
Vers la fin de l'acte I, Mrs Cheverly dit : « Even you
are not rich enough to buy back your past. No man is. »
« Vous n'êtes pas assez
riche pour racheter votre passé. Aucun homme ne l'est. » Curieuse coïncidence, d'autant que cela faisait bien un mois que
j'en avais interrompu la lecture. En entamant cette pièce, je n'ai pu
m'empêcher de faire un parallèle – encore un – avec
Proust. Je disais qu'il s'agissait de la quatrième ou cinquème, et celle-ci
comme les précédentes met en scène la haute société londonienne et, par la
critique insidieuse, l'humour, nous ne sommes pas loin des Verdurin et de la
faune aristocratique proustienne. Mais le parallèle s'arrête là (mais comment
comparer une écriture théâtrale avec celle « romanesque » de
Proust ?). Quoique je puisse tout de même trouver certaines
ressemblances, ou du moins certains points communs. L'époque tout d'abord, puisque
Wilde est mort en 1900 ; mort jeune aussi ; homosexuel aussi ; scandale
suscité par leurs œuvres ; le mondain des personnages qu'ils étaient
(une photographie célèbre de Wilde le représente assis dans un fauteuil tenant
une cigarette dans une attitude très « flersienne ») ; la misère
et la solitude pour l'un et la maladie pour l'autre, à la fin de leur vie... Je
me demande même s'ils ne se sont pas rencontré (Wilde a été très soutenu par
Gide aussi). Une chose aussi que je remarque, c'est qu'il parle abondamment des
femmes, ou du moins qu'elles sont les personnages de premier plan et que toutes
ses réflexions vont dans leur sens (exemple, p. 172, An
ideal Husband), et, en règle générale, il en parle bien. N'est-ce pas
étonnant de sa part, lui en tant qu'homosexuel ? Et mon étonnement est-il
justifié ? – oui si je me rapporte à Proust qui, s'il en parle bien,
et souvent admirablement bien, c'est toujours en tant qu'être de désir et
d'amour. Mais ce n'est peut-être pas suffisant pour expliquer et ma question et
mon étonnement que je commence à trouver d'un goût douteux...
29 janvier 1990 (dans une
lettre à Marcel)