285 :
« Le mal que le hasard a pu éparpiller, çà et là, ou
cacher
dans un livre puissant ne fera jamais de mal à une noble
fille. »
Note de Proust qui tout de même se manifeste :
« Ces préceptes, Ruskin ne les a peut-être trouvés que
dans son intelligence, ils sont plus émouvants pour nous qui les
avons vus vivre, qui les avons recueillis sacrés et vivants,
ayant traversé des générations en passant d'une pensée à une
autre pensée (de la pensée de la mère éducatrice à la fille
éduquée) où ils s'incorporaient, s'assimilaient, dirigeant et
modifiant les fonctions de la vie spirituelle. Nous les avons
recueillis dans le cur infiniment pur, dans l'intelligence
infiniment noble de femmes qui avaient été élevées d'après
eux par des mères trop pures aussi pour craindre le mal pour
elles-mêmes ou pour leurs filles, trop élevées d'esprit pour
ne pas craindre la frivolité. Il y eut ainsi, à un certain
moment, dans certaines familles de la bourgeoisie française, une
sorte d'ardente religion de l'intelligence transmise à leurs
filles par des mères qui ne redoutaient pour elle qu'un contact
dangereux, celui de la vulgarité. Des mots crus que pouvait
renfermer Molière, des situations hardies que pouvait renfermer
George Sand, on n'en avait cure, la mère sachant que sa
fille n'y songerait même pas. L'absence de pudibonderie n'était
que la sainte confiance d'un cur inaccessible aux
curiosités malsaines, qui ne se disait même pas qu'il y était
inaccessible, car il ne pouvait les concevoir. Par de telles
mères, des femmes furent élevées dont la puissance
intellectuelle et la grandeur morale ne furent jamais
dépassées. On ne peut s'empêcher de le dire en retrouvant, en
reconnaissant ici ces mots bénis qui avaient dirigé leur
jeunesse, écarté d'elles la frivolité, entretenu en elles,
avec une simplicité délicieuse, le feu sacré. »