Mais Gilles gagne bien sa vie », fait Ulrich. » « Bien sûr, mon chéri. Sans compter le prestige dont il jouit de plus en plus, et sa renommée qui ne fait que grandir, et tu sais qu’à cela Ingrid est loin d’être insensible, et je peux même t’affirmer que ça lui est d’une grande aide. En même temps, elle en souffre, car qui sait de quoi demain sera fait ? Et qui peut dire si un jour l’alto ne sera pas boudé par la musique (car, à bien y réfléchir, ce n’est jamais qu’un gras violon) ? et qui peut affirmer que dans dix ou vingt ans il y aura encore de la musique pour les altos ? et de la musique tout court ? et si Gilles venait un jour à perdre l’usage de ses mains ? » « N’exagère pas », s’indigne Ulrich. » « Ou même d’un doigt », surenchérit Brigitte, « ça part vite, un doigt, tu sais, mon chéri ! Alors, tu comprends, j’ai un peu peur pour ma pauvre chérie (et je ne te parle pas de ses incessants voyages dans de multiples pays où l’on ne sait jamais ce que le lendemain réserve – regarde, récemment, l’Irak, et rappelle-toi dans quel état elle se trouvait !). Alors, je comprends qu’elle se fasse du souci, qu’elle reste dans l’incertitude et l’inquiétude, qu’elle ne puisse pas s’ouvrir tout à fait à la vie comme elle le voudrait tant, et comme moi-même je le voudrais tant... » « Soit, nous verrons, ma chérie, nous verrons. » Et comme elle s’apprête à soulever un dernier point, à savoir la manière de remettre à chacun son dû – en mains propres ou dans une enveloppe glissée sous la porte ? anonymement ou accompagné d’un mot d’explication ? –, Olivier rote...