8 h 00. Il pleut...
Dernier cours de latin...
Soleil, mais froid.
Fête dans la rue. Pas de réponse de V***.
Soirée avec F***.
Nous rentrons à six heures ce matin.
J'ai bu...
À 19 h 00, coup de fil de P***.
Je le rappelle demain...
Après consultations des divers horaires que j'ai en face de moi, force m'est de constater que je ne pourrai être à Chartres avant midi. Soit en partant d'Arras à 8 h 07 pour ariver à Paris à 9 h 47, prendre le 11 h 06 pour arriver à Chartres à midi. Sinon, il y a trop peu de temps de battement pour aller de la Gare du Nord à Montparnasse.
Temps variable. Changeant.
Gueule de bois.
Je vais passer la journée seul. Cela va être
difficile...
F*** est rentrée de l'hôpital.
Elle n'a pas encore lu les Lettres que je lui ai
apportées hier...
Que vais-je faire ?
Hier, jour de la Fête-Dieu (il y a un an un concert d'un autre type se donnait au 10 de la rue Manuel), jour exceptionnel. La formation comprend Marc au trombone et au clavier, Thierry à la guitare et à la batterie alternativement , Cyrille à l'alto, Jacques à l'orgue et au chant, Christelle à la flûte et au chant. Le répertoire est exclusivement fait de chansons françaises, dans la plus pure tradition du genre, soit des Feuilles mortes jusqu'aux Copains d'abord, en passant par La Belle de Cadix. C'était le 42e anniversaire de mariage des parents de Thierry. Concert pour l'occasion. La fois précédente, c'était chez le père de Christelle, autre anniversaire. C'était la première fois. La formation, encore sans nom, compte se produire dans des maisons de retraite, des clubs du 3e âge, des réunions de famille. Hier, c'était la seconde fois. C'était chez les parents de Thierry, dans leur propre maison, investie pour l'occasion par une vingtaine de personnes toutes réunies dans le séjour, orchestre y compris. Bouleversement des meubles, scène improvisée. Franc succès de Thierry et des siens qui ont réussi à toucher tout le monde, y compris moi. Si l'on y ajoute la manière dont nous avons été reçus comme des princes, à la polonaise, évidemment : profusion de pâtisseries et d'alcool maison (bien sûr !) l'après-midi, et la charcuterie avec l'apéritif le soir , on peut dire que ce fut vraiment une journée exceptionnelle... J'ai été étonné d'y voir Cyrille et de découvrir d'une part qu'il était musicien (altiste) et qu'il faisait partie du groupe, et d'autre part qu'il était authentique amateur de « vieilles » chansons françaises, connaisseur éclairé de Damia, Fréhel et Brassens dont il sait tout le répertoire et qu'il chante à la demande d'une voix grondante en s'accompagnant à la guitare. Il a vingt ans. (Cyrille est son regard profond et pénétrant qui jure avec sa réserve.) Les parents de Thierry, Polonais typiques des Mines : chaleur, générosité et gentillesse... Mais c'est comme un pléonasme. Le père de Christelle, joyeux luron, randonner émérite, et chanteur des dimanches qui fait gentiment la cour à la mère de Marc. Marc qui est décidément un excellent tromboniste. Sylvie chez qui je découvre des talents inattendus de chanteuse... Une danse avec Susan, yeux dans les yeux, qui m'a remué de fond en comble. J'ai encore intacte l'empreinte de son visage et de son sourire, trace d'un bonheur pur qui a failli me tirer des larmes et lui dire à haute voix que je l'aimais... De l'extraordinaire pouvoir des mélodies, même simplistes, qui en une seconde saccage tout à l'intérieur. Vérité première des gens assemblés chantant des heures durant autour d'une table, seuls ou accompagnés, pour le seul plaisir d'être autour d'une table et de chanter... Mystère et magie de ces moments qui provoquent en soi des tremblements et des vagues que rien ne peut expliquer et qui ne servirait de rien à chercher à expliquer. Je suis à chaque fois émerveillé et ahuri face à ce bouleversment en moi auquel je ne puis donner que le nom de félicité... (J'ai essayé, il y a une vingtaine d'années, de lutter contre au nom d'une attitude que je me devais d'observer face à un comportement résolument social (réaction à l'ordinaire). En vain. Je me suis très vite aperçu qu'il n'y a rien à faire. Sauf se rendre. Reddition complète face à l'émoi en soi qui gronde.)
Pour mémoire : vendredi soir,
vernissage au 75 de la rue de la Louvière. Exposition dans un
appartement. Le thème est : l'érotisme et l'eau. Pas
d'invitation : c'est Jacques qui nous a informés, Jacques
qui y présente un travail, travail pour lequel il a besogné
comme un damné durant toute la semaine et dont, dans la bonne
tradition du vernissage à son origine, il a posé les dernières
pièces alors que le public commençait à entrer. C'est le seul
travail réellement original du lot qui dans son ensemble est
insignifiant et qui plus est, sort de fonds d'armoires. Comment
le décrire ?... De là, nous filons à l'il pour un
autre vernissage : les interdits des « fesses »
exposées photographiquement il y a quelques années aux Gobelins
à Roubaix et dont la municipalité avait refusé l'exhibition
(dans son sens anglo-saxon). Il fait beau. Nous mondanisons dans
le beau jardin de cette ancienne maison de maître. Bonjour à
Untel et Untel. Bruno et Amanda arrivent sur le tard avec Baudoin
Luquet et la libraire Claire dont je fais sommairement la
connaissance. Je lui promets de passer la voir dans sa boutique
avec des livrets que du reste elle possède déjà, par
l'intermédiaire de Susan, depuis plus d'un an. Nous devons nous
retrouver au Grenier à Tourcoing. Nous trouvons porte
close.
Samedi après-midi et soir
passés à St Amand chez Jaqui. Keir, sa sur, et son
beau-frère, Graham, sont arrivés de Nouvelle-Zélande. S'y
trouvent deux autres couples que je vois pour la première fois.
Soleil, nous mangeons dehors. En fin d'après-midi, je montre à
Luc quelques échantillons de La Collection. Jean-Michel,
ami de l'un des couples, s'y intéresse beaucoup. Je ne sais ce
qu'il fait exactement. « Excellente démarche, » me
dit-il par deux fois. Il me parle d'un livre dont il
a oublié à la fois le titre et l'auteur , paru il y
a quelques années, construit et écrit selon le principe
suivant : regrouper le maximum de quotidiens du monde entier
parus le même jour et en tirer faits et personnages pour
l'élaboration d'un roman. Je serais curieux de lire ça... Susan
a invité pour le lendemain, soit hier dimanche, les mêmes sans
les deux couples mais avec Ben et ses parents. Je devais
malheureusement passer voir Bernard à l'hôpital. J'étais très
curieux de rencontrer les parents de Ben que nous avions
entraperçus la veille alors qu'ils déposaient leur fils après
une sortie aux Trois louches. Je suis revenu vers 17 h 00.
J'ai eu le temps de faire un peu leur connaissance. Tous deux
parlent le français, sont dans l'enseignement à Reading près
de Leeds. Lettrés, bourgeois, de bonne famille, m'avait dit
Susan après avoir parlé avec le père au téléphone, le père
au pur accent anglais à l'image de Ben lui-même. J'ai parlé
littérature avec lui ; il est reparti avec un exemplaire d'It's Odile...
J'ai appris après leur départ que Ben leur a beaucoup parlé de
moi. C'est sa mère qui en a parlé à Susan. Ce qui m'a très
étonné et m'étonne encore. Nous n'avons jamais eu de relations
privilégiées et nos discussions se sont toujours faites en
cours de repas. Je peux même dire que souvent j'ai eu
l'impression que Ben ne m'appréciait guère. Tout cela est très
curieux... J'ai commencé Albucius de Pascal Quignard.
Pour le reste, je ne fais rien de particulier...
L'état des lieux va être signé
jeudi ou vendredi.
Valérie emmènage samedi.
Samedi, Susan part pour Jersey pour une semaine...
(Qu'est-ce qui me pousse à écrire des choses que je sais devoir être amené à réprouver quelques jours plus tard ? C'est à vendredi que je fais allusion. Je me suis souvent posé la question : où est l'intérêt et la valeur d'un rapport de pensées ponctuelles, n'ayant de sens que dans un contexte particulier, dans un cadre d'exception ? Susan me dit que c'est évidemment le reflet d'un moment, d'une période. Mais que dit et que vaut ce moment particulier dans un contexte d'ensemble, soit : que vaut ce que j'ai écrit vendredi ? qu'est-ce que cela vaut si c'est contredit le lendemain même, et même à l'instant même où je l'écris puisque l'écrivant, je sais que ce n'est pas définitif, puisque j'ai la conscience de son état de passage ? puis-je en tirer un quelconque enseignement, sur moi-même, sur Susan, sur nous deux ?
Pluie. Froid. C'est l'hiver !
Beaucoup de piano. Je travaille des quatre mains comme exercice
avec C***, ma nouvelle élève...
Ce soir, encore du piano, chez W*** cette fois...
Hier, cours à Marc. Le dernier, l'ultime. Il y a déjà deux ou trois semaines que je l'avais prévenu de mon déménagement et de mon éventuel arrêt en septembre. Prévenu de même qu'une « jolie et gentille jeune fille » allait me remplacer. Valérie, bien sûr. Ça ne l'avait pas inquiété outre mesure. Mais hier, je l'ai trouvé étrangement absent, fermé. Je suis accoutumé à ses petites crises d'éloignement, d'échappée, moments où soudain, semblant ne plus rien voir, ne plus m'écouter ni même m'entendre, il plaque sa joue gauche sur le clavier et le regard lointain fait sonner par intermittence quelques notes au hasard. C'est ce qui s'est produit hier. Mais ce fut exceptionnellemnt intense et long. À ce point, comme il refusait absolument de me répondre, que je me suis inquiété. Et davantage inquiété encore, lorsque durant les dix dernières minutes, il s'est mis à jouer à la file tous ses airs préférés, les enchaînant, sans répit aucun, sans aucune respiration, à grande vitesse et sur un rythme forcené. Là, véritablement, c'en est devenu inquiétant. On l'eût dit possédé, proche d'une espèce de transe vindicative. Je n'ai rien dit, l'ai laissé achever. Lorsqu'enfin il a cessé, il était l'heure pour moi de partir. C'est à peine s'il m'a regardé, à peine s'il m'a dit au revoir. J'en ai parlé à son père qui a souri. « Ne vous en faîtes pas, il était triste ; cela fait une semaine qu'il parle de votre départ. » J'ai regagné ma voiture, légèrement secoué, avec dans la tête des accents de remords et de renonciation...
Cours latin/grec chez Sébastien sans Francko qui travaille à la coupe du monde de football. Thème d'imitation. Sébastien et moi nageons un peu. Pas de latin, Jean se montrant particulièrement oublieux et négligent ces temps-ci. Nous avons du temps pour parler, ou, plus précisément, Sébastien a davantage de temps que d'habitude pour parler. Nous parlons musique, et plus précisément de la fête du 14 juin. Sébastien souligne la difficulté technique des pièces vocales et trouve à Domicile conjugal des affinités avec Satie, que je revendique, mais aussi à Feldman, ce qui me surprend beaucoup. Jean, quant à lui, encore un peu ébloui par l'interprète dont le charme opère toujours sur lui, pensait que Valérie était l'auteur des pièces pour piano... Écoute d'un quatuor de 1924 de Chostakovitch qui, bien sûr, et comment y échapper quoique la chose soit plutôt singulière du fait de l'époque , a un regard du côté de Bartok. Certains accords, de courts motifs, de simples touches. Cependant, on ne peut parler de plagiat, ni même d'influence, mais plutôt de tendance, d'air du temps puisqu'il y a contemporanéité presque parfaite. Phénomène que j'ai déjà constaté chez d'autres compositeurs du début du siècle : des traces de Strawinsky chez Varèse ou Debussy, par exemple, qui donnent l'impression d'une sorte de teinture allant de l'un à l'autre (et il faudra plutôt parler de « déteinture ») qui serait la signature musicale de ce temps... Pour Domicile conjugal, Sébastien parle de musique climatique, en souligne le côté non-narratif, et conclut par cette chose qui me laisse songeur : c'est une image sans pour cela que ça soit illustratif...
Je n'ai toujours rien dit de la fête.
8 h 00. Temps épouvantable !
Frissons, fatigue. Dégoût. Il fait froid.
Piano avec C***, puis F***...