Les cartes ont été ramassées par mon voisin de gauche et, dans le silence de nouveau retombé, sa main a voltigé tout autour de la table, a disposé devant chacun de nous les cartes de la deuxième donne. Seul le bruit de leur glissement feutré s’entendait, avec, toutefois, de temps à autre, un imperceptible froufrou provenant de notre public, demeuré silencieux depuis le début du jeu et toujours soucieux de conférer à son immobilité toute l’apparence de l’attention et de l’intérêt.

Nous avons attendu qu’elle soit achevée pour prendre connaissance de nos cartes. En m’emparant des miennes, j’ai pensé que cette fois j’avais une main complète, et, pour je ne sais quelle raison, j’en ai éprouvé de la satisfaction, comme si j’ignorais qu’il suffisait d’une simple manipulation, rapide et discrète, pour qu’elle ne le soit pas.

Je pouvais vérifier : il aurait suffi que je survole mes cartes du regard ; mais je ne l’ai pas fait, ai préféré m’en tenir à cette satisfaction, quand bien même était-elle irraisonnée ; j’ai préféré m’attacher à cette illusion qui jusqu’à l’approche des derniers plis pouvait m’être un renfort, voire un simple réconfort...