2008
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2 janvier
Je finis d’écouter le double CD de La Pieuvre que Laurent m’a apporté la semaine dernière. Le studio ne restitue pas vraiment l’intensité et la spatialité... Il y a une mention aux pièces du Grand Mix lors de l’émission de France Musique dont l’une qui m’avait cloué au siège. Je note sur la pochette : « Toutes compositions Olivier Benoit ». Ah bon ? En quoi est-il le compositeur ? Ne s’agit-il pas d’une expérience collective ? Ou alors je n’ai rien compris. Il n’empêche, malgré l’énormité flagrante de cette musique, le mot « système » me revient à l’esprit…
7 janvier
Ai-je dit que Laurent m’avait envoyé sa version définitive de Pascal, qu’il a enregistrée lui-même ? (voir émail – j’ai l’impression, à ce propos, que le courrier me fait négliger le journal en ce sens que je ne pense pas à rappeler des faits de la correspondance dans le journal proprement dit ; ce pourrait être une bonne idée d’inclure la correspondance dans le journal)…
Tout à coup, sans raison précise, j’ai soulevé le capot du laptop, l’ai allumé et suis allé chercher les prises de Philippe et Jacques qui m’y attendaient depuis le 6 octobre. Je les ai écoutées, ai constitué une version par montage et je peux considérer que cette pièce qui nous a demandé tant de temps, de travail et d’efforts est définitivement achevée. Je suis très satisfait de la qualité de l’ensemble…
11 janvier
Je suis allé chez Thierry pour la reprise des répétitions d’Henri/Joël. Nous ne nous étions pas vus depuis Charleroi le 29* et, bien sûr, il m’a parlé de Venise ; elle les a enchantés, ils comptent y retourner. Il m’a montré leurs photos autour d’un verre. Je ne me sentais pas très bien, étais fatigué et il m’est très vite monté à la tête. Puis nous avons parlé de Philippe et Jacques, je lui avais envoyé une copie de la version (quasi) définitive, nous l’avons retenue. Hermine est rentrée au moment où j’allais partir. Venise. Puis je l’ai prise en photo pour l’album… Thierry m’a aussi parlé de Lustre IV qu’il a aimé, a trouvé différent. « À quand le suivant ? » m’a-t-il demandé Quand ? Sans doute pas avant mars. Le mois prochain, je devrais pouvoir éditer le deuxième numéro du Journal musical…
* je les avais conduits à l’aéroport pour leur premier séjour à Venise (note du 18 novembre 2021)
17 janvier
Le journal floral de Youki* et son énigmatique « été mou » : « Les SHINOBU rafraîchiront mon été mou »…
* une correspondante japonaise (note du 17 novembre 2021)
18 janvier
Répétition d’Henri-Joël. Je suis arrivé à 19 h 00, c’est Hermine qui m’a ouvert. Une bouteille de vin ouverte se trouvait déjà sur la table, ainsi que deux verres, du saucisson, des cacahuètes. Nous avons entamé l’apéritif en prenant des nouvelles (mais à la vérité, je lui ai surtout parlé de mes genoux qui me faisaient particulièrement souffrir ; le fait qu’elle fasse partie du corps médical n’était pas suffisant pour qu’elle m’apporte ne serait-ce qu’une réponse à mes questions et à mon inquiétude ; « je vais regarder », m’a-t-elle dit). Puis Thierry est arrivé, nous avons pris des nouvelles, puis un autre verre, discuté de choses et d’autres dont du meilleur lieu de vie pour la vieillesse. La répétition s’annonçait plutôt mal, et le vin n’aidait pas. Vu la manière dont les choses s’amorçaient, je ne voyais pas très bien comment allait pouvoir se dérouler une répétition déjà largement compromise. Mais je m’en fichais un peu. Nous parlions, mangions, buvions, et ça me semblait largement suffisant. Nous ne pouvions pourtant pas nous quitter sans au moins, par simple acquit de conscience, chantonner quelques notes. Nous nous y sommes mis vers 20 h 00 pour nous arrêter deux heures plus tard. Contre toute attente, non seulement elle s’est bien déroulée, mais en plus nous avons extrêmement bien avancé. À n’y pas croire ; ce qui, il y a un mois, était encore un brouillon est devenu une pièce assise et bien posée. Pour finir, nous l’avons chantée trois fois de suite d’un bout à l’autre sans interruption et à peine deux ou trois bavures. Reste à la poser complètement et à soigner les nuances. Nous nous revoyons lundi. Je pense que nous commencerons les enregistrements…
20 janvier
Butz et Fouque exposaient dans un centre culturel près de Versailles, j’y suis allé avec Léo, et nous devions y retrouver Laurent. J’ai pris les filles en photo pour l’album dans le lieu même de leur exposition, puis nous avons été invités au repas d’après-vernissage. Un certain Pascal s’était attaché à nous, il s’est assis à notre table. C’était la première fois qu’il venait à un vernissage, il avait rencontré Bénédicte et Perrine dans son « magasin » Starbuck à Paris. Il m’a demandé de lui parler d’elles, puis si j’étais photographe, m’a posé des tas de questions (il aurait pu être journaliste, dans le fond), puis m’a dit qu’il écrivait beaucoup, rêvait de créer une maison d’édition. Laurent lui a montré Le petit Billy qu’il avait tiré de son sac, nous avons parlé du Lys ; il était intéressé, a désiré des exemplaires, j’ai noté son nom : Pascal Gouzien. J’ai souri. « J’ai aussi fait le rapprochement », m’a-t-il dit. « C’est un nom typiquement breton, ça signifie “ petit ru ”. » J’ai alors compris pourquoi, à plusieurs reprises, on m’avait demandé si j’étais breton. S’est ensuite entamée une discussion au sujet de la musique improvisée, Laurent en parlait juste avant avec le responsable du théâtre de l’espace culturel. Pascal s’est montré très intéressé, a dit qu’il en faisait aussi (mais à mon avis, nous ne parlions pas de la même chose). Il ne nous lâchait plus, s’est même proposé de nous indiquer le chemin jusqu’à la N186 qui mène directement au périphérique, il avait une Polo verte... Porte de la Chapelle, nous avons parlé de la Pieuvre et de son glissement vers la dissolution, puis de l’expulsion de Richard du groupe suite à une cabale d’autres membres, pas très reluisante d’après ce que Laurent m’en a dit. « Richard est ce qu’il est, mais il ne méritait pas ça », a-t-il conclu. Il était trois heures lorsque nous l’avons déposé. Il n’a pas répondu à ma question au sujet du premier numéro du Journal musical : « Alors ? » (Si : « c’est compact », m’a-t-il dit avant de refermer la porte*.)
C’était cette nuit. Ce midi, j’ai transcrit Victor au propre, il ne l’était pas, pour je ne sais quelle raison. C’est une pièce délirante qui, je le crains, n’a pas grand intérêt. À présent, je vais pouvoir envoyer à Igor toutes les pièces qui le concernent (penser à appeler Denis)…
Le laptop a lâché alors que j’effectuais la numérisation de mes deux premières cassettes audio (plus de cinq cents, merci). Cela faisait un moment que j’hésitais à l’entreprendre et je m’y suis mis. Voilà le travail. Je n’ai pas dû perdre grand-chose. L’ennui, c’est qu’il me sert pour le son, et pour les CD, ceux du deuxième numéro du Journal musical, en l’occurrence ; je m’apprêtais à le lancer la semaine prochaine. Est-ce irrémédiable ?...
* je me suis toujours refusé de poser la moindre question au sujet de ce que je fais et il me semble bien que c’est la première fois que je le faisais – son avis était très important à mes yeux (note du 17 novembre 2021)
21 janvier
Après avoir conduit Éléonore à la gare, je suis allé chez Thierry pour enregistrer Henri/Joël. Il y aura sans doute les bruits du marteau-piqueur qui défonçait son trottoir. De toute manière, mon interprétation était un désastre : manque de justesse, erreurs de tempo, etc. Je suis ensuite allé chez Jérôme pour lui confier mon laptop malade. Il l’a conservé pour y jeter un œil. J’en ai profité pour le prendre en photo (Jérôme, pas le laptop), dans son bureau tout d’abord, puis dans sa salle au sous-sol, très belle, que je découvrais et où il était sans conteste bien davantage à sa place parmi ses ordinateurs et tout l’appareillage à l’avenant. Je suis rentré à 18 h 00. Le bureau m’a semblé vide sans le laptop… Au soir, je suis allé au Blockhouse avec Léo pour une installation sonore de Laurent, un concert un peu pauvre d’un atelier de musiciens (que j’ai tout de même enregistré). Au retour, je me suis mis aux partitions pour Igor...
22 janvier
L’enregistrement du Cheval Blanc est une pièce d’anthologie*. Je vais le programmer pour le futur Journal sonore IV intitulé Musiques. (Le Cheval Blanc figure-t-il dans les guides de Lille ?...)
* un bistrot populaire de Wazemmes où nous étions entrés un peu par hasard après le vernissage de l’exposition de Didier Windels au Centre d’Art (note du 17 novembre 2021)
26 janvier
Notes prises au bureau au sujet de l’album en vue d’une éventuelle présentation :
Ce n’est pas un travail de photographe. Je ne suis pas photographe et du reste ce n’est pas un travail…
L’album aurait pu prendre le nom de Journal photographique s’il n’avait pu se poursuivre au-delà de la limite d’une année imposée au départ.
Toutes les photos auront été réalisées à l’aide d’un appareil instantané Minolta modèle « Memory Maker » trouvé par hasard à la maison et dont le propriétaire reste encore aujourd’hui inconnu. J’ai décidé qu’il serait l’unique instrument de cette entreprise et, jusqu’à présent, je n’ai pas dérogé à cette règle, encore que les anomalies notées récemment sur le dernier film développé me font me demander s’il ne serait pas temps de le remplacer par un autre type d’appareil argentique. Le sujet doit-il pâtir des déficiences de l’appareil ?
Leur qualité du point de vue de la définition est moyenne, mais reste acceptable pour figurer dans un album et être présentées. Il n’en est pas de même pour leur version numérisée qui souffre de diverses pertes (numérisation, compression pour un format accepté sur le réseau). Mais la version « en ligne » est accessoire : c’est l’album sous sa forme papier qui prime…
30 janvier
D’où cette idée m’est-elle venue ? (drôle de question) : demander à Jacques de choisir dix dates entre le 1er octobre 1989 et le 20 janvier 2008, de me les envoyer ; aller ensuite les chercher dans le journal, les assembler, voir s’il y a quelque chose à en tirer. J’ai ensuite demandé la même chose à Léo, il me les a envoyées cette après-midi. J’ai relevé le rapport correspondant à ces dates (il y avait trois journées vides) et me suis « amusé » cette après-midi à essayer de les assembler. Une idée que je viens d’appliquer : remplacer « je » par « il », cela change radicalement le ton d’ensemble. Autre idée : constituer à partir de ces dix dates un texte, puis un livret, dont le titre serait Les dix jours de X, le nom de la série étant Les dix jours de… Je changerais tous les prénoms, brouillerais les pistes. À voir…
31 janvier
Laurent jouait chez Léo. J’avais demandé à Léo de ne plus inviter V. pour des soirées chez lui : c’était trop pénible de la voir, je risquais de ne pas y être seul, elle risquait de ne pas y être seule. Alors, elle n’y serait pas. Pourtant, je n’ai pu m’empêcher de penser à elle en entrant dans la pièce et de jeter un coup d’œil pour vérifier si effectivement elle n’y était pas. Elle n’y était pas. Je me suis senti soulagé. Je suis passé dans la seconde pièce, Laurent se préparait ; j’ai moi-même préparé mon matériel pour l’enregistrer. J’étais assis sur un tabouret contre les rayonnages de la bibliothèque. Je ne pensais pas à elle. Ça a commencé, ça se déroulait et on a sonné. Ma première pensée est allé à l’enregistrement : on allait entendre la sonnette. J’ai machinalement tourné la tête vers la fenêtre entre les deux pièces, ai vu Léo aller ouvrir après avoir refermé la porte derrière lui. Je n’y ai plus pensé. Puis, tout aussi machinalement (mais je pense que quelque chose avait attiré mon regard), j’ai de nouveau tourné la tête vers la fenêtre : une jeune femme est passée. Elle avait un long manteau sombre, une imposante chevelure brune. J’ai regardé le visage dessous et ce visage ressemblait à celui de V. Il lui ressemblait, ce n’était pas le sien, et ça ne pouvait pas être le sien puisque Léo ne l’avait pas invitée. La jeune femme est ensuite apparue à la porte et de nouveau j’ai regardé. Elle lui ressemblait décidément beaucoup, mais ça ne pouvait être elle, il était impossible que ça soit elle. Mais, au fond de moi, quelque chose a remué, et par cette agitation, j’ai compris qu’il s’agissait d’elle… Ça s’est achevé, ça a remué autour de moi, je me suis tourné vers mon appareil, ai jeté un œil en direction de cette fille qui lui ressemblait. Il y avait de la pénombre, je n’étais sûr de rien, voulais tout à la fois que ça soit elle et pas elle. Léo était à côté d’elle et elle lui a parlé. J’ai entendu le son de la voix qui sortait de cette fille qui lui ressemblait et ne pouvait être elle et cette voix était bien la sienne. Alors, tout a tourné à l’intérieur de moi. J’ai commencé à ranger mon matériel et du coin de l’œil j’ai vu que tu approchais, à ta manière, qui n’avait pas changé, c’est-à-dire cette impression que tu étais un peu perdue, ne savais où aller, vers quoi te diriger. Mais tu approchais et je savais que c’était vers moi que tu venais. Mais tu ne venais pas franchement, directement. C’était comme si tu hésitais avec, en même temps, la détermination de venir. Et tu as été près de moi. Je n’avais toujours pas relevé la tête de mes mains qui s’affairaient à ranger mon matériel, puis j’ai entendu « bonjour Guy ». J’ai relevé la tête, c’était toi. Nous nous sommes faits la bise. « Bonjour. » Et puis tout est allé très vite. Tu as commencé aussitôt à parler et il m’a paru clair que tu voulais dire le plus de choses possibles, que tu ne voulais plus t’arrêter et qu’il fallait que je fasse en sorte que ça ne s’arrête pas. Tu m’as parlé de ta maison, de tes voisins, de ton terrible accident de voiture duquel tu t’étais sortie par miracle, puis de ton désir de vivre le plus intensément possible, puis tu en es venue à ton ami, celui avec lequel tu avais vécu, qui désormais était ton meilleur ami, était d’une « jalousie féroce », mais dont tu ne pouvais te passer ; « je l’adore, je l’aime », m’as-tu dit – mais que veut dire « je l’aime » dans ta bouche, et pourquoi me raconter tout cela ? et comme il est drôle que ça ne m’ait rien fait, pas le moindre effet ; je me suis fait la remarque : elle me parle de quelqu’un d‘autre qu’elle dit aimer et ça ne me fait rien, et pourquoi cela devrait-il me faire quelque chose ? elle a trente ans, elle a sa vie, ses amis, son ami même si elle vit seule et désire le rester, qu’ai-je à faire dans sa vie, quelle place pourrais-je y avoir, et en même temps me disant : c’est vers toi qu’elle vient, c’est avec toi qu’elle parle, à toi qu’elle dit tout cela, avec précipitation comme pour tout dire, comme si tout avait été accumulé dans ce seul but, et le temps passe, elle continue à parler, je la questionne, lui réponds, elle ne bouge pas, je ne bouge pas, et je sais que jusqu’au bout je ne pourrai me détacher d’elle, jusqu’au bout elle restera là près de moi, comme si elle avait attendu et prévu et presque prémédité ce moment-là, comme si elle était venue exprès pour moi, mais n’est-ce pas encore mes inventions qui reviennent, et à un moment donné, je lui fait remarquer qu’elle est arrivée en retard, elle me dit qu’elle devait venir avec son ami, ils se sont disputés et en définitive elle est venue seule, alors je loue les disputes et les hommes jaloux qui ont fait que tu te retrouves seule avec moi car sinon tu ne serais pas venue vers moi, sinon il y aurait à peine eu quelques mots échangés, alors que là, tu me parles, ne bouges pas, je ne bouge pas, t’écoute, te regarde, te souris, en ayant comme toujours cette sensation d’irréalité en moi qui fait que je te parle naturellement – mais tout en moi est agité, et il faut parfois que je me contienne, retienne la crispation qui m’étreint – comme si je parlais à n’importe qui d’autre alors que tu es l’être qui m’est le plus cher au monde, et de cela je suis sûr, et comme de fait je ne peux me détacher de toi et jusqu’à la dernière seconde nous resterons l’un à côté de l’autre, l’un en face de l’autre à tâcher de dire le plus de choses possibles, mais surtout toi, et tout en même temps en ne disant rien de particulier, moi surtout qui ne sais plus où j’en suis, mais sais qu’il suffirait peut-être d’un seul regard, un regard particulier ou un sourire (ou un silence prolongé), pour que j’avance la main et te touche, ou la bouche pour la poser sur ta joue, ou sur ton épaule qui est un peu dénudée, que tu as exposée après avoir retiré ton manteau, puis ton gilet, d’une drôle de manière, ou d’une manière qui m’a paru étrange, m’a frappé, m’a donné l’impression que tu n’allais plus t’arrêter et que, un à un, tu allais retirer tous tes vêtements jusqu’à te retrouver nue devant moi, j’ignore totalement ce qui m’a donné cette impression. Et c’est ainsi que les choses vont se passer : tu t’approches, viens spontanément, tu me parles, tu ne bougeras pas de moi jusqu’à la dernière seconde et je ne bougerai qu’à la dernière seconde, au moment où Éléonore à côté aura désiré de rentrer, et si Wilfried n’était pas venu te parler, je n’aurais pas bougé. Je suis allé voir Éléonore, elle désirait rentrer, je suis revenu vers toi et ai dit : « je vais y aller, il est tard et je ne suis pas encore couché », Wilfried s’en était allé, je ne pouvais pas partir comme ça, t’ai parlé de la Turquie où tu devais te rendre la dernière fois que nous nous étions vus, et tu as aussitôt dit « ah oui, c’était juste après qu’on s’est vu », tu t’en souvenais donc très bien, aussi bien que je m’en souvenais, de la même manière que tu te souvenais très bien de l’enregistrement que j’avais fait au cours de l’exposition de Léo alors que la fois précédente, le soir où tu étais avec ton père, tu m’avais affirmé le contraire : « ah bon ? non, je ne m’en souviens pas, je n’ai pas une bonne mémoire », ça m’avait paru inconcevable, tu ne pouvais pas avoir oublié cette soirée-là. Tu te souviens de tout, et même de ce dont je ne me souviens pas. « Il s’appelle Yann », dit-elle, « tu l’as déjà vu, c’était chez Zita. » « Zita ? quand ? comment ? ton ami ? » Et elle me parle d’une vitrine, me parle d’être entrée, être restée peu de temps et être repassée devant la vitrine au-dehors avec son ami précisément. « Zita », dis-je. « Oui, Zita », dit-elle. Et je suis stupéfait, car comment peut-elle avoir en mémoire une chose aussi insignifiante pour elle et qui a eu tant d’importance pour moi ? « Je m’en souviens parfaitement », lui ai-je dit. « Tu es entrée, es sortie aussitôt et je t’ai vue passer avec ce garçon. » Comment peut-elle avoir gardé cette scène en mémoire et si elle l’a gardée, c’est parce que c’était prémédité : elle aurait voulu que je la voie avec ce garçon (mais ça n’a pas le moindre sens). Tu me parles alors de la Turquie, longtemps, avec passion, ferveur, mais surtout de Cappadoce qui t’a bouleversée et profondément marquée. « Je ne crois pas que je trouverais mieux au monde. » J’ai eu envie de lui dire : « Si, il y a Venise. Tu n’es pas encore allée à Venise. » J’ai hésité, car je ne pouvais dire le mot Venise sans en parler en long et en large, sans dire que c’était mon lieu à moi, celui qui m’avait le plus marqué et qui était véritablement ma place. Je ne pouvais pas ne pas tout te raconter à son sujet, alors je n’ai rien dit, et j’ai de nouveau dit que j’allais y aller, et tu as dit : « oui, moi aussi, mais moi pour aller me coucher ». Je me suis senti un peu perdu. J’ai pris mes affaires, me suis préparé, ai enfilé mon blouson, tu as remis ton manteau et nous n’avons plus bougé , sommes restés là comme hagards, statufiés. Éléonore s’est approchée, je suis allé vers Laurent, Igor, le petit groupe près de nous pour leur dire au revoir. Je leur parle un moment et vois que tu es toujours là, que tu ne bouges pas, comme si tu m’attendais. Je sais bien que tu ne m’attendais pas, mais c’est l’impression que ça m’a laissé. Tu dis « je m’en vais », tu t’habilles et ne bouges pas, et je constate que moi non plus je ne veux pas bouger (et mieux : je ne peux pas bouger). Je voudrais rester ou repartir avec toi, ou pour le moins passer la porte avec toi. Mais je ne le pourrai pas, je suis avec Éléonore et c’est avec elle que je vais repartir. Alors j’espère que tu vas partir en premier, ou alors que tu resteras encore un moment, le temps que je sorte et parte. Mais tu es toujours là et lorsque je reviens de la pièce d’à côté où je suis allé saluer les autres personnes, tu es toujours là. Et puis arrive le moment où il faut bien que je te quitte. Je m’approche de toi pour te faire la bise, tu approches ton visage du mien et à ce moment-là tu poses la main sur mon épaule et, moi, dans le même élan, je pose la main sur ton épaule et c’est dans ce croisement de nos bras que nous nous faisons la bise. « Au revoir, à bientôt. Et fais attention à toi. » Tu es interloquée, une seconde, puis tu comprends et ris. Si tu ne m’avais pas parlé de ton ami si longuement, j’aurais été persuadé que ta main sur mon épaule était un signe, car il m’a paru inconcevable que tu fasses ce geste, il ne fait pas partie de tes gestes, surtout pas avec moi…
6 février
J’ai passé une partie de la journée à écouter les prises effectuées chez Thierry, Henri/Joël toujours, et presqu’enfin, puisque nous ne sommes plus loin de l’aboutissement. Il reste des imperfections, mais le tout s’améliore. Ma voix est nettement meilleure qu’elle ne l’était la semaine dernière et nous approchons de la cohésion, d’une réelle interprétation. Cette pièce devrait être très belle. Elle l’est déjà, du reste…
10 février
Jérôme m’a confirmé que le disque dur du laptop était fichu. À remplacer. À part l’enregistrement du Bar, je ne pense pas avoir perdu grand-chose d’important, rien en tout cas qui ne puisse se refaire. Je pense à la maquette du deuxième disque du Journal musical, aux premiers montages de Gussignies. Je verrai bien par la suite, mais je pense qu’il n’y a rien d’irrémédiable…
11 février
V. dans mes pensées. J’ai poursuivi la tâche du « post 97 » qui va se révéler extrêmement lourde. Son journal s’arrête effectivement fin janvier, mais elle est tout autant présente dans les mois qui suivent, d’autant plus présente qu’Éléonore arrive et se « fait sa place ». Il y a des choses dont j’ai perdu tout souvenir, notamment de lui avoir offert, lors de ma dernière visite chez elle, un livre sur Vermeer, des biscuits au chocolat et des brownies. De ce fait, l’idée du livre qui lui serait consacré est revenue en force, à cette différence près qu’il s’agirait d’« elles », et Gabriel pourrait devenir mon confesseur et confident (à la place de Léo dans la réalité). Il y a là une matière riche et excitante. Mais comment me résoudre à ne pas utiliser son prénom ? Et comment Éléonore lirait-elle un tel texte ?...
J'ai relu le passage de chez Zita ; je suis stupéfait qu’elle en ait gardé un tel souvenir. Pourquoi ce moment l’a-t-il marqué alors que, et mes souvenirs étaient exacts, elle est restée quinze secondes dans la galerie, nous ne nous sommes même pas regardés ? De la même façon que je suis étonné qu’elle se soit souvenue avec précision que notre précédente rencontre était à la veille de son départ pour la Turquie. Mais le plus troublant c’est sa main sur mon épaule. On ne m’enlèvera pas de l’idée que ce n’était pas anodin. Il n’empêche : qu’est-ce qui l’attache à moi ?...
J’ai pensé lui envoyer le passage de chez Zita, puis ai renoncé. J’ai ensuite pensé lui proposer une collaboration quelconque (les idées ne manquent pas), j’ai renoncé. Mais je ne renonce pas à l’idée d’un cadeau pour ses trente ans. Ai-je parlé de « son » dossier où figurent, entre autres choses, les lettres cachetées que je ne lui avais pas envoyées après ma dernière visite chez sa mère (elle m'avait dit qu’il était préférable que je ne lui envoie plus de lettres) ? J’ai pensé lui offrir ces lettres et peut-être tout le contenu du dossier... Faire le mort, ne pas, ne plus me manifester. Pourquoi faire, à la vérité ? Elle est attachée à moi, c’est évident, mais le suis-je davantage à elle qu’elle ne l’est à moi ? En d’autres termes, la nature de mon attachement à elle est-elle différente de son attachement à moi, c'est-à-dire quelque chose d’indéfinissable et de trouble qui, en tout état de cause, n’est pas de l’amour ? La différence, c’est qu’elle vient spontanément à moi, alors que je ne suis pas sûr que j’agirais pareillement si j’étais amené à la voir avant qu’elle ne me voie, et si je l’ai fait la fois précédente, c’est parce qu’elle était avec son père. Autrement, irais-je vers elle avec la même facilité, la même assurance ? Mon ventre se noue, ma gorge se serre, mon cœur bat plus vite lorsqu’elle est là. Mais de quoi est-ce le signe exactement ? Je crains toujours autant de tomber sur elle et en même temps n’attends que cela. Quelle crainte puis-je avoir ? Qu’est-ce que je crains exactement ?
15 février
Hier, répétition Henri/Joël, une dizaine de prises, dont deux correctes. Mais ce n’est pas encore satisfaisant. Quoi qu’il en soit, j’avais du souffle et y ai mis un plus de cœur que d’habitude. Nous nous revoyons la semaine prochaine, sans doute la dernière. Après ce sera fini. Dommage, j’aime ces répétitions avec Thierry…
22 février
Depuis une heure je suis seul dans le service – c’est un petit peu chez moi, dans le fond –, j’écoute la gravure définitive de Sur le Tas* tout en rédigeant mon journal ; cette après-midi, entre les pauses café et les cigarettes, je me remettrai à Lustre VI...
Hier, Henri-Joël, énième répétition. Je suis arrivé à 19 h 00, les raviers pour l’apéritif étaient déjà prêts : cacahuètes, saucisson. J’ai posé le côtes-du-rhône villages Baumelles de chez Laurent-Tardieu acheté le midi, Thierry l’a débouché. Nous avons pris un verre tout en parlant de choses et d’autres, dont de V. Il était près de 20 h 00 lorsque j’ai déballé et préparé le matériel, micro perché sur une bouteille d’eau, nous deux assis à notre place. « J’enregistre tout de suite ? » ai-je dit. « Oui, on ne sait jamais. » J’ai donc enregistré le premier essai. Nous l’avons mené jusqu’au bout, nous nous sommes regardés. Il a souri, j’ai souri. « C’est la bonne », a-t-il dit. Un miracle. Nous avons tout de même poursuivi, une vingtaine de prises en tout. Nous avions hâte d’écouter la première. En effet, elle n’était pas loin d’être la bonne. Nous nous revoyons la semaine prochaine, pour l’ultime fois, peut-être...
* l’un des multiples groupes de Laurent ; il s’agissait de leur concert du 30 janvier chez Léo, le soir où j’étais « tombé » sur V. (note du 17 novembre 2021)
24 février
Jérôme m’a rapporté le laptop en début de soirée. Il est une heure du matin et il vient de tomber en panne. J’ai en outre constaté qu’il restait seize euros sur le compte du Lys (c’est dire que je vais devoir l’alimenter avec mon propre compte qui lui-même est au bord de l’épuisement). Tout va bien. Je peux faire une croix sur le deuxième numéro du Journal musical, et d’ailleurs sur tout type de publication avant un moment…
Plus de peur que de mal : je l’ai éteint, rallumé, ça marche, et j’ai commencé à préparer (de nouveau) le deuxième numéro du Journal musical en partant de zéro des enregistrements bruts puisque les maquettes ont été anéanties par l’explosion du disque dur du laptop (je n’avais pas fait de copie !). J’ai bien avancé. Mais à quoi sert-il de préparer quoi que ce soit puisqu’il n’y a plus d’argent ? Une édition d’un numéro de Journals coûte près de cent euros…
27 février
Hier, Henri/Joël, sixième séance d’enregistrement si mes comptes sont bons. Un verre de vin, saucisson, cacahuètes, j’ai fait le tirage de mah-jong de Thierry, tout cela a pris une heure. Nous nous y sommes mis, Denis est arrivé, puis Hermine, j’ai fait son tirage, puis celui de Denis particulièrement excité et volubile, puis passablement éméché au moment où j’ai commencé à étaler les cartes devant lui (ainsi que Thierry qui titubait légèrement), il était minuit lorsque je suis rentré. Je n’ai pas écouté les prises, une dizaine, dont aucune, je pense, ne sera satisfaisante…
3 mars
Chute de moral. Les comptes pratiquement vides, pas de chèques de réabonnement à l’horizon, ni de traductions, Éléonore me parle de multiples voyages alors que je n’ai plus un sou. De ce fait, je reconsidère le Lys, son sens, et le mien dans cette course vers le néant. J’ai réimprimé les couvertures du deuxième numéro du Journal musical, ai réécouté les pièces avant de m’attaquer au disque Cheap pour Wilfried*…
* Cheap cheap, son projet de long métrage ; il avait fait suivre sa première réunion d’information par une soirée musicale au Blockhouse, je l’avais enregistrée ; j’avais ensuite eu l’idée de faire un disque du tout que je lui aurais offert (note du 18 novembre 2021)
11 mars
Écoute de la première gravure du Journal musical 2 : pause plus longue avant et après Thibaut ; retirer les craquements d’Hugues ; raccourcir l’intro d’eau de ? (deuxième morceau après Pâques) ; pause plus longue avant Maxime ; pause plus longue avant et après Yves ; pause plus longue avant Rodolphe ; voir légers tics dans Alexandre ; pause plus longue après Alexandre ; pause plus longue avant Roméo ; Roméo à augmenter en volume ; revoir le « ralenti » dans Anthelme, 1’ 30’’…
18 mars
La superposition d’opéras, Cage, pour Européra II et III (voir Laurent et Mozart). Je réécoute Euphonia de Caux sur France Culture, 1990, version numérisée. Cage est réellement magnifique, je ne cesserai de le rappeler… Je suis aux toilettes, le mp3 dans la poche, j’écoute Cage parler des « time bracket ». Écouter Cage est extrêmement stimulant. Une foule d’idées, d’envies me passent par la tête (mais mon corps crie, et joint à ces cris, il y a l’âge, le temps, l’indisposition, la gêne, la souffrance, tout ce qui ne pourra se faire, tout ce qui est en train de ne pas être fait, faut-il vraiment développer ?).
P*** m’a envoyé deux brochures à traduire, en mauvais anglais (après vérification, il s’agit d’espagnol traduit en anglais). Tout cela ne fera entrer qu’une centaine d’euros, c’est peu (et je vais devoir le relancer dix fois pour me faire payer).
Je ne me décide toujours pas à découper les quatre-vingt livrets destinés au deuxième numéro du Journal musical (que d’ailleurs, je n’ai même pas réécouté ; je pense qu’il me faut d’urgence quelques jours à plein temps à la maison ; qu’est-ce qui me retient d’aller chez le médecin, bon sang ?..)
22 mars
Répétition d’Henri/Joël, écourtée par l’arrivée de Gélase qui m’a remis le coffret de son exposition*. Pour mon anniversaire, Thierry m’a offert un coffret de cent CD vierges. Je les emploierai au deuxième numéro du Journal musical…
* avant vérification, il me semble qu’il s’agit de celle au Twilight Zone à Tournai où Laurent allait ensuite se produire à son tour (note du 18 novembre 2021)
25 mars
Répétition énième d’Henri/Joël, qui, comme à l’accoutumée, n’a commencé qu’après une heure d’apéritif, vin agrémenté de diverses « bricoles » dont des petites délicatesses au fromage cuits au four par Hermine avant qu’elle ne s’installe à notre table pour consulter un ouvrage sur les prénoms que Thierry lui avait offert. « Pour quand nous aurons un enfant. » « Tu n’as pas d’idée de prénoms ? » ai-je demandé à Hermine. « Si, mais je jette un coup d’œil, comme ça, encore que ça ne soit pas très sérieux. » « Et quels sont-ils ? » « Mathilde, Gaspard, Lucien, Camille. » J’ai découvert dans cet ouvrage que Gaspard est associé à Charles et que la couleur de Guy est le violet. Thierry m’a dit que Cécile venait de « cécité ». Tout cela était bien agréable, mais au bout d’une heure de papote et d’absorption de vin, j’étais un peu gris et n’étais pas sûr que ça soit bon pour mon timbre. Nous avons répété une bonne heure sans enregistrer. Denis a téléphoné pour annuler notre rendez-vous* : je n’ai pu écouter Fidéle et Emma, tant pis...
Je réfléchis à une nouvelle idée. Faire un peu de neuf dans le train-train de Journals. Une série, par exemple. (Je pourrais y glisser cela en guise de préambule : « Lavo des totes com’des prones ki guilent dinl birou dé stom’. Ya in tsé ko kalo nin, kim dit in filan daredare. Mi javo l’Cage Cévennes é li dins carette tro kil d’rouche rède. Rède sé rouche, kim dit. Rosbif spokène. Yèsse, mi sire. Ah ah. »)
* pris le soir où je lui avais fait le tirage du mah-jong (note du 17 novembre 2021)
12 avril
Thierry m’a parlé d’un concert qui se donnerait chez Léo le 19. Je n’étais pas au courant. Ma première pensée a été pour V. Il l’invitera sans doute. Comme à l’accoutumée, je suis pris entre l’envie de la voir et de ne pas la voir. Mais si je dois la voir, autant que je la voie seul. Aujourd’hui, je sais que j’y serai seul. Mais viendra-t-elle seule ? (Pourquoi m’a-t-elle parlé de son petit ami ? En y repensant, je me suis dit qu’il n’était pas impossible qu’elle l’ait inventé ou pour le moins que ce n’était pas le motif de son retard l’autre soir. Ou alors, elle a fait en sorte qu’il ne vienne pas. Mais aujourd’hui, je pense à l’éventualité qu’elle vienne avec lui. Qu’elle ne vienne pas alors. Je préfère la présence d’Éléonore (qui en vérité n’est pas une gêne : c’est moi qui invente cette gêne) à celle de ce garçon qui me paralysera. Je ne sais si elle vient véritablement pour moi, mais il est hors de doute qu’elle ne me quitte pas une seconde, et que la présence d’un tiers qui l’accompagne, comme son père ou sa mère, lui impose un comportement complètement différent, voire opposé. Pourquoi en irait-il différemment avec ce type ? Mais compte tenu de ce qu’elle m’a dit au sujet de la Bretagne et de ses week-ends en général, je ne suis pas du tout sûr qu’elle vienne, qu’elle soit libre tout simplement. Si elle vient, c’est que ce sera pour moi.
Je l’imagine bien en fabulatrice. (Pourquoi a-t-elle dit à Léo qu’elle avait trente-et-un ans alors qu’elle en a vingt-neuf ?) (Pour se vieillir, se grandir.) (Une idée incroyable : elle veut me faire sentir qu’elle a atteint le grandissement dont je lui avais tant parlé dans le livret que je lui avais destiné pour ses dix-huit ans, mais elle est maladroite, ne sait comment procéder, me parle en long et en large de son ami pour que je voie qu’elle est une femme maintenant.) (Et elle me dirait qu’elle l’aime, qu’elle l’adore ? Je ne changerai jamais…) (Ou alors, c’était pour voir ma réaction, me rendre jaloux…)
14 avril
J’ai passé tout le dimanche à la numérisation des cassettes tout en mettant à jour le Journal du site. Interminable…
15 avril
J’ai entrepris la préparation de l’intégrale des jours de 1989 à 2007. Je lis, relis, corrige, réécris. J’en suis au 3 janvier et rien ne particulier ne ressort. J’attends. (J’espère que rien n’est passé à travers ; je pense à l’instant à Berlin qui n’est pas encore mentionnée.) Toute réflexion faite, c’est peut-être la meilleure idée dans le sens d’une intégrale (le défaut est que c’est infini et qu’il faudra bien arrêter quelque part, c’est-à-dire à une année donnée) : la progression par jour en partant de « l’idée » (qui n’en est pas une : c’est une certitude, un fait fondé) que le cycle est une année et que le calendrier revient toujours au point de départ, c’est-à-dire le 1er janvier. Ainsi, antienne, tous les 1er janvier se confondent et n’en font qu’un. À partir de là, procéder comme je le fais pour Journals, c’est-à-dire, si nécessaire, le montage pour aboutir à un tout structuré pour un jour donné. Il est souhaitable, et même indispensable, qu’il n’y ait pas de chronologie*. Pendant ce temps, Lustre attend. Mais comme il reste deux euros sur le compte… (Je viens de vérifier pour Berlin : les notes apparaissent le 4 janvier. Ouf…)
* je me trompais ; ce qui importe, c’est que chaque jour soit un tout cohérent comme s’il s’agissait d’une seule journée, chronologie ou pas – et c’est sans aucun doute toute la diffculté de l’opération (note du 18 novembre 2021)
19 avril
Je poursuis la lecture de l’intégrale, mais je vais vite renoncer. C’est interminable, c’est un travail monumental, et, parvenu au 7 que j’ai entamé cette nuit, je me demande si tout cela a un intérêt, un sens. Un volume par mois, douze volumes, le tout devrait représenter quatre mille pages au bas mot. De nombreux passages figurent dans les livrets, réécrits, travaillés, il n’empêche. Il faudra un an rien que pour la lecture. Puis il y aura l’écriture, la réécriture. Et que tirer de tout cela ? Que laisser ? Je relis des passages dont j’avais tout oublié, intimes, dont la présence m’étonne beaucoup, mettant en cause Éléonore. Cette intimité absente des Journals doit-elle figurer dans l’intégralité ? En-dehors de la réflexion sur le temps que ce travail constitue (et c’est le but premier), l’intégralité doit-elle être aussi une révélation, une divulgation et, au-delà, une confession ? (Mais la fiction peut résoudre le problème. Et puisque ce gigantesque texte est destiné à la publication « professionnelle », qu’ai-je à faire des lecteurs qui ne me connaissent pas ?)
J’avais fait la première impression de Lustre VI encore inachevé. Hier, au bureau, j’ai entamé la lecture de la première page, ne l’ai pas achevée. J’étais écœuré. Cette nuit, après avoir passé la soirée devant la télé à regarder n’importe quoi, j’ai achevé la lecture du 6 janvier avant d’entamer celle du 7. Identique écœurement et je tombais de fatigue devant l’écran. Il était deux heures et demi du matin, je suis allé me rouler une cigarette, suis descendu tout éteindre et, une fois remonté, suis tombé sur les pages imprimées de Lustre VI posées sur mon second bureau. J’ai entamé la première page pour poursuivre jusqu’au tiers du tout et ai emmené le reste au lit. Je l’ai achevé ce midi après le petit déjeuner. Ça me plaît. Je vais passer à la préparation en Quark…
J’ai passé toute l’après-midi à Lustre VI que je peux considérer comme presque achevé. Après une heure face à un téléfilm bête, je suis remonté pour poursuivre Lustre.
En début d’après-midi, je suis allé chercher deux photos de *** pour jouir d’elle. Dois-je vraiment faire figurer ce genre de détails dans le journal ? Est-ce indispensable ? (Jouer avec le feu ?)*
Alors que je lisais, m’est venu à l’esprit qu’il était parfaitement vain de tenter de lutter contre le journal. Je dois reconnaître, et admettre, qu’il m’est indispensable, vital. Je suis le journal…
*je ne m’en étais pourtant pas privé dans certains journals publiés (note du 18 novembre 2021)
26 avril
Mercredi soir, au Blockhouse, beau concert de Tricotépied que j’ai enregistré avec des problèmes techniques liés au boîtier de piles de secours. J’ai annulé la répétition avec Thierry, je tenais à passer la soirée seul à la maison. Vendredi soir, vernissage de l’expo au Twilight Zone à Tournai avec Laurent qui y a fait une performance, j’ai enregistré. Repas ensuite au Beffroi, Laurent m’a longuement parlé de Bollywood.
J’ai oublié les traductions que m’a proposées Éléonore et dont je dois terminer le plus gros avant demain, ce qui fait que je n’irai certainement pas écouter Sur le Tas ce soir au Blockhouse (Laurent joue décidément beaucoup)…
9 mai
Mardi passé à Lustre VI et à Lustre VII, ça a été une très bonne journée. Mercredi soir chez Arsène. Aujourd’hui après-midi, Henri-Joël, une prise finale qui sera sans doute la bonne. Quoi d’autre ? Éléonore rentre samedi. J’ai passé un long moment hier à constituer le CD promis à Gélase, c’est-à-dire les enregistrements où figure Donald. J’en ai remis une copie à Thierry, je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée. Je suis en train de mettre à jour le Journal du site…
23 mai
J’ai bricolé à l’ordinateur, suis passé chez Thierry pour que nous écoutions ensemble les trois prises que j’avais sélectionnées. Hermine m’a parlé de ses difficultés liées à son travail. Je n’ai pas su refuser deux verres de vin…
25 mai
Je suis allé « chez Mathieu » à Lambersart où se produisait Luzerne*. C’est un luthier dont l’arrière-boutique sert occasionnellement à des concerts. Une trentaine de personnes, un bon buffet. En première partie, un duo remarquable de Christian (Pruvost) et d’un inconnu à la contrebasse. Puis Luzerne. Ça s’est nettement amélioré, ils ont désormais deux choristes dont l’une est la sœur de Sakina (que du reste j’ai prise pour elle en arrivant – mais ma vue baisse n’est-ce pas ? je le remarque depuis quelques jours). « C’est de la pop moderne », ai-je dit à Laurent. Faux twist, faux slow, mélange des clichés du genre, clin d’œil, pastiches, des accents à la Zappa, à Gong (dixit Léo), et du « free » avec souvent d’étonnantes ruptures de ton, de rythme, de mode. Ça manque d’assise ; le son, non contrôlé, était brouillon, mais c’était réjouissant. Je suis en train d’achever la copie, en suis au désormais fameux « morback »…
* groupe de Michaël Potier dans lequel joue Laurent (note du 18 novembre 2021)
30 mai
Thierry m’avait demandé si j’avais des photos de V., j’ai dit : « oui, deux ». Je viens de les tirer de son cahier, les ai scannées, les lui ai envoyées. J’ai longtemps fixé la première sans croire qu’il s’agissait d’elle, sans croire à cette journée-là, Erlangen, il y a quatorze ans. Tu vas avoir trente ans. Comment se fait-il que durant ces deux journées-là, passées avec toi, je n’avais rien perçu, m’étais comporté avec toi comme avec n’importe quelle autre fille au monde ? Mais est-ce vrai ? C’est drôle, mais le premier souvenir qui me soit instantanément revenu, c’est le Tabucchi dans le bac des livres d’occasion dont je t’avais demandé d’aller demander le prix à l’intérieur…
Je passe mes journées avec toi. Je passe mes journées à penser à l’intégrale qui, petit à petit, prend de la consistance, de la réalité, de l’intérêt. Je passe donc ces journées avec toi. Il me semble que je ne dois pas te détacher du reste, te détacher de ma vie pour te faire un texte, un livre à part qui ne soit consacré qu’à toi. Je pense que tu prendras plus de force au sein du reste de ma vie...
C’est vrai que je ne pense plus qu’à ça, à l’intégrale. J’en suis au 15 janvier. J’ai calculé que la totalité fera aux alentours de six mille pages. Combien de temps vais-je mettre pour arriver au bout ? Mais il me semble de plus en plus que c’est là l’idée, la seule idée, la solution. Je ne devrais plus me consacrer qu’à cela, et j’ai pensé qu’il était dommage que l’idée ne m’en soit pas venue plus tôt, c’est-à-dire avant le 1er janvier de cette année, cela m’aurait permis de ponctuer cette année-ci de chacun des jours de la totalité…
Du coup, le journal courant est un peu relégué au second plan…
2 juin
Je cherche des prénoms de substitut pour les « personnages » du Journal en mai. Ai-je dit que ce sera le titre de l’intégrale des vingt ans ? Le journal d’un homme en mai était le titre du journal amoureux, c’est-à-dire celui principalement consacré à V. Il ne dépareillera pas pour ce texte dont l’immensité du labeur qu’il exigera ne me fait plus peur. Et puis, je le trouve trop beau pour être abandonné puisque le journal de V. sera intégré à la totalité... Je ne sais que faire pour Éléonore, changer son prénom ou non. Pour l’heure, à quelques exceptions près, je me fie un peu au hasard pour les nouveaux baptisés. Sur la route du retour, j’avais allumé France Culture. Je n’écoutais pas vraiment, mais à un moment donné il a été question des prénoms bibliques ; de là, l’idée de m’appuyer sinon sur la Bible (pourquoi la Bible ? quel sens aurait-elle pour moi puisqu’elle n’en a pas ?), du moins sur un texte de référence. J’ai pensé à la mythologie grecque, mais de la même manière quel rapport avec moi ? Quoi qu’il en soit, il ne faut pas qu’ils soient livrés au hasard…
6 juin
Depuis lundi je suis tout à l’intégrale. Néglige le journal, y pense à peine (mais je ne pense qu’à ça), m’en fous. Mais tout de même…
9 juin
Douchka aspire, la stagiaire traduit, le soleil luit. Je suis le 3 février (et c’est « être » : je suis le 3 février) et je jubile. Il y a le 3 février un passage absolument extraordinaire que j’avais complètement oublié et qui me transporte totalement. L’aide, le manque, V., Mia !...
Je lis à l’instant : « Vais-je faire le vide autour de moi ? À commencer par le contenu des journals, c’est-à-dire publier Le Vin et La Cure en totalité. Dégraisser l’intégrale en quelque sorte. »
J’en suis au 4 février et saisis ce qui lui correspond dans le journal de V., 1995, et je n’en reviens pas de ce que j’ai écrit (de la même manière que le rapport de la veille, tout aussi ahurissant – pas le moindre souvenir –, mais tout aussi beau). Et je note cette bizarrerie où, étrange et inexplicable confusion des dates, j’écris le 11 février pour le 4 ! Onze février ! (Je suis passé chez Fanny dans l’après-midi : elle passe un scanner le 11…) C’est ce que je retrouve dans l’intégrale le 4 février...*
* je ne comprends pas, quelque chose m’échappe (note du 18 novembre 2021)
12 juin
Excellente répétition avec Thierry, contre toute attente dans la mesure où je commençais un peu à en avoir assez et où les dernières avaient été un peu laborieuses et, je dirais, vaines. Tout à coup, je ne sais comment, Henri/Joël a pris un tout autre caractère et est devenue vivante. Elle respire et je m’y sens beaucoup mieux. C’est ma fête aujourd’hui. Ceci peut-il expliquer cela ?...
15 juin
Dans la nuit, tandis que sous cette page se déroule le 17 février* : j’ai travaillé à une petite traduction, et le reste du temps, à l’intégrale, mais peut-être devrais-je dire plus justement puisque tout n’y sera pas, Le journal d’un homme en mai. 17 février, je suis à la table du séjour avec ce qui va constituer l’équipe technique de Cheap cheap (je ne suis pas sûr d’avoir parlé de la bande-annonce que m’a montré Wilfried, si ?). Je ne pense plus qu’à ça du matin au soir. Combien de temps cela va-t-il durer ? Et si cela dure, combien de temps me faudra-t-il pour, dans un premier temps, parvenir au 31 décembre ? Et après, puisque bien sûr cette chose sera destinée à la publication professionnelle : « Bonjour, voilà, j’ai un livre de cinq mille pages en douze volumes, quand commence-t-on ?... »
* je devais sans doute écrire à l’écran (note du 18 novembre 2021)
16 juin
Je travaille à L’homme en mai, en suis au 20 février. Il y a un long passage consacré au retour d’Éléonore ; ça ne marchait pas bien, mais, une fois le « elle » transformé en « tu », cela a pris une toute autre dimension. De là, l’idée d’ajouter un second « tu » qui coïnciderait et se confondrait avec celui attribué à V. jusqu’à présent. Ce n’est que juste…
La poste, retour à la maison, Mizoguchi, L’élégie de Naniwa après le très beau Contes des chrysanthèmes tardifs hier. Scènes commentées par Charles Tesson, commentaires éminemment précieux qui tout à coup éveillent en moi l’idée d’écrire et de construire L’homme en mai comme un film. Je ne sais pas bien ce que ça veut dire, mais c’est ce qui m’est passé par l’esprit…
18 juin
Il est drôle de constater qu’en un « même » jour, il y ait, par exemple, plusieurs visites chez maman, ou le cours latin, ou le cours à Marian. Vais-je laisser tel quel ? Une question aussi : faut-il dévoiler dès le départ le truc de la construction ou, comme je l’ai toujours fait pour Journals, n’en rien dire, laisser le lecteur se débrouiller. Cela change-t-il quelque chose à la lecture ?
Je lis cette chose étonnante dans le 28 février : « Nous arrivons trop tard pour le récital de Dino accompagné d’un violoncelliste/contrebassiste (et scieur musical, nous y aurons droit en fin de soirée, j’ai enregistré). » Où est cet enregistrement dont je n’ai pas le moindre souvenir ?...
Au soir, je me suis remis à L’homme en mai ; je déchante un peu. Où vais-je ? Où cela va-t-il me mener ? C’est le brouillard, cette tâche est colossale, pratiquement irréalisable. Autant jusqu’à présent, je parvenais plus ou moins à décider rapidement de ce que je devais conserver ou non, autant aujourd’hui ça a été l’indécision la plus complète. Il me faut une ligne directrice, un ton, une construction. Le 25 février que je viens d’achever serait, en toute logique, à rayer (mais pourquoi pas ?). Je vais tenter d’entamer le suivant, histoire de ne pas me coucher dans la désillusion…
19 juin
J’en suis au 2 mars, Dunkerque, le wam. Qu’en faire, et surtout dois-je le mettre à sa place, c’est-à-dire la veille, le 1er, ou respecter l’écrit : qu’est-ce qui prime, la date de l’écrit ou celle de l’événement ? En outre, le rapport de Dunkerque se fait sur au moins deux jours. Est-ce que je regroupe tout au 1er mars ou non ? Ou est-ce que je fais l’impasse en considérant qu’il a fait l’objet d’un livret à part ? Le cas va souvent se reproduire, le plus délicat sera Prague et Lucca puisque le journal, dans ce cas, n’existe plus et que nous y sommes des personnages. Et je pense à l’instant à Gloom pour qui le problème va aussi se poser...
Je lis au 3 mars cette chose qui me fige : « Je compte t’offrir le journal 1929*. Qui sera achevé le 24 avril. » Aussitôt, je me retourne, l’attrape, l’ouvre et en lis des pages et mon cœur bat. Quel beau cadeau ce serait pour elle, et quelle belle chose que j’avais complètement oubliée ! Réussirais-je à m’en séparer, saurait-elle l’apprécier à sa juste valeur ? Je suis complètement bouleversé par cette « découverte », par cette idée, par ce que je tiens dans les mains, que je tourne et retourne et ouvre et referme et qu’il me semble indispensable de lui offrir, que je vois bien entre ses mains. Est-ce que ton cœur battrait sans raison si tu en lisais les pages ?
* c’est un magnifique agenda de bureau de 1929 trouvé aux puces. Il était vierge et je l’avais utilisé une année durant en occultant l’identité de son rédacteur ; les faits rapportés étaient ceux de ma propre vie, mais rédigés comme s’ils l’avaient été cette année-là : c’est un journal de 1929. V., personnage fictif pour l’occasion, en est évidemment le centre (note du 17 novembre 2021)
21 juin
Salut les musicos. Laurent se produit ce soir à Béthune, je n’irai pas. Je ne veux plus cautionner cette mascarade…
22 juin
Je poursuis L’homme en mai, en suis au 8 mars. Je suis aux passages qui attendent dans Dot 8 depuis un ou deux ans et qui m’avaient donné beaucoup de fil à retordre. Je m’aperçois ici que c’est beaucoup plus facile et, de là, me rends compte qu’un certain ton que je refuse dans les Journals (ou pour le moins qui ne me semble pas convenir) passe très bien ici. J’ignore pourquoi…
30 juin
Je suis passé chez Léo. Nous avons pris un café avec des pâtisseries au frais de sa pergola. Je lui ai parlé de mon « grand projet », L’homme en mai. Il est impressionné…
4 juillet
« Être en mai : être pris dans les fils du temps. » On peut se figurer une toile, c’est-à-dire un ensemble de cercles concentriques, chacun représentant une période de temps, minute, jour, mois, année, importe peu. Ce qui importe, c’est que l’ensemble de cette toile représente le temps. Ailleurs, l’auteur parle d’un point, mais un point peut se réduire ou s’augmenter, et à distance, la toile est vue comme un point. Reste à savoir à quel point de cette toile se situe l’auteur. En toute logique, on peut penser qu’il en occupe le centre – étant ainsi proie et prédateur, le constructeur de cette toile dans les filets de laquelle il sera pris. On gardera donc l’idée d’une suspension, d’une immobilisation du temps, et, à bien y réfléchir, importe peut le point qu’il occupe puisque toutes les périodes se valent. En vérité, il les occupe toutes en même temps et il est donc lui-même la toile, il concentre en lui tout le temps qu’il va s’efforcer de concrétiser, ou plus exactement de représenter, d’exprimer…
5 juillet
J’ai « achevé » le mois de mars, vais aborder avril. Dans « un mois », je serai en mai, là où tout va véritablement commencer. Que va donner la confrontation de toutes ces choses juxtaposées et principalement Éléonore et V. qui en sont et en seront les « vedettes » ?...
6 juillet
À l’image du temps, je ne vais pas fort : nez qui coule, gorge qui pique, vertiges, douleurs aux genoux et aux mollets. Je m’efforce de m’attacher à L’homme en mai qui, je l’avoue, commence à m’indisposer. Je suis un peu étourdi face à cette tâche qui jusqu’à présent consiste à du débroussaillage. Que conserver, que rayer ? Par moments, je me sens agir comme avec les journals et ce n’est pas bon. J’en suis au 4 avril…
8 juillet
Je suis au bureau, le service est désert, je suis le 11 avril où je relève : « C’est pas mal, Amélie. Qui pourrait s’appeler Amélie dans mon Mai ? (Fanny ? Couple pas mal : Léo et Amélie…) » Mais je ne suis pas sûr qu’Amélie convienne à Fanny…
Pour Marc, par exemple : Rodolphe. Autres prénoms : Igor, Marcel. Trouver de beaux prénoms, charmants, enchanteurs. Puiser chez les auteurs, musiciens. Fédor. (Je cherche des prénoms pour tous mes petits enfants.) Autre chose : avant vérification, l’année 1989 ne concerne que le vin et si je décide, comme je pense le faire, de l’ôter de Mai, il faudra que je ne compte pas cette année dans la période des vingt ans et donc que j’ajoute l’année 2009. Ce n’est pas un problème dans la mesure où je serai loin d’en avoir terminé avant 2009 et, en outre, je pourrais faire en sorte, si je parviens à achever le débroussaillage avant le 31 décembre de cette année, que l’année 2009 ne soit consacrée qu’à Mai et que chacun de ses jours soit celui de Mai, c’est-à-dire que le 1er janvier 2009 sera consacré au 1er janvier etc…
9 juillet
Pour les prénoms des « personnages » de Mai : s’aider des saints correspondant à leur jour de naissance…
21 juillet
J’avais déclaré que ce serait l’ultime répétition. Nous avons fait quatre prises et dès la première, nous avons senti qu’il se passait quelque chose d’inédit. Les trois suivantes ont confirmé. Nous les avons écoutées. C’est sans aucune commune mesure avec toutes celles qui ont précédé : cohésion, ensemble, justesse, et pour ma part, je ne me suis jamais senti aussi bien dès les premières notes. Je les ai copiées il y a une heure, les ai réécoutées. Ce n’est pas parfait, mais il est hors de doute que ce sont celles-là que nous conserverons. Je tâcherai de faire un montage en prélevant les meilleurs moments*… Est-ce terminé pour autant ? Nous ne l’avons pas franchement décidé. Nous ne nous voyons pas cette semaine, hormis pour le tarot. Après cela, je ne sais pas. Ça pourrait s’arrêter là, mais j’ai comme un pincement à l’idée que ces répétitions régulières s’arrêteront. J’aimerais qu’elles se poursuivent, que nous nous revoyions pour autre chose. Mais quoi** ?...
* il n’y aura ensuite plus aucune mention à Henri/Joël et la date qui figure dans la liste des enregistrements est le 18. C’est donc à partir des prises de ce jour-là que j’avais constitué la version définitive d'Henri/Joël
** j’avais pensé écrire d’autres duos, mais Fauré allait bientôt me devancer (notes du 17 novembre 2021)
22 juillet
Hier, j’ai tenté de me recoller à Lustre, le VII en l’occurrence. J’ai beaucoup de mal, et je m’aperçois que le fait d’être sur L’homme en mai transforme la vision que j’ai du journal, ou pour le moins de sa version publiée telle que Lustre qui est encore trop proche du journal…
29 juillet
J’allais oublier la répétition avec la jolie Cécile, hier, à la maison. Nous avons consacré une petite heure à Alida qui, je le crains, va lui donner beaucoup de fil à retordre. Elle avait un petit maillot blanc qui dégageait bien sa poitrine, une petite robe légère dans les tons mauve et rose. Je me suis efforcé de ne pas en être troublé. Nous nous revoyons vendredi. Nous avons longuement parlé du problème de l’alcool chez Thierry…
Je poursuis le Journal en mai. J’en suis au 20 mai. Je n’en ai pas encore assez. Pendant ce temps, Lustre VII attend…
3 août
Je n’ai pas dit le moindre mot sur la mort de mon père, je ne l’ai même pas signalée dans le journal. Du reste, il n’existait plus à ce moment-là, je l’avais arrêté au cours de l’année 1991 pour le reprendre en 1993*. Il n’y a absolument rien de rapporté de l’année 1992 et donc la mort de mon père est comme inexistante…
* en réalité, du 30 septembre 1991 au 4 novembre 1992 ; mon père est décédé en juillet 1992 – et la date exacte m’échappe tout à coup ! (note du 21 novembre 2021)
8 août
Cécile était dans le bureau d’Éléonore, à papoter. Je l’ai emmenée au rez-de-chaussée, ai mangé un morceau, nous avons pris un thé et, après avoir réussi à nous débarrasser d’Armel* qui tapait du poing sur le piano, nous nous y sommes mis. Elle avait travaillé, a très bien passé le cap difficile du demi-ton mi bécarre, nous avons vu une bonne moitié de la pièce qui, avec sa voix, me plaît beaucoup. Elle en fera quelque chose de très beau. Sa voix est aussi délicieuse qu’elle l’est. J’étais très content. Nous nous revoyons la semaine prochaine. À la fin de la répétition, elle assise sur le tabouret du piano, moi debout de l’autre côté, je lui ai parlé de ma mère. Je pense qu’il se passera encore longtemps avant que je ne parle plus d’elle. Mais peut-être ne cesserai-je jamais de parler d’elle**…
Alors que je préparais le repas, le téléphone a sonné, le gris, l’appareil interdit qui me fait encore sursauter et il me faut une demi seconde avant que je ne prenne conscience que ce n’est pas ma mère, que ça ne peut être elle, que ça ne sera jamais plus elle. Ce n’était pas elle, mais Richard. Quelle surprise ! Je le lui ai dit. Il recherche des musiciens pour un film. C’est pour le 4 septembre. Je lui ai dit qu’il était plus à même de trouver des musiciens, mais (comme si ça expliquait tout) il s’agit de musiciens classiques. Il a besoin de violons, d’un violoncelle, d’une contrebasse, d’un chanteur (ou chanteuse ?). « Pour la contrebasse, il y a Valérie. » « Valérie qui ? » « Eh bien, Dubus. » « Ah bon, elle est contrebassiste ? » « Bien sûr. Tu ne te souviens pas des enregistrements que nous avons faits chez elle ; c’est toi-même qui enregistrais ? » « Non, je pensais qu’elle était pianiste. » Comment a-t-il pu oublier cela ? Je lui ai dit que nous nous apprêtions à passer à table, je le rappellerais. Il m’a rappelé une heure plus tard, cela m’avait donné le temps de penser à des noms. Nous avons parlé comme deux vieux complices (nous le sommes, d’une certaine manière), il m’a remercié à deux reprises. C’est pour dans un mois. Compte-t-il vraiment trouver six musiciens en plein d’août pour cette date ?...
* l’un des petits-fils d’Éléonore, il passait quelques jours à la maison
** elle venait de décéder (notes du 17 novembre 2021)
16 août
Cécile était dans le bureau d’Éléonore en compagnie de Doris ; ou bien n’était-elle pas encore arrivée ? Oui, elle n’était pas encore arrivée. Doris était dans le bureau d’Éléonore, puis Cécile est arrivée et est montée. En même temps, j’ai l’impression qu’elles étaient déjà là toutes les deux à bavarder. Ce n’est qu’une heure plus tard que nous sommes descendus. Nous nous sommes installés au piano, elle m’a avoué qu’elle n’avait pas travaillé, nous avons tout de même avancé, mais, au bout d'un moment, je me suis rendu compte qu’elle n’avait pas la tête à répéter ; elle avait plutôt envie de parler. Elle m’a alors parlé de ses rapports tendus avec Gervaise, de sa volonté et de sa difficulté à établir et consolider un territoire autour de ses amis, Thierry en l’occurrence, mais Gélase aussi qu’elle ne voit plus à cause de Gervaise qui se l’est accaparé. Il y avait là quelque chose de l’adolescence, et je lui ai parlé de mon comportement identique, à une époque, celle de l’adolescence précisément, en me demandant si plus tard, je n’avais pas eu la même attitude, celle liée à la peur que des nouveaux venus entrent dans mon territoire d’amitié pour l’investir et m’en chasser...
17 août
Je suis enlisé dans Lustre VII qui me semble d’une médiocrité totale. Je sais, combien de fois l’ai-je dit. Il n’empêche…
18 août
Je suis toujours bloqué sur Lustre VII. Que faire de Venise ? Et maman (j’ai été tenté, à un moment donné, de ne consacrer ce numéro qu’à elle) ? Tout en lisant Murakami, je pensais à une manière d’introduire la musique, les commentaires des livres, des films, qui éloignerait l’intégrale de moi. Les mettre dans la bouche de Gabriel, par exemple. Quoi qu’il en soit, je n’ai mis le nez ni dans l’un ni dans l’autre. Lustre n’est pas près de sortir, et je fais toujours preuve du même manque d’énergie face à La Barge et au deuxième numéro du Journal musical. Le Lys n’est pas loin de la fin. Je vais tenter de terminer le rapport des livres pour le site…
1er septembre
Drôle de journée qui m’a semblé d’une inutilité complète. Tout d’abord, je me suis mis en tête d’appliquer un nouveau plan de réduction de tabac : toutes les deux heures. Ça a marché jusqu’à cette heure-ci, 23 h 00 où je viens d’allumer la septième qui normalement devait l’être à 23 h 45. En vérité, je n’ai pas la moindre envie d’écrire, ni de rapporter quoi que ce soit. La vérité est que je suis complètement perdu. J’ai tenté de me remettre à Lustre VII cette nuit, puis en début d’après-midi aujourd’hui. Rien à faire. Ça me taraude, me mine et du coup, tout me semble d’une inutilité complète. Alors, je traverse la journée comme un zombie. C’est ce qui s’est passé aujourd’hui, et le mieux serait que j’en arrête là et tâche de me mettre à autre chose. Mais à quoi ? Nous sommes début septembre, j’avance dans L’homme en mai sans savoir quoi en tirer, qu’en faire, je continue parce qu’il y a quelque chose de mécanique dans cette tâche et que je n’ai pas à réfléchir : j’élague, débroussaille. Mais encore ? Jacques, après deux mois de silence, m’a envoyé un mail. Il me demande des nouvelles de mon entreprise dantesque, flaubertienne. C’est le « flaubertien » qui m’a fait tiquer car j’y ai aussitôt vu quelque chose de testamentaire, je veux dire que j’ai rapproché Bouvard et Pécuchet inachevé de L’homme en mai et, par bête superstition, j’ai pensé que ce serait mon ultime travail et que je ne l’achèverais pas. Dois-je le poursuivre ? En même temps, il y a Lustre, il y a La Barge qui attend dans ses cartons que je veuille bien le massicoter et l’apporter chez le façonneur, il y a le Journal musical complètement laissé en plan (et Cécile vient demain pour la suite d’Alida, Thierry me demande des nouvelles d’Henri/Joël). Qu’est-ce que je dois faire ? Suis-je épuisé, fatigué, las ?... Que puis-je ajouter ? Il est minuit et demi et je n’ai pas le moindre goût pour quoi que ce soit.
2 septembre
Répétition avec Cécile en fin d’après-midi. Alida se met petit à petit en place. Elle m’a particulièrement troublé (Cécile)…
7 septembre
Je suis monté pour poursuivre L’homme en mai. C’est exactement ce qu’il me faut dans mon état. En outre, je fume. Je ne vais pas m’embarrasser de ce type de contrainte alors qu’il y a peut-être quelque chose de fatal qui se prépare dans mon corps. De nouveau, je pense au caractère testamentaire de L’homme en mai : entreprise d’une œuvre colossale qui ne verrait jamais son aboutissement. Pour l’amener à son terme, il faut que je vive, et longtemps…
10 septembre
Je n’ai toujours pas remis le nez dans Lustre VII : je poursuis toujours aussi vaillamment L’homme en mai qui, pour l’heure, me tient. J’en suis au 3 juillet. J’ai hâte d’avoir rattrapé le temps, c’est-à-dire de faire se coïncider sa date avec la date actuelle (que tout cela est mal formulé)…
11 septembre
Une histoire de fuite et de sani-broyeur, puis une autre d’une personne – en l’occurrence, Laura – qui prend une douche après la réparation dudit sani-broyeur, puis une autre d’un homme – en l’occurrence, moi – qui rentre pour constater que ledit sani-broyeur fonctionne bien, mais que la douche est bouchée et qu’il y a une fuite à l’évacuation. Catastrophe. Cécile doit arriver, j’éponge comme je peux, descends, l’attends, je suis contrarié, le temps passe, elle arrive en retard, elle-même est contrariée par son travail, et fatiguée, nous sommes là comme deux imbéciles à nous regarder en nous demandant s’il ne serait pas raisonnable d’annuler la répétition et à la place prendre un verre. C’est à ce moment-là que l’on sonne. C’est Jaouen avec un rouleau de papier à la main, une photographie de toute évidence. « C’est une photo pour Laura. » « Elle est partie il y a deux heures pour l’Argentine. Mais entre. » Il entre, s’assoit, je lui sers une vodka et à moi un verre de vin. Puis Éléonore rentre, puis Jaouen part, il est 19 h 00 lorsque nous entamons la répétition, un peu molle de part et d’autre comme on pouvait s’y attendre… Cécile avait un magnifique ensemble, chemisier et longue jupe noire qui lui allait à ravir ; sa coiffure de même avait quelque chose de changé, et comme un idiot, je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui dire que je la trouvais particulièrement ravissante. Elle me trouble de plus en plus et la proximité – quoique toute relative – qu’impose ce type de répétition y aide beaucoup. Elle passe la semaine prochaine en Irlande avec son père, pour pécher*. Ils partent ensemble en voiture, elle reviendra seule en avion, ça l’effraie ; pas l’avion, mais la perspective d’être seule dans un pays dont elle ne connaît pas la langue. Cela m’a étonné de sa part… Quoi qu’il en soit, Alida se met en place petit à petit…
* « pêcher »... coquille intéressante (note du 18 novembre 2021)
23 septembre
Répétition d’Alida avec la libellule qui bat de ses ailes et embaume l’air de sa présence. Elle est plus ravissante que jamais, toujours aussi « énervée » pour reprendre son terme, toujours aussi bien mise, de ces vêtements entre chic et décontraction (une décontraction chic) qui l’auréolent. Où peut-elle bien les trouver ? Nous avons pris le thé dans la cuisine, elle m’a montré en rafale les centaines de photos et les quelques vidéos qu’elle a prises en Irlande. Elle était enchantée. Elle était assise avec son appareil, j’étais debout derrière elle, presque contre, étais troublé. Comme elle avait oublié sa partition, je suis monté lui en imprimer un exemplaire, temps qu’elle a mis à profit pour montrer lesdites images à Éléonore. Je les ai retrouvées dans le bureau de la seconde, en ai profité pour les prendre en photo. Tout cela a fait que nous avons commencé une heure et demie après son arrivée. Alida avance tout doucement, mais sûrement…
29 septembre
Antek fêtait ses cinquante ans chez Léo. J’ai échangé quelques mots avec Marian, puis parlé avec Humbert, puis Hermès. Hermès m’a dit qu’il s’était remis de sa paranoïa, puis nous avons parlé du temps qui s’écoule, des êtres qui nous entourent ; il parlait d’un « déplacement de l’espace-temps qui déplacerait d’une manière identique des groupes de personnes dont les amis font partie » (pas très clair). J’ai remis à Antek les deux cadeaux que je lui avais confectionnés : le cadre du 26 septembre imprimé en corps 3 (très bel effet qui m’a fait me demander si je ne pouvais pas l’appliquer à tous les jours de l’année et ainsi constituer tout le contenu de Journals sous forme de trois cent soixante-cinq cadres – une exposition ? vais-je devenir artiste ?) et d’un disque intitulé Cinquante qui est composé de cinquante morceaux du Journal sonore chacun étant la cinquième minute de cinquante disques prélevés selon la règle des nombres de l’alphabet appliquée à son nom. Le cadre l’a impressionné, lui a plu et a suscité la curiosité de tout le monde ; il est vrai que l’ensemble, avec le cadre aux bords argentés et le papier ivoire, est très beau…
5 octobre
L’entreprise du Journal en mai ne faiblit pas d’un pouce. V. en est le moteur. J’ai toujours la même impatience à découvrir le contenu du jour suivant. Je reste toujours aussi sidéré par la médiocrité et le ridicule de mon style en 1994. C’est proprement effarant…
8 octobre
Je travaille bien à Lustre VII tout en poursuivant avec jubilation (oui !) L’homme en mai. Je tâche de ne pas trop penser à la démesure de ce gigantesque projet. On verra.
On dirait que les choses reviennent. J’ai décidé d’offrir l’enregistrement de Copreaux à Hermann pour son anniversaire (il est trop « personnel » pour que je songe à en faire un numéro du Journal sonore comme je pensais le faire au départ). Je l’ai revu, réécouté. Du coup, j’ai envie de me remettre au son. Un article dans Le Monde consacré au Japon qui échappe à la crise me donne l’envie de m’y remettre aussi…
25 octobre
Hier, Cécile jolie et Alida (jolie aussi). Ça n’a pas été très concluant. En arrivant, elle m’a appris qu’elle avait cessé de fumer et que c’était la « catastrophe » : elle avait éclaté en sanglots dans sa voiture, se sentait au bord de la dépression. Cela m’a étonné jusqu’à ce qu’elle me dise qu’elle prenait je ne sais quelle substance idoine. « Jette ça par la fenêtre, et remets-toi à fumer, ou ne fume pas, mais jette ce machin, c’est ça qui te détraque. » Sa voix était toute menue et fragile, mais sur la fin elle a tout de même réussi à chanter Alida a capella sans fautes et très près de la justesse pour les deux ou trois passages difficiles. En la dévisageant, j’ai remarqué qu’elle avait les lèvres très fines, quasi inexistantes. Ou était-ce la pénombre de la fin d’après-midi ?...
31 octobre
Je suis allé chez Thierry pour une sorte de réunion : je devais voir Denis pour ses pièces (il n’avait pas pris les partitions !) et Alida avec Cécile. Denis est d’accord pour s’occuper de la partie purement technique avec elle. Puis ils ont répété, énième mouture de Dans La Cuisine. J’ai enregistré (pour m’apercevoir que la nouvelle batterie ne tient pas plus de trois quarts d’heure ; ça risque d’être un gros problème pour des enregistrements de concert). Nous avons ensuite fait La Javanaise à quatre a capella. Thierry était assez saoul en fin de soirée…
15 novembre
Une carte postale de Laurent pour me parler de sa lecture de Lustre VII. Il conclut par cette formule : « terriblement sincère »...
16 novembre
J’ai travaillé aux notes de Venezia. Au soir, soirée chez Gélase qui devait nous remettre le livret tiré de son exposition avec Gervaise et Thierry. Apolline et Jaouen sont passés nous prendre. Il y avait en outre Hermine, et, comme il se doit, Thierry et Gervaise. Carbonnade, quelques vins dont le St Joseph que j’avais acheté chez Géant récemment (pas mal). Nous avons refait le monde en riant. Le livret est un petit portfolio de sa fabrication, des photos de filles et de femmes de Wazemmes chacune d’elles racontant une histoire. Y est joint un CD de Thierry que je suis en train d’écouter. Bien…
17 novembre
Je ne voulais pas y aller, vraiment, au fond de moi, je ne voulais pas aller chez Léo où j’allais te voir, où tu aurais été parmi d’autres, où j’aurais été de nouveau emprunté, stupide, empoté, à ne savoir comment aller te parler, à me demander comment j’allais te parler, ce que j’allais pouvoir te dire, à être incapable d’être naturel avec toi. Pourquoi ne suis-je pas naturel avec toi ? À chaque fois que je te vois, j’ai la même crainte, et puis nous nous parlons, je me fais à ton corps devant moi, et me dis que je vais parvenir à être tout à fait naturel et à chaque fois je n’y parviens pas. Alors, si je ne peux être naturel avec toi, c’est-à-dire te considérer désormais comme n’importe quelle autre personne, autant que je ne te vois pas. Et Éléonore serait avec moi et, quoi que je dise, ça me bloque, même si je sais qu’elle n’y attache pas d’importance (c’est du moins ce qu’elle dit, ou me laisse supposer). Puis il y a eu ma décision, à quelques jours de ton jour de naissance, à ce moment où j’avais découvert ton site et que je m’étais rendu compte que tu avais ta vie et que je n’avais rien à y voir, de tirer un trait et de ne plus te considérer que comme une sorte de substitut de toi-même, une autre toi qui n’aurait plus de rapport avec la précédente, celle que j’aimais, et qui donc était une autre personne. Puis il y a mon travail qui me fait aller à la recherche de tous les faits et gestes, pensées et paroles qui te sont liées, qui m’accompagnent tous les jours depuis plusieurs mois, qui sont donc toi, fille de Montedevène et d’Erlangen, mais pas cette femme actuelle qui est une adulte à mille pieds de moi. Et du reste, c’est la principale raison qui a fait que je ne voulais pas y aller : c’est toi d’alors qui importe et non celle d’aujourd’hui, alors à quoi sert-il d’aller voir, de chercher à voir celle d’aujourd’hui qui me mettra dans un état trouble qui, quoi que je fasse, remuera des choses et, malgré moi, me fera espérer ? J’y ai pensé toute la journée, et je peux même dire que ça fait plusieurs jours que j’y pense, que je pense à toi (mais je pense tout le temps à toi, et je n’ai pas dit dans mes notes de Venise qu’à un moment donné, alors que j’étais sur le pont de la paroisse San Martino avec Éléonore, j’ai eu une très forte pensée pour toi, une pensée telle que je m’étais imaginé être là un jour avec toi) et cherche un moyen quelconque qui justifie que je n’y aille pas. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’en ai parlé à Éléonore. La chose aurait été simple : il suffisait que je ne lui dise rien de cette soirée et l’affaire aurait été réglée et j’aurais feint par la suite d’avoir oublié. Mais je sentais que ce n’était pas très propre, pas très sain, alors j’ai fini par lui en parler en lui disant que je ne comptais pas y aller, je ne me sentais pas bien, étais fatigué, et c’était vrai. En bref, je la laissais décider et puisqu’elle avait beaucoup de travail, j’ai espéré qu’elle renonce à une sortie qui lui aurait pris toute la soirée. Mais elle a désiré y aller. En rentrant du bureau, j’ai de nouveau parlé de ma fatigue, lui ai même dit d’y aller seule, et j’ai encore espéré qu’elle y renonce. Mais elle était décidée à y aller. Alors, je me suis assis, ai allumé une cigarette et, en te regardant blottie au fond de moi, je me suis demandé si tu y serais et, si tu y étais, comment moi je serais. J’étais persuadé que tu y serais. Nous sommes partis et je n’avais que cette pensée en tête : toi que je ne voulais pas voir et voulais tant voir à la fois. Nous sommes arrivés, la porte s’est ouverte, j’ai survolé la pièce avec toutes ces personnes à l’intérieur, et je t’ai vue, près de la chaudière, et en moi il y a eu comme un cri doux, à la fois de joie et de frayeur : elle est là. Tu étais là en train de parler avec un jeune homme. Qui était-il ? J’ai dit bonjour à quelques personnes, puis suis allé vers toi. J’étais naturel. Je t’ai dit bonjour, t’ai fait la bise, et j’ai été content de pouvoir dire « bonjour », avec un sourire, content de dire ton prénom, content de le dire de cette manière-là qui rattrapait mon attitude de la fois précédente où je n’avais même pas eu un sourire pour toi lorsque tu t’étais approchée de moi. Je t’ai fait la bise, ai même légèrement posé la main sur ton bras, et tu m’as aussitôt présenté le jeune homme, d’une manière un peu singulière, comme si tu étais fière de me le présenter. Tu étais enjouée, c’était très curieux, et j’ai serré la main à ce garçon en me présentant et en pensant qu’il avait plutôt belle allure et l’air sympathique. Est-ce ton petit ami ? Je ne pense pas, même s’il n’allait pas te lâcher d’une semelle, même si à plusieurs reprises, il allait poser la main sur ton épaule, dans ton dos, et du reste c’était le geste de quelqu’un qui cherche à séduire plutôt que celui de l’amant ou du petit ami, et il a été évident par la suite que rien ne vous liait en particulier. De toute manière, ça m’était égal. Je n’aurais pas aimé le voir t’embrasser ou avoir un geste d’amoureux, mais ça m’indifférait qu’il soit ton petit ami ou non. Je lui ai serré la main et, comme vous étiez en train de parler, je vous ai laissés, vous avez poursuivi votre conversation. Je me suis détourné, ai poursuivi la tournée des amis, mais j’étais bouleversé et savais qu’il allait me falloir du temps avant que je ne me ressaisisse, avant que je ne m’habitue à toi près de moi. En même temps, il y avait ce jeune homme, et ce jeune homme était d’une certaine manière providentiel dans la mesure où tu serais accompagnée toute la soirée et que moi, je serais libéré, soulagé. Ne te méprends pas. Comprends que je n’étais pas seul, comprends aussi que jamais je ne pourrai te considérer comme une amie, une copine, une connaissance, et que jamais je ne pourrai dissiper le trouble qui m’envahit quand je suis avec toi, quelque nom que puisse prendre ce trouble, encore que je sois persuadé qu’il y entre de l’amour, je m’en suis rendu compte à plusieurs reprises lorsque tu étais de dos devant moi et que je me sentais m’élever, attiré vers toi. Et justement, la seule manière de dissiper ce trouble, c’est par l’amour, et à cet amour-là, je ne dois pas penser, parce qu’il n’est pas pensable… Je suis resté avec Humbert et César près de la table, tu étais à quelques pas derrière moi. Je parlais, ils me parlaient, mais je ne pensais qu’à toi, qui étais là, à quelques pas de moi. Puis la lumière s’est éteinte, tout le monde est passé dans le bureau, toi aussi accompagnée de ton ami. Je suis resté avec Humbert dans la première pièce. La « performance » a commencé, tout s’est passé dans un premier temps dans le bureau où tu étais et, du regard, je te cherchais. Puis le danseur japonais a traversé le bureau, s’est dirigé vers la porte du jardin, tout le monde l’a suivi, tu es arrivée presque en dernier et t’es mise à la porte du bureau ; c’est là que je me trouvais. Le Japonais est sorti dans le jardin, est monté sur la table de la pergola ; la majorité des personnes l’ont suivi, quelques unes sont restées à l’intérieur dont moi, dont toi. J’étais à deux mètres de toi, je regardais ta silhouette. Je ne sais où était ton petit ami à ce moment-là. Je te regardais, tu étais de dos, je regardais tes cheveux, ton dos, tes jambes, et tu t’es retournée pour me regarder. Je suis sûr qu’à ce moment-là tu t’es retournée pour me chercher et me regarder. Le regard que tu as posé sur moi n’était pas accidentel, et s’il l’était, c’est que je suis fou. Ça a été le seul, et s’il y en a eu d’autres, je ne les ai pas vus, ou du moins, il ne s’est pas présenté d’autres occasions où tu m’as regardé pendant que je te regardais. Le Japonais est revenu dans la première pièce, puis dans le bureau, nous n’avons pas bougé et ton ami a réapparu. C’est à ce moment-là qu’il a posé la main sur ton épaule, puis avec un peu d’hésitation dans ton dos. Il t’a dit quelque chose à l’oreille. Moi, je te regardais, je regardais tes cheveux, ton dos, je considérais ta taille en me faisant cette réflexion que tu étais grande et que tu avais la même taille que moi ; nous avons la même taille. C’est à ce moment-là que j’ai été attiré vers toi et aurais pu être prêt à me rapprocher de toi et à te prendre dans mes bras ; c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte à quel point tu étais encore présente en moi. Puis, au fil de l’évolution du Japonais, tu t’es déplacée ; tu t’es retrouvée dans l’encadrement de la porte, puis tu es passée dans le bureau. Je suis resté dans la première pièce, regardais par la fenêtre entre les deux pièces tout en cherchant de temps à autre à te regarder. Puis ça a été fini. La lumière s’est rallumée. J’étais toujours avec César et Humbert, puis Vital nous a rejoints ; nous avons parlé de la « performance », je me demandais où tu étais. Puis tu as passé la porte, ou plutôt non, je pense que c’est vers la fin que tu as passé la porte car je me souviens qu’à un moment donné, ton ami est venu chercher un verre de vin qu’il a emporté dans le bureau, c’est donc que tu t’y trouvais encore. Oui, c’est vers la fin que tu es venue dans la première pièce. J’étais toujours à la même place, tu es allée vers la table, puis tu t’es retrouvée avec ton ami dans l’encadrement de la porte. Puis est arrivé le moment du départ. César et Rose s’en sont allés, puis Marine et Humbert, puis Éléonore m’a fait signe. J’ai commencé à faire la tournée des bises et des saluts, et c’est là que survient le moment terrible de cette soirée : je ne suis pas allé te dire au revoir… Sur le coup, je n’y ai pas vraiment attaché d’importance, mais une fois dans le garage, je n’ai plus pensé qu’à ça, et depuis je ne pense qu’à ça, en me disant à quel point mon attitude était lamentable. Tu étais à deux pas de moi, j’ai fait en sorte de ne pas regarder dans ta direction, me suis dirigé vers le garage sans me retourner et m’en suis allé sans aller vers toi te faire la bise. Aux toutes dernières secondes, j’avais pensé me retourner, t’adresser un sourire et te faire un signe de la main, et ça n’aurait pas été dans le vide : je suis sûr que tu attendais, car j’avais vu que ton regard allait dans ma direction à ce moment où je m’apprêtais à partir. Pouvais-je m’en aller sans même aller vers toi ? Puis, à la toute dernière seconde, celle où je passais la porte du garage, j’ai pensé encore pouvoir me retourner et te regarder, mais je ne l’ai pas fait et il était déjà trop tard…
18 novembre
J’éxoute l’enregistrement de la répétition de Dans La Cuisine d’il y a quinze jours. La voix de Cécile me trouble beaucoup. Je le savais déjà, mais c’est particulièrement marquant ici. (Je l’ai à droite…)
20 novembre
J’ai prélevé des prénoms du calendrier accroché derrière moi, dont certains très curieux : Gwendal, Solzic, Apollos, Gildas, Théophane, Apolline, Modeste, Jaouen, Marin, Humbert, Alida, Zita, Pacôme, Maël, Péronille, Gervais, Silvère, Vianney, Évrard, Armel, Fiacre, Adelphe, Materne, Venceslas, Séraphin, Florentin, Crépin, Émeline, Jude, Bienvenue, Sidoine, Gélase, Fleur, Gatien, Urbain, Gratien…
5 décembre
Journée d’une grande mollesse loin d’être désagréable, à ne rien faire de particulier, encore que je me sois enfin décidé à finir de préparer le Journal musical 2. J’ai pris cette décision lorsque je me suis rendu compte que le copyright était de 2007 et l’achevé de novembre de la même année. Je n’arrive pas à croire qu’il y a plus d’un an que cette histoire traîne. Je me suis alors mis à la découpe des livrets et ai mis un peu d’ordre dans les fichiers qui en avaient bien besoin. Et La Barge attend toujours dans ses boîtes que je veuille daigner la massicoter…
8 décembre
Hier, journée passée chez Hermine et Thierry pour le tarot de Noël organisé par Cécile (j étais assis à côté d’elle, j’avais envie de la toucher). Cécile m’avait demandé des exemplaires de Verbiaje qu’elle désire offrir. Du coup, j’ai travaillé à une nouvelle présentation qui serait celle des rééditions que j’ai envie de lancer depuis un moment (les lancer à qui ?). J’en ai profité pour faire Le Wam qu’Éléonore m’a demandé d’envoyer à Hermine. J’y ai passé la journée avec à l’esprit les images de La lumière d’en face que j’ai reçu samedi ; elles me trottent dans la tête depuis. Comme c’est étrange…
17 décembre
Après Martinien, 4’’
Après Raymond, 5’’
Après Thibaut, 5’’
Après Alix, 3’’
Après Landry, 4’’
Après Justine, 5’’
Vérifier fin Yvette
Après Yvette, 5’’
Après Éric, 5’’
Après Herbert, 4’’
Après Rodolphe, 4’’
Vérifier début Martinien
Après Alexandre, 4’’
Après Roméo, 5’’
Après Anthelme, 4’’
Pour Mai, Pascale du boulot : Pierrette. Pour Bouli : Eusèbe…
Je me suis mis à la suite du Journal musical 3 (alors que le 2 n’est pas encore envoyé)…
20 décembre
C’est incroyable la place que prend la cigarette durant les vingt années du Journal de l’homme en mai…
30 décembre
Au soir, Hermine et Thierry, invitation pour la soirée, Denis, sa copine, Cécile, un frère d’Hermine. On mange, on boit, on chante, notamment les quelques airs de l’orgue de Jacques qui est chez Thierry actuellement, puis, au début de la nuit, quelques chansons du répertoire de Dans La Cuisine. Denis et Thierry étaient passablement pétés, ça a été très chaotique. Je me suis aperçu que le trouble que je ressens en présence de Cécile s’est dissipé pour se transformer en attirance. Je ne cesse de la regarder et il a fallu à plusieurs reprises que je me bride…
31 décembre
Nous en sommes au dernier jour d’une année, il est trois heures du matin, j’écoute l’enregistrement de la soirée chez Thierry en ayant une vague pensée pour son avenir dans le cadre du Journal sonore, cette énième rigolade. Denis joue du Bach…
À partir de demain devrait commencer la nouvelle version de Mai, c’est-à-dire 90-09. Chaque jour de 2009 sera donc consigné dans Mai qui s’achèvera le 31 décembre de l’année prochaine. Que va-t-il donc se passer durant cette année qui enrichirait voire bouleverserait les données ?
Je viens de vérifier si effectivement il n’y a aucun écrit autre que celui du vin pour l’année 1989. Non. Le journal effectif commence en 1990.
Je ne sais toujours pas si je vais conserver Éléonore et Valérie comme prénoms, surtout Valérie…
Je suis en train de relire le 1er janvier. D’une certaine manière, le véritable travail commence demain…