Le second a une vingtaine d’années. Il est brun, porte la raie au milieu qui scinde ses cheveux en deux grosses mèches longues qui lui tombent sans cesse sur la figure. Il les relève machinalement et régulièrement. Il a un air calme, concentré, presque grave et commence à disposer une à une les pièces tandis que l’autre parle. Il opère avec précaution, attention, lenteur, et semble plus intéressé par l’exacte position des pièces au centre de leur case respective que des propos de son ami, qu’il ne regarde pas, ou à peine, un coup d’œil de temps à autre, et auquel il répond avec une sorte de régularité inconsciente – ou machinale, ou réflexe – par de simples et courts ronflements de gorge.
Une fois le jeu en place, il dissimule dans chacune de ses mains un pion de chacune des couleurs, les glisse dans son dos, place le blanc dans sa main gauche et tend ses poings serrés à son ami qui parle toujours, n’arrête pas de parler ni de fixer son vis-à-vis – sans paraître se rendre compte qu’il n’est plus écouté – en procédant au tirage, c’est-à-dire taper des doigts de sa main droite le poing droit qui aussitôt s’ouvre et lui révèle le pion noir, auquel il n’accorde qu’un bref regard, juste le temps d’intercaler dans son discours le classique et conventionnel : « Merde, encore les noirs ! » avant de continuer de parler, comme si de rien n’était...