C’est ainsi que Quentin est assis, et c’est ainsi que Bienvenue le voit, ainsi qu’elle le regarde depuis l’autre quai, elle debout devant un vaste panneau publicitaire et déjà frémissante d’émoi à la vue de ce nouvel être à sauver. À la vue, mais on devrait dire à la contemplation, ou à l’observation, car au lieu d’accourir, de se précipiter, de s’empresser de rejoindre cet inconnu qu’elle va bientôt emporter, emmener chez elle, elle tarde, s’attarde, comme installée, ayant décidé de s’installer, et laisse plusieurs rames passer, chacune d’elles l’ôtant momentanément de sa vue, puis le lui restituant, lui redonnant à regarder encore cet homme qui n’a pas varié d’un pouce sa position. Et ainsi elle ignore sa tête, ou son regard, qui à chaque passage se relève, et elle pense qu’il est continûment prostré, figé, tout entier ramassé et plongé en lui, ce qui ne fait qu’accroître et fortifier l’évaluation qu’elle s’est faite de sa détresse ; comme lui ignore le regard posé sur lui et dont il n’aura conscience, puis connaissance, que lorsqu’elle sera enfin près de lui et lui en parlera ; près de lui, sur le siège adjacent, puis tout contre lui lorsqu’elle aura instinctivement adopté la même position que lui et aura collé sa tête contre la sienne, et lui aura parlé, parlé d’elle de l’autre côté sur le quai, d’elle et de son regard posé sur lui, puis d’elle seulement, puis plus du tout d’elle, mais des choses et des gens, puis des bruits et des mouvements, puis des couleurs et des pensées, puis de nouveau des choses et des gens...