282 :
« D'une manière générale un homme devrait savoir toute
langue ou toute science qu'il apprend, à fond ; tandis
qu'une femme devrait savoir de la même langue ou science
seulement ce qu'il lui faut pour être capable de sympathie avec
les joies de son mari et avec celles de ses meilleurs
amis. »
283 :
bons et mauvais romans...
« Le roman le plus faible n'est pas aussi malsain pour le
cerveau que les basses formes de la littérature religieuse
exaltée, et le plus mauvais roman est moins corrupteur que la
fausse histoire, la fausse philosophie et les faux écrits
politiques. Mais le meilleur roman devient dangereux, si, par
l'excitation qu'il provoque, il rend intéressant le cours
ordinaire de la vie, et développe la soif morbide de connaître
sans profit pour nous des scènes dans lesquelles nous ne serons
jamais appelés à jouer un rôle. Je parle des bons romans
seulement ; et notre moderne littérature est
particulièrement riche en de tels romans, dans tous les genres.
Bien lus, en effet, ces livres sont d'une utilité réelle,
n'étant rien moins que des traités d'anatomie et de chimie
morales ; des études de la nature humaine considérée dans
ses éléments. Mais j'attache une mince importance à cette
fonction ; ils ne sont presque jamais lus assez
sérieusement pour qu'il leur soit permis de la remplir. Le plus
qu'ils puissent faire habituellement pour leurs lectrices est
d'accroître quelque peu la douceur chez les charitables et
l'amertume chez les envieuses ; car chacune trouvera dans un
roman un aliment pour ses dispositions innées. Celles qui sont
naturellement orgueilleuses et jalouses apprendront de Thackeray
à mépriser l'humanité ; celles qui sont naturellement
bonnes, à la plaindre ; et celles qui sont naturellement
légères, à en rire. De mêmes les romans peuvent nous rendre
un très grand service spirituel, en faisant vivre devant nous
une vérité humaine que nous avions jusque là obscurément
conçue ; mais la tentation du pittoresque dans la
composition est si grande que, souvent, les meilleurs auteurs de
fiction ne peuvent y résister ; et le tableau qu'ils nous
donnent des choses est si forcé, ne montre tellement qu'un
côté des choses que sa vivacité même est plutôt un mal qu'un
bien. »