Si Rosalie est bien l’épouse de Grégoire, elle n’est pas la mère de Didier, et dire qu’elle est l’épouse de Grégoire ne peut être qu’une approximation – ou une commodité de langage, une façon de parler – car si, effectivement, elle l’est sur le papier – ratifié, signé, légalisé, paraphé –, rien dans les faits et les agissements de Grégoire – et les actes et les paroles aussi bien – n’en donne le moindre signe, la moindre preuve, et s’il était donné à un quelconque observateur d’être durant quelques heures le lustre de la chambre à coucher ou le vase en cristal de Bohème sur le plateau de faux marbre du petit bahut du séjour, il apparaîtrait avec évidence et certitude que plus qu’une femme de ménage ou une simple inconnue, Rosalie est un être d’invisibilité.

La mère de Didier – l’authentique, la première, celle de la chair et du sang – s’est éteinte à peine un an après sa naissance. Il n’a pas fallu à Grégoire plus de trois jours pour la remplacer, une mijaurée teigneuse et close, qui ne pipait mot et ne consentait à ouvrir la bouche que pour lâcher des ronds de fumée et bramer des interjections ordurières aussitôt son ventre recouvert. Elle était restée quatre mois, et elle serait sans doute restée davantage s’il n’y avait pas eu cette chute dans l’escalier, du second étage au rez-de-chaussée où elle avait évité de justesse une petite boulotte acariâtre et pisseuse qui s’apprêtait à monter, sans savoir encore qu’elle venait la remplacer...