Chaque fois que Roland et Édith se croisent – le plus souvent dans la rue où ils habitent tous deux –, ils détournent les yeux. Chacun aime l’autre, mais aucun des deux n’ose montrer son amour autrement qu’en détournant les yeux. Et en rougissant. C’est un comble lorsqu’on sait qu’ils se connaissent depuis des mois et que, indéniablement, ils sont faits l’un pour l’autre.
Faits l’un pour l’autre, et ils le savent. Ils le savent depuis le premier regard qu’ils n’ont osé s’accorder, première fuite de regard qui fait que davantage que de vue, c’est de non-vue qu’ils se connaissent.
C’est éprouvant, et Roland le sent bien ; souvent, dans son esprit, il se surprend à ne voir à la place d’Édith qu’une silhouette pâle et fuyante, et c’en devient rageant lorsque, à ce spectre insaisissable, il est contraint de substituer d’autres figures féminines qui, corps de pensée animés ou créatures figées de papier glacé, rétablissent durant la nuit le déséquilibre douloureux entre son corps et son âme...