Mais si l’esprit vacille, le corps, lui, répond bien, malgré tout, avec un peu d’embarras dû au manque d’habitude, de maîtrise, mais va quand même, se faufile et se glisse, évite et contourne sans rien faire tomber, se déporte et louvoie sans bousculer personne, ou à peine, de temps à autre, juste un coude ou une épaule, maladresse qu’on lui pardonne aussitôt tant on est content d’être là et tant elle sait y faire, avec un sourire approprié ou une feinte moue d’excuse, et, lorsque Lazare n’y est pas, une petite répartie grivoise accompagnée de la vague promesse d’un rendez-vous à la fermeture. En tout cas, rien qui ne puisse déplaire à Roméo dont, si l’on en juge d’après sa mine et son comportement avec elle, la satisfaction est authentique. Et, en effet, tous ses a priori et ses préjugés se sont envolés, et lui qui, il y a deux jours encore, aurait juré être capable de tenir seul son bar jusqu’au bout, ne jure plus désormais que par Marguerite dont il loue, à qui veut l’entendre, l’allant, le tonus et la bonne humeur.
Un juge blond qui fume ? voilà bien une drôle d’affaire, et parmi toutes ces têtes, Marguerite s’y perd un peu, ne situe pas de suite l’homme dont la description lui semble tout de même un peu sommaire. Mais qu’à cela ne tienne, Roméo va l’aider ; et en effet son bras se tend vers le fond de la salle où, elle le voit maintenant, se tient assis un homme qui effectivement est blond et tire sur un fume-cigarette, et dont le visage, sans que l’on n’y regarde de trop près, correspond bien à l’idée que l’on – en tout cas, elle – peut se faire d’un juge, ou pour le moins d’un magistrat...