Jusqu’à hier soir, Médard s’est maintenu. Il avait certes des crises, il y a eu nombre de jours où il se vidait et restait, les yeux ouverts, comme tétanisé, sur son coussin, ou debout, immobile, au milieu d’une pièce, à regarder un point loin, seul connu des chiens. Mais en vérité, cela ne durait qu’une journée, ou une nuit, et le soir, ou le lendemain, on le retrouvait la queue battante et surtout, surtout, affamé ; affamé à un point tel – et jamais ils ne l’avaient vu aussi vorace – qu’ils se demandaient tous s’il n’y avait pas là une sorte de combat, comme si la nourriture lui servait d’arme contre le mal. Alors, ils se disaient que même s’il maigrit, même s’il perd de ses forces, même si de temps à autre il gémit et s’agite sous l’effet de points de douleur plus aiguës – encore qu’ils se soient efforcé de les mettre sur le compte de rhumatismes qui sans nul doute n’existaient pas –, même s’il a de plus en plus de mal à marcher, eh bien il mange. Et de le voir manger avec tant d’appétit, d’avidité et de plaisir, les réconfortait, les soulageait, leur redonnait confiance, leur redonnait quelque espoir en le miracle de la vie triomphatrice du mal...