Le mal de crâne de cette nuit ne m'a pas quitté ce matin. Ni de toute la journée. C'est dire que je n'ai pas fait grand-chose. Rédaction de la semaine, un petit passage chez mes parents. Puis un petit tour dans le parc où le démon du jardin m'a soudainement pris pour ne me lâcher que deux heures plus tard.

 

La seconde partie : plan fixe sur le visage de Casanova tel qu'il apparaît dans la première partie. Un bruiteur sur scène. Un « bruitage » qui s'apparente davantage à une démonstration électro-acoustique mal consommée. Pas le moindre intérêt... Suit un curieux film court et muet de 1914, Amor pedestre, italien, restauré, anonyme. De la vie des pieds dans une rencontre amoureuse – quoique drague conviendrait mieux. Cocasse... (Ces pieds-là sont-ils les mêmes que ceux de Casanova/Collette arpentant le tapis de course ?) Puis, après l'entracte où la réalisatrice offre un pot au bar, pensant ainsi rendre légère l'atmosphère d'un débat prévu initialement et classiquement en salle (mais où était-elle ? qui était-elle ? de quoi avait-elle l'air ?), le fameux Chant d'amour de Genet. De la vie fantasmatique en cellule. Du gardien au détenu, des détenus entre eux, du détenu seul avec lui-même. Cru, brut, sincère. Sexes en érection, scènes de masturbation. C'est impressionnant. Et extrêmement troublant. Extrême beauté de plans de corps nus sans visage en lentes caresses et glissades reptiles...

 

À midi, nous nous retrouvons dans le jardin de Francko : Anne, en tenue de brousse ; Janusz en costume estival ; Anne-Paule en fraîche robe blanche ; Francko, tout de blanc ; Susan en petit maillot marin et pantalon noir ; moi, en habit de ville décontracté. Jacques n'est pas là. Jacques devait rentrer le matin de Paris ; je lui avais laissé un message la veille. Il appellera alors nous serons encore là, indécis sur la marche à suivre. À 13 h 00, nous nous décidons et partons ; il nous rejoindra sur place... Sur l'autoroute, la file des trois Mercedes sous le soleil, le soleil qui ne nous quittera pas de la journée ; qui, entre les nuages, nous chauffera ; qui, sous eux, nous apportera un petit vent frais opportun... Susan avait pris une grande bâche sur laquelle nous avons étalé les nappes et les plaids, puis déposé les victuailles : crevettes, bouchots, panier de légumes, panier de fruits, saumon, pommes de terre, gigot, petits pâtés, fromages, gâteau au chocolat... Pour nous abreuver : Pouilly Fumé, Aligoté, St-Amour. Puis café confectionné sur place par Francko qui avait emporté réchaud, casserole, cafetière et café... Dans l'allée boueuse à deux pas de notre féerie champêtre, les trois Mercedes alignées. Manquait la quatrième qui n'est jamais arrivée...
Francko a possédé une Mercedes de 1968 durant quinze ans. Sans le moindre problème. Il l'a troquée contre un autre modèle, identique à la mienne, il y a un an. L'ancienne, célébrissime dans la région pour ses couleurs, rouge et bleu, couleurs de Marie, a abouti entre les mains de Sylvie qui n'a eu que des problèmes avec elle. Une voiture lorsqu'elle est particulière et ancienne s'attache à son propriétaire comme lui s'attache à elle. Davantage que la malchance, c'est la raison première des ennuis qu'a connus Sylvie avec elle. La voiture a abouti entre les mains de Jacques il y a quelques semaines : la semaine dernière, un accrochage malencontreux lui a embouti l'avant. Que Jacques a réparé, remis en forme pour ce jour où, en tant que mercediste, il était convié. Il devait nous rejoindre. Et il nous a bien rejoints. Mais avec deux heures de retard et à pied : la voiture était sur l'autoroute à la bretelle d'Armentières avec son moteur serré... Du coup, l'étape d'Herzeele a été annulée et à 18 h 00, nous sommes repartis ensemble sur Lille, Francko, Susan et moi nous arrêtant à la bretelle d'Armentières pour supporter Jacques. La Mercedes n'a plus voulu repartir, un dépanneur a été appelé et désormais elle se trouve à Bailleul dans un garage où vraisemblablement elle finira son existence... Nous avons suivi la dépanneuse jusque là et je crois bien qu'il y avait dans le regard de Francko un fond de tristesse, identique sans doute à celui qu'il y avait eu dans le mien le jour où j'ai abandonné la Ford Taunus aux mains d'un casseur après près de douze ans de vie commune sans un nuage...

 

(Moment extraordinaire : Roman en maillot de bain qui s'essaye, avec gravité et opiniâtreté, à la Marche turque sur l'accordéon qu'il touche pour la première fois de sa vie...)

 

8 h 30... semblant de soleil.
On verra...

 

Une semaine complète sans avoir ouvert ce journal ! Encore que je croie me souvenir d'y avoir effectué quelques notes directement, en saisie... Mais ce qui ne doit pas figurer, c'est Va, puis Soliloque d'un penseur; puis, surtout, le pique-nique Mercedes qui, contre toute attente, a eu lieu et n'est désormais plus qu'un souvenir...

 

Jeudi, soirée Fresnoy. Va de Manuela Morgaine, film sur Casanova. Film en deux parties, chacune de 11', la première parlante, la seconde muette et « bruitée »... Un plan fixe sur Casanova, interprété par Yann Collette. Il se trouve sur un tapis de course, il est en habit précieux. Il marche sur le tapis qu'il actionne lui-même, auquel il imprimera trois vitesses qui correspondront aux trois parties de son récit : l'arrestation et la détention, l'évasion, la fuite. Il s'agit, on l'aura compris, de sa fuite des Plombs de Venise. Il parle, il raconte. Il s'agit du texte original compressé en onze minutes. Je tique un peu d'autant qu'il y a des impasses, dont celle de ses compagnons de fuite. Mais ces impasses sont inévitables, et la fidélité n'est pas forcément nécessaire, car il s'agit en fait du récit de l'évasion célèbre d'un personnage célèbre et équivoque, dilettante, aventurier de la Venise du XVIIe siècle... L'image, l'idée sont belles et l'acteur fort. Où ça ne va plus, où j'ai ressenti un malaise, malaise d'autant plus fort que je suis de plus en plus attaché au personnage et qu'en outre c'est exactement ma lecture du moment (l'épisode de la fuite), c'est à la troisième partie où l'on assiste à la course frénétique, éperdue et désespérée d'un être dépenaillé et à bout de souffle. D'un être anéanti. Certes, c'est bien ainsi qu'il se présente, c'est bien ce que dit le texte, mais à cet instant, j'ai eu cette désagréable impression que le personnage, soit Casanova, était ridiculisé. Je l'ai suivi avec intérêt, attention, curiosité. Puis, tout à coup, je l'ai vu ridicule, et donc ridiculisé, et me suis demandé dans quelle mesure ce n'était pas délibéré de la part de l'auteur. Et j'ai pensé que c'était ce qu'avait fait Fellini dans son inutile Casanova, soit ridiculiser un être qu'il trouvait fat, stupide et, justement, ridicule (mais que pouvait-on espérer d'un gros Romain nourri aux spaghetti ?). Et à quoi donc servirait donc le présent Va, si ce n'était que pour s'en moquer un peu ? Quel est le sens réel de cette prestation ? à quoi correspond chez l'auteur cette vison de Casanova qui de poudré, assuré et précieux tombe dans le dérèglement, le dépenaillement et l'égarement ? (et comment peut-il être vu par un novice en la matière, quelqu'un qui ne saurait de lui que ce que lui sert l'imagerie populaire ?) (Yann Collette porte un œil de verre. Du fait du plan fixe, on ne voit que ça : l'œil de verre. On ne choisit pas innocemment un tel acteur pour un tel personnage. Quelle est la signification de tout cela ?)

 

Journée de travail normale, pas trop pénible. Soleil toute la journée. À 16 h 00, je suis passé chez S*** récupérer deux des dessins de la conférence, que je lui ai offerts. En ai besoin pour le prochain livret.
S*** est très charmante... Puis chez N***, non moins charmante, à qui j'ai emprunté deux autres dessins.


Soirée molle.
Je l'attends...

retour