Il se tenait sur le trottoir, à un mètre de la porte, dans une position parfaitement identique à toutes les autres fois, et revêtu de la même veste, celle qui depuis le 7 juillet s’ornait de taches de peinture « bleu Klein », lui recouvrant l’épaule gauche, une partie de la manche et le haut de la poche de poitrine.
Depuis ce fameux jour de l’aspersion, Hervé l’avait bien vu vingt fois, dans cette position-là et nantie de la tache comme si elle devait lui être un passe-droit, un signe de reconnaissance, ou un symbole privé qu’eux seuls étaient capables de comprendre ; et les vingt fois, il l’avait fichu dehors, ou plus exactement, puisque jamais il ne lui avait laissé le temps de s’avancer – pour bloquer le battant du pied, par exemple, et Raoul était tout à fait l’espèce d’homme à se permettre sans vergogne aucune ce genre d’« indélicatesse » (le mot est d’Hervé) –, lui a claqué la porte au nez.
Mais cette fois-ci – et peut-être est-ce la mine un brin piteuse de Raoul qui l’a fait céder –, il ne la claque pas, au contraire, la laisse grand ouverte et s’efface pour permettre à Raoul d’entrer. Raoul s’avance et entre, sans réelle surprise, il y a trop longtemps qu’il attend ce moment et jamais ne l’a quitté la certitude de réussir, un jour ou l’autre, à entrer. Mais, au second pas qu’il effectue dans ce lieu tant convoité, il marque un arrêt, légère suspension des gestes et de l’esprit à la vue complète du couloir : du sol au plafond – jusqu’à la cage d’escalier tout au fond, et sans omettre le radiateur, les boutons de porte et le plafonnier –, est peint d’une seule et même couleur...