Hugues, Victor et Aubin sortaient du foyer, Roland traversait la chaussée, et Fidèle et Matthias, immobiles et comme momifiés, chacun agitant en silence les soupçons qu’il portait sur l’autre, attendaient.

Attendaient un quelconque mouvement, une quelconque manifestation, un quelconque signe tangible qui ait pu leur permettre de décider si les quatre occupants de la voiture qui précédait la voiture précédant la leur étaient ou n’étaient pas l’un des éléments de la vaste conspiration que l’un aurait ourdi au détriment de l’autre et réciproquement.

Évidemment, il n’en était rien : Ella, Claude, Bernadette et Alexandre n’étaient que quatre personnages anonymes, identiques à tant d’autres, qui avec les « turpitudes » de l’illégalité et de la criminalité n’avaient rien à voir1...
 

1 encore qu’Alexandre, en tant qu’agent du fisc, n’ait pas répugné de temps à autre à quelques concussions ou malversations, et Bernadette, en sa qualité de chef de section au Ministère de la Culture, n’aurait pas trop de ses dix doigts pour dénombrer les prévarications auxquelles elle n’avait pas toujours été très étrangère, et si l’on considère que Claude, bien que poète, s’était déchargé depuis des lustres du souci de toute amende ou contravention et qu’Ella, peintre féroce et convaincue, égarait, on ne sait comment, les copies parfaites de maîtres qu’elle exécutait régulièrement, on n’est plus sûr de savoir, en définitive, laquelle des deux voitures ait plus de chances d’assurer l’avenir proche d’un quelconque délateur...