Midi. J’attends Susan qui doit arriver avec les lunettes…
12 h 15 : dans les lunettes, la plus grande partie du soleil est cachée alors qu’il fait toujours aussi clair…
12 h 30 : tout est achevé ! Quelques instants d’obscurité, chute de quelques degrés de la température. En fait, du fait des nuages, le spectacle était beaucoup plus impressionnant à l’œil nu…
Chapeau aux vendeurs des lunettes qui déjà doivent se prélasser sur un yacht du côté de Miami…

 

10 h 10. Mardi matin. Chilham, à la terrasse même où nous nous sommes arrêtés dimanche. J'y suis seul. Soleil. Temps magnifique. Derrière moi, emplissant le rebord des fenêtres, des géraniums que l'on vient d'arroser : bruit des gouttes par intermittence qui achèvent de s'expulser. J'ai toujours ma douleur à gauche, costale certainement. Ce matin, à table, il y avait un homme d'une trentaine d'années, cravaté, qui à peine assis triturait son ordinateur portable. Lunettes strictes à fine monture noire, cheveux noirs courts coiffés en arrière et apparemment gominés. Jeune technocrate du cru. Un moment donné, il a parlé de douleurs costales à la tenancière. C'est une demi-heure plus tard que j'ai attrapé la mienne suite à un mouvement du bras...
(Tenancière. Est-ce le terme approprié pour qualifier cette dame ? Est-il forcément lié à des lieux de peu ?)

 

Dans le verger se trouvent deux caravanes de taille moyenne. Dans l’une d’elles, je me suis aménagé un coin latin. C’est là que j’écris ces mots…

 

Les touristes commencent à arriver...
En face de moi, de l'autre côté de la route, un panneau que l'on retrouve dans maintes communes :
THIS IS A NEIGHBOURHOOD WATCH AREA. Les voisins veillent. Veillent sur. Surveillent. Ambiguïté de cette surveillance qui peut s'apparenter à celle de la milice. D'un autre côté, il y a peut-être quelque chose de rassurant de savoir que les voisins gardent un œil sur la maison lorsque l'on n'y est pas.

 

Latin, poursuite du Lacarrière avec le même plaisir. Court passage à Milly pour quelques courses. Puis Chablis à l’apéritif dans la caravane. Il est minuit trente. Je fume une dernière cigarette avant d’aller me coucher. Demain, Étretat, peut-être. Ou rien. C’est-à-dire, rien d’autre que de rester là, ce qui ne me déplairait pas : j’aime cet endroit avec son verger et ses caravanes immobiles, et sa campagne alentour qu’il me suffirait simplement de parcourir sans faire la moindre route (c'est-à-dire sans bouger de la caravane).

 

Quelques maisons anciennes regroupées au sommet d'une butte. Il y a un château, mais inaccessible ; un tea-shop ; un magasin de souvenirs. Pour l'heure, à peine une dizaine de personnes qui déambulent, âgées principalement... Des Italiens, bruyants, qui viennent d'arriver. Ils parlent fort et n'ont pas du tout l'air d'Italiens ; à ce point que j'ai longtemps douté qu'ils en soient ; les accents de la langue italienne dans ces bouches qui ne lui ressemblaient pas avaient quelque chose d'inquiétant. Ils sont entrés dans le tea-shop, en sont ressortis tout de suite après. Auparavant, ils avaient longuement consultés la carte à l'extérieur. À quoi s'attendaient-ils ? Un groupe de vieux (dont je ferai partie d'ici peu) gravit la route. Un autocar, certainement. Distraction de ma lecture. Mais je ne m'en plains pas. Aujourd'hui, la distraction me convient très bien...

 

Matinée. Un peu frais.
Soleil, mais avec passage de nuages.
Léger vent.
Je me trouve dans la caravane à batailler avec le latin (mais, en fait, je m’aperçois que cela me manquait).

 

La petite serveuse qui, il y a quelques minutes, déchargeait le coffre d'une voiture de victuailles destinées au tea-shop, a laissé tomber un bouquet d'échalotes. Je viens de m'en apercevoir. Il est là, juste derrière la voiture, à quelques mètres de moi, et je me demande si je vais le lui dire. Comment dit-on bouquet d'échalotes en anglais ?... À une table voisine, trois personnes dont une femme qui parle mal la langue. Je remarque qu'elle reproduit les mêmes gestes, qu'elle a les mêmes cassures d'inflexions et d'intonations que tous ceux qui, à son image, ne maîtrisent pas une langue. Est-ce que je lui ressemble ?... Hier, j'ai fait la connaissance de l'élève de Susan (étudiante, dit Susan qui invariablement fait la confusion entre étudiante et élève, assimilant le terme élève à la jeunesse, donc à écolier) et ce matin nous avons mangé avec elle. Je m'étonne que son anglais soit si rudimentaire, et j'oublie qu'il y a un an, j'étais dans son cas et qu'aujourd'hui, finalement, je ne vaux guère mieux (à noter le quiproquo de Corinne au golf qui m'a pris pour un autre étudiant de Susan et mes difficultés à lui faire comprendre qu'il n'en était rien et que je l'accompagnais à un titre plus personnel).

 

Vacances, en tout cas ça y est ressemble. Mais vacances, tout de même. Encore qu’à peu de choses près, je fasse exactement la même chose qu’à la maison : lecture, latin, travail sur les textes. Et les ordinateurs ne manquent pas ici pour que je puisse reporter mes notes. En définitive, seul le décor change (un simple changement de décor est-il nécessaire et suffisant pour que le mot vacances – fût-il au pluriel ou au singulier – prenne ses droits ?). Peut-être suis-je constamment en vacance(s).

11 h 30. J'ai appelé la petite serveuse pour payer.
Je n'ai pas osé lui dire pour le bouquet d'échalotes...

 

À côté de moi, le chat de la maison vautré sur ma grammaire latine ouverte à la page de la quatrième conjugaison. Il m’aime bien. Il est plein de puces, tout le monde le repousse, le fuit. Je l’aime bien aussi…

 

12 h 15. Revenu au point de départ, la terrasse du Copper Kettle après un tour à pied dans le village. Susan m'a dit que je devais apprendre à me débrouiller seul : j'ai acheté des timbres, je suis revenu à la terrasse commander un thé et demander le chemin des toilettes... En définitive, le village est moins petit que je ne le pensais : sur l'autre versant de la butte, une grappe d'une vingtaine d'autres maisons, plus récentes, moins typiques. Je suis retourné faire le tour de l'église, celle-là même où nous avions assisté à un mariage en Rolls l'année dernière et où à présent l'on sert du thé et du café ! Dans le cimetière, j'ai découvert des tombes très récentes, mais tout aussi modestes que celles ancestrales : un peu de terre, quelques fleurs, une stèle de pierre réduite à la plus simple expression d'une plaque fichée dans le sol. Puis la poste qui fait aussi office de boutique de presse, souvenirs, friandises. C'est minuscule : il y a un petit comptoir et, perpendiculairement, un guichet. Derrière le comptoir, il y a un homme et une femme d'une soixante d'années. « I'd like some stamps, please. » « Please, see at the post office, » me dit la dame. Voyez à la poste, s'il vous plaît. L'homme la quitte alors pour se rendre derrière le guichet. Je n'ai qu'un quart de tour à faire pour lui faire face et renouveler ma demande... Puis l'école de 1862 en réfection : qui peut bien fréquenter cette école ? Y a-t-il seulement des enfants dans ce minuscule village ?...

Susan fait des confitures depuis hier après-midi (prunes, pommes que nous avons cueillies). Elle dit que ça lui lave la tête. « C'est merveilleux : tout ce qu’il y a à penser, c’est au temps de cuisson. » Vacances…

 

En me promenant, je me suis demandé où je pouvais bien achever cette matinée. J'ai finalement décidé de rester là. Demain, je choisirai un autre point, de préférence déjà connu afin que Susan ne soit pas spoliée (spoil ? il me semble que c'est la première fois que j'emploie spolier qui m'a été imposé par son quasi homonyme anglais – même étymologie ?)... Après-midi, je lui proposerai un petit périple qui incluera quatre églises prélevées dans l'Observer via Tenderten et Maidstone...

 

Sans vérifier, je pense que vacances vient de vacans soit le participe présent de vaco : être vide, libre ; être inoccupé, oisif. Mais aussi : être de loisir, avoir des loisirs pour quelque chose, donner son temps libre à quelqu’un. Mais encore, impersonnel : il est loisible (mais loisir dans quel sens ? quel est le mot latin qui signifie le temps passé à l’étude, à l’école, synonyme de loisir ? ou est-ce oisif ?).

 

13 h 00. Le ciel se couvre. Vent. Carnets : quelques passages d'ordre général intéressants. Pour le reste, Brandys mentionne des faits – politiques, principalement – qui m'échappent totalement, et je m'aperçois que même dans ce cas particulier-ci, soit la Pologne, je ne parviens pas, et ce malgré de nombreux efforts, à m'intéresser à quelque fait ou quelque réflexion que ce soit faisant partie d'un contexte politique ou historique ; il est un fait que je m'en fiche royalement... C'est principalement parce qu'il est polonais que je m'attache à ces Carnets (mais qu'est-ce que j'en attends si le contexte politique ou historique ne m'intéresse pas, ne me touche pas ?)...

 

10 h 45. Caravane. Un peu frais quoique soleil. Hier, sortie à Gerberoy, l’un des plus beaux villages de France, sic. C’est Pascal qui y est allé il y a quelques semaines et m’en a parlé : c’est à une quinzaine de kilomètres d’ici. Quelques notes prises au restaurant, voir pad et bristol…

 

Il serait intéressant qu'à partir de demain, je rédige mon rapport en anglais.

 

Gerberoy, beau village touristique. Collégiale, ruelles en pente et pavées, maisons d’antan. Lovely... Le Vieux Logis, restaurant rustique à tendance chic où j’ai réservé une table pour ce soir. Temps splendide… Gerberoy ou le village des roses. Pour la petite histoire : Le Sidaner y a passé quelques temps de sa vie ; c’est son amour des roses qu’il a plus ou moins transmis au village qui désormais en est empli.

 

En Angleterre, l'eau chaude est à droite...

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