Roméo est le patron du Turandot. S’il s’agit de son vrai prénom, personne ne le sait ; mais tout le monde dans le bar l’appelle ainsi, et lui-même se laisse volontiers appeler ainsi.

Certains le soupçonnent de l’avoir emprunté à quelque rôle du répertoire lyrique ; rôle qu’ils sont d’ailleurs incapables de préciser, et comme ils n’osent le lui demander, ils en restent sur cette idée, celle d’un fameux Roméo ténor, ou d’un Roméo fameux ténor qui, un jour – mais peut-être encore actuellement ? –, a fait vibrer des salles et pâmer des dames en robe de bal.

Alors, va pour Roméo le ténor, patron actuel du Turandot, qui, en guise de boxes a fait installer de véritables loges dans son petit bar et n’admet comme seule musique dans son enceinte que celle de la voix en général, et celle de l’opéra, en particulier.

Dans n’importe quelle autre partie du monde, les élans de Domingo et de Schwarzkopf, les accents de Fisher-Dieskau et de Norman, auxquels s’ajoutent l’allure un tantinet précieuse et un brin hautaine du patron, rebuteraient la clientèle, ou pour le moins, agiraient en un filtre dont la seule finalité serait un énième pur produit poussif de la snoberie citadine...