L'un des points positifs que je voyais en ce journal, c'était justement la possibilité d'y remédier : une contrainte (volontaire, tout de même) journalière qui devenant habitude forcerait les mots, contraindrait la pensée, la canaliserait, la régulariserait, la ferait claire et docile et non brouillonne et insaisissable comme elle se trouve être généralement. Et dire pensée n'est pas juste, car je devrais plutôt parler d'impressions, de sensations. En un mot : d'informulable. Je cherche donc à formuler l'informulable, c'est-à-dire mettre des noms et des mots à cette somme d'impressions et de sensations qui guide mes choix, mes jugements. Un exemple. J'ai lu aujourd'hui : Fragments d'une autobiographie de Rosselini. Ayant vu pas mal de ses films et ayant eu le journal à l'esprit pendant la lecture, je me suis donné pour tâche, le soir, dans le cadre de la rédaction du jour, de parler de Rosselini. Et je me suis aperçu que je ne pouvais rien en dire. Non parce que je n'en pense rien, mais simplement parce que je me savais être dans l’incapacité de formuler ces pensées. Je me suis repassé Stromboli, Voyage en Italie, Rome Ville ouverte, Paisa, St François et au gré des images qui défilaient dans ma tête et des impressions qui y étaient liées, j'ai cherché à les définir et à pouvoir dire pourquoi je les aimais ou ne les aimais pas. En vain. Les mots s'échappent. Impossible de dire en quelques mots pourquoi j'ai aimé ou pas aimé, ni même peut-être de savoir si j'ai réellement aimé (quoique j'en suis sûr pour Paisa et St François auxquels je ne pourrais appliquer que des formules et des mots banals et finalement vides – superbe, beau, grand, etc. – autant de qualificatifs et de superlatifs qui ne peuvent espérer prendre une quelconque valeur qu'à l'aide de la voix ou d'un tiers complice, déjà convaincu, qui comprendra tacitement et implicitement le sens et la charge de ce qualificatif, ou alors faudrait-il passer par une analyse fouillée et précise qui inévitablement tombera dans l'exégèse...