son sens chimique, c’est-à-dire le mélange homogène de deux ou plusieurs sortes de molécules – voilà la solution : la dissolution !). Manière de proposition, peut-être. Oui : je propose... Car, à bien y regarder, le Journal musical (qui, au bout du compte, ne se présente jamais que comme un exercice de styles) a davantage à voir avec ce qui entoure la musique qu’avec la musique elle-même. Ce n’est pas tant ce qui est écrit qui importe – pour les partitions, mais c’est aussi valable pour la partie « magnétique » – que l’ensemble dans lequel ce qui est écrit s’insère, s’inscrit. Avec ses contraintes (autre combat contre l’inspiration), et donc ses heurs, qu’ils soient bons ou mauvais... » Je suis étonné de ne pas être tombé sur ce passage au cours de l’élaboration du Journal musical pour le site ; où figure-t-il ? (Bulletin III est sorti en 1997, achevé du 31 décembre 1996, j’ai trois années à éplucher.) (note du 13 novembre 2021)
21 novembre
Discussion animée et un peu tendue entre Éléonore et moi au sujet de la dernière page de Lustre IV. Je me suis emporté, bien entendu, ai juré que c’était la dernière fois que je publiais Journals, ai clamé bien haut qu’il était tout à fait inutile de parler des autres s’il ne fallait en donner que des images idylliques et flatteuses. (De la question de la vérité, de la véracité…)*
* je viens de la relire et je ne vois pas ce qui a pu provoquer une « discussion animée et un peu tendue » (note du 13 novembre 2021)
23 novembre
J’ai passé l’après-midi à Lustre IV et Le Vin, corrections, relecture. Demain, j’imprime Lustre IV et Le journal musical et, si possible, les pages manquantes et à refaire de La Barge…
24 novembre
À 17 h 00, j’étais chez Thierry. Répétition d’Henri-Joël, les choses se mettent petit à petit en place, mais je constate qu’il me faut beaucoup de temps pour retrouver un semblant de voix. (Je lui disais en plaisantant que le vin, débouché une heure et demi après mon arrivée, m’y aidait. Ce n’est peut-être pas tout à fait une plaisanterie – il ne s’agit pas de l’effet de l’alcool, mais de lubrification...)
Denis est d’accord pour interpréter Emma et Fidèle. Il dit que c’est difficile, mais ça lui plaît. Il compte me les faire entendre le 15, chez lui, nous sommes invités à une raclette*.
Je pensais passer l’après-midi d’hier à la boutique. Je n’ai pas eu la machine 4 habituelle, mais la une ; cela m’a permis de constater que je retrouvais les mêmes défauts que la fois précédente avec La Barge : décalage en recto-verso. J’ai néanmoins imprimé Lustre, c’est « urgent ». Pour le reste, je retournerai lundi pour tester la 1 en espérant qu’elle soit bien réglée. J’ai constaté en rentrant, après avoir survolé au hasard d’anciennes publications que la grande majorité d’entre elles présente ce défaut de décalage. Qui s’en soucie ? Moi, bien sûr, mais au bout du compte, est-ce si important ? Il n’empêche que c’est un problème propre à me gâcher un jour entier. Ne devrais-je pas un jour trouver une solution domestique ? De même pour le massicot qui n’est toujours pas réglé. Devrais-je m’en procurer un manuel ? Mais est-ce efficace ?...
* ça ne s’était pas fait (note du 12 novembre 2021)
27 novembre
La 4 était prise, restait la 3. J’ai fait un premier essai avec les pages du Journal musical : le recto-verso était presque parfait. J’ai souri. J’ai tiré les quatre-vingt exemplaires, puis suis passé aux pages de Léo. C’est là que ça a commencé à foirer : décalage. Pourquoi les uns et pas les autres, je l’ignore. Toujours est-il que j’ai tiré la moitié d’entre elles avant de renoncer. Il fallait que j’essaye avec la 4. Mais elle était toujours prise. Alors, je suis reparti. Je n’ai fait que penser à ça jusqu’au retour, ai ensuite passé une heure ou deux à comparer, à mesurer, à supputer, à me décourager, jusqu’au moment où j’ai décidé de renoncer, de tirer le restant quelle qu’en puisse être la qualité. De toute manière, il y aura encore le problème du massicot à résoudre, puis celui du façonnage final : il y a trois ans que je n’y suis plus allé, et je vois déjà le coup où ils auront mis la clef sous la porte ou alors auront arrêté le dos carré pour des petits tirages… Pour parfaire, je me suis aperçu en joignant les pages du Journal musical aux couvertures que les trois-quarts étaient tachées d’encre ! Par quel mystère ? Je les ai foutues à la poubelle pour me consacrer au plus urgent : Lustre. J’ai passé le reste de l’après-midi et la soirée à préparer les envois. Tout est sous enveloppe, partira demain. J’ai rayé quelques noms sur la liste. Pour le reste, j’ai rempli ma tâche en tâchant de penser le moins possible à l’avenir du Lys qui bat sérieusement de l’aile. À suivre (ou pas)…
5 décembre
Je pense au sort de Journals, rien de neuf, mais ces pensées se sont accrues, ont pris une autre intensité depuis les derniers propos de Jacques à son sujet : « L’entreprise Journals est-elle perceptible ? » m’avait-il finalement demandé. Autrement dit : se rend-on compte de la confusion des temps ? Depuis, ça me taraude. Confusément et dans l’attente d’une réflexion, j’avais répondu : « oui ». Jacques, indirectement, transforme cette réponse en non. « Car », dit-il, « les lecteurs qui se retrouvent dans Journals ont bien la conscience d’un décalage, d’une juxtaposition d’événements, de la transformation d’autres, mais pas un lecteur inconnu pour qui tout se succède. » Je ne suis pas sûr que ça soit vrai dans tous les cas, mais en grande partie, il a raison : le lecteur inconnu lit Journals comme un autre texte. J’y ai réfléchi dans la journée et ai pris la décision, d’une part de poursuivre la constitution de l’intégrale qui était arrêtée à 2003, d’autre part de la subdiviser en jours et non plus en semaines. De là, l’idée folle d’une série de trois cent soixante-six livrets dont chacun serait consacré à un jour en partant du 1er janvier. Cela pourrait être une étape. Mais le gros problème, c’est l’année à laquelle arrêter cette constitution ? Je l’avais l’arrêtée en 2003 parce que cela constituait un cycle de quinze ans. Mais la suivante ? Vingt ans ? (Inutile de préciser que la date « idéale », en quelque sorte, sera celle de ma mort...)
7 décembre
« Samuel a lu le dernier livret », m’a dit Éléonore. « Ça lui a beaucoup plu. Et il a ajouté que j’avais beaucoup de chances de vivre avec quelqu’un qui puisse raconter l’histoire de ma vie. » Mais a-t-elle dit « ma », « ta » ou « notre » ? Mais importe peu. Ce qui importe, c’est que Samuel soit un lecteur, mais aussi cette remarque qui recèle beaucoup plus de choses qu’il n’y paraît. Je l’ai aussitôt mis en parallèle avec mon courrier à Jacques cette après-midi où, de nouveau, je parlais de l’entreprise Journals et de cette recherche vaine d’une expression par l’écriture de la simultanéité des temps ; chaque livret est une étape sur le parcours qui doit m’y mener et n’a de raison d’être, de sens et d’intérêt qu’en ce sens. La remarque de Samuel me fait penser que ce n’est pas tout à fait vrai. À méditer…
23 décembre
J’écris, lignes de mots sans suite, sans beaucoup de conviction. Je pense que j’occupe mon temps, que je m’occupe. Je sais que je dois faire le rapport d’hier. Mais le dois-je ? Le mieux serait sans doute de ne rien en dire, que tout taire, de tout garder pour la mémoire, et que chacun garde cette journée pour sa propre mémoire sans qu’il y ait un rapporteur, un observateur : un journaliste. C’est sans doute ce que chacun attend confusément ; ou pour le moins ce que chacun a eu en tête à un moment donné : l’écrit que Guy fera de cette journée. De toute manière, quand paraîtra-t-il ? À un moment donné, j’ai pensé faire un livret spécial, puis ai rejeté cette idée. Je concrétiserai cette autre qui sera sans doute beaucoup plus juste : l’édition de l’enregistrement de Gusses il y a quelques années où Fanny est extrêmement présente. Je ne le réserverai qu’aux amis. J’avais un peu hésité, en avais parlé à Sylvette. C’était étrange. Nous étions au St Amour et, à un moment donné, elle m’a parlé des enregistrements déjà effectués dans lesquels Fanny apparaît : « C’est extraordinaire comme trace, la voix. La voix de quelqu’un plutôt qu’une photo ou qu’une vidéo. C’est merveilleux que tu aies ces enregistrements !... »
Ajout :
Pascal, pièce pour clarinette basse, a été enregistré le 8 décembre (dixit la liste des enregistrements), mon journal n’en fait nulle mention. Par contre, je dispose d’un échange par mails entre Laurent et moi qui débute le lendemain du jour où il m’avait appris qu’il pouvait emprunter une clarinette basse et s’y essayer. Le voici…
(note du 11 novembre 2021)