Angèle n’aime pas son prénom, c’est un fait. Et même le déteste, l’exècre et l’abhorre. Mais surtout, elle ne comprend pas pourquoi père et mère le lui ont donné, et comment père et mère ont pu le lui donner, ce prénom pour la vie qu’elle trouve tout simplement « vulgaire », incongru dans cette famille – mais dans toutes les autres familles aussi bien, dont elle fréquente les parcs et les piscines – où les garçons depuis toujours s’appellent Octave, Arnold ou Xavier et les filles Gaëlle, Astrid et Éléonore. Et puis elle ne peut s’empêcher, à chaque fois qu’elle l’entend, qu’on le lui adresse, qu’elle se le dit dans le silence de ses bouderies et de ses stratégies, de le rapprocher de l’Angèle de Pagnol, l’Angèle du film qu’incarne Orane Demazis, cette fille « laide et détestable » qui, ô comble d’ironie, s’était vu attribuer un prénom qu’elle-même, Angèle, rêve encore de porter ; mais qu’elle ne peut s’offrir : elle pourrait très bien, loin des yeux et des oreilles de la famille, se l’offrir et ainsi se faire appeler, mais se faire appeler Orane serait encore rappeler à elle le visage et la disgrâce de l’Angèle, l’autre, celle du film, la Demazis...