Je ne t'ai pas parlé de La Fête à Venise terminé depuis belle lurette. Si je n'en ai pas parlé, c'est parce que je ne savais qu'en dire, du moins, sur le moment, à chaud... Je ne vois guère de qualificatif qui puisse s'y rapporter, peut-être simplement parce qu'il n'y en a pas. Alors, je dirais que je l'ai lu comme j'ai lu Femmes, Portrait d'un joueur, Le Cœur absolu. C'est-à-dire avec plaisir, ce plaisir étant celui de la lecture autant que de l'écriture : les deux plaisirs sont mêlés, le sien autant que le mien. C'est le plaisir de la liberté, le plaisir de l'idée, le plaisir de la fantaisie, de l'érudition, de l'intelligence ; c'est aussi le plaisir du plaisir (facile, mais vrai), le plaisir du sens et du regard, le plaisir des touches (illisible) et du secret, et puis du mot, de la phrase, d'un certain vagabondage raffiné, d'une certaine flânerie tant enjouée et amusée que grave et enragée... Je ne sais si Sollers est vraiment un flâneur, mais c'est ainsi que je le vois, et ça me plaît, me plaît tant qu'au gré de la lecture, s'égrenaient et s'alignaient les mots d'une lettre que je lui aurais adressée, une longue et belle lettre qui s'écoulait libre et évidente, une lettre qui restera toujours dans mon esprit car jamais elle ne sera sur le papier aussi belle qu'elle l'a été dans mon esprit à ce moment-là...