À midi, Agathe se trouve donc face à son clavier, ce beau Bösendorfer à queue qui à lui seul occupe la moitié du séjour et sur lequel Marcel a tant peiné, Sébastien s’est tant amusé, Nina peine encore. Elle ne le délaissera qu’à dix-huit heures précises, et pour cette heure-ci précisément, nulle question, car chacun sait que c’est à dix-huit précises, c'est-à-dire six heures après s’être effondré, que Marcel est décédé.
Dix-huit heures est l’heure à laquelle Agathe cesse d’appuyer sur les touches, et on s’étonnera, en observateur patient et attentif, du caractère automatique et immuable du phénomène : l’immobilisation subite des mains encore en appui, la levée brusque des phalanges pétrifiées dans leur dernière position, le retrait des bras en un mouvement fluide et parfaitement horizontal, et enfin la dépose des paumes sur le haut des cuisses dont elles se mettent alternativement à comprimer et à relâcher la chair, doucement et lentement, avec constance et régularité, comme s’il s’agissait d’une opération indispensable pour le bon repos d’on ne sait quels muscles, ceux des doigts et des poignets ou ceux, comprenne qui peut, des cuisses et de l’aine...