Brigitte et Ulrich, de part et d’autre de la table du séjour, contemplent, posé entre eux deux, un chèque, tandis qu’Olivier, à l’autre bout de la table, se macule régulièrement la moustache de semoule, prélevée de l’assiette posée devant lui à l’aide d’une cuillère à soupe qui régulièrement loupe ses lèvres – pourtant largement ouvertes – pour prendre d’autres chemins, dont celui, exclusif aujourd’hui, de sa moustache.

Brigitte et Ulrich, passés les premiers moments de stupeur et de joie, en sont à l’accablement et à l’inquiétude, à l’expectative, à la déroute, car s’ils sont bien d’accord pour ne pas toucher un seul centime de ces onze millions cinq cent trente-six mille cinq cent vingt-deux euros, ils sont loin d’être décidés quant au moyen de s’en défaire. Ou plutôt, pour être plus exact, car en vérité le moyen est déjà fixé, c’est-à-dire le partage de cette somme entre tous les habitants de la rue – et on cherche en vain la raison secrète qui les a amenés à cette décision, eux qui n’entretiennent que peu de rapports avec quelque voisin que ce soit (mais ceci explique peut-être cela) –, ils ne savent pas comment procéder. Car les habitants de la rue une fois dénombrés, il suffirait de partager la somme par ce nombre et de remettre à chacun ce qui lui est dû...