Tenir un journal tel le mien (si tant est que le terme soit exact : je dirais plutôt que c'est un éphéméride épistolaire, car, pour l'instant, je pense qu'il y a aucune différence entre mon courrier habituel et cette tentative d'une autre formule d'écrit), qui se veut régulier, en s'efforçant de ne pas faiblir et en faisant en sorte que chaque jour porte son écrit, même si l'envie n'y est pas (mais il n'est pas question d'envie dans ce cas), est extrêmement difficile. J'y pense très souvent dans la journée, en notant mentalement des faits, des impressions, des pensées, des réflexions que je destine à la rédaction du soir (par moments même en ne sachant plus si c'est la pensée qui précède l'idée du journal à rédiger, ou si c'est le journal qui provoque la pensée), et à ces moments, je regarde cette tâche avec intérêt et plaisir. Une fois rentré (et pire : une fois le moment arrivé, car c'est approximativement à la même heure que je le rédige, en fin de soirée, voire en début de nuit), c'est évidemment le vide. Et le vide appelle le doute, le doute l'inintérêt. Plus que jamais, les mots me manquent. Y a-t-il un lien ou n'est-ce qu'une aggravation de ce que je remarque depuis quelque temps (mois, années), c’est-à-dire une difficulté grandissante à pouvoir m'exprimer, ou plutôt à formuler ?… mais peut-être n'est-ce pas récent et ai-je toujours été  comme ça. Je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas. Mais je sais qu'il y a tout de même longtemps que je me le dis et que je le dis. N'ai-je pas pris l'habitude de le répéter et ainsi en suis-je arrivé à m'en persuader ? Ça reste possible, car lorsqu'il m'arrive de relire un texte, un article fait il y a quelques années, je me trouve étonné de sa formulation, de son vocabulaire et j'ai peine à croire que je l'ai écrit et je me dis quelque chose qui pourrait ressembler à ceci : « C'était le bon temps, c'était l'époque où je savais écrire... » – entendre : où je savais formuler ce que je voulais dire. Et plus que tout cela, c'est l'impression de facilité qui s'en dégage qui me surprend, alors qu'au moment où je me fais cette réflexion, je me sais incapable de formuler. Et ainsi de suite, la chose s'est produite plusieurs fois, et je suppose qu'elle se reproduira encore et que je pourrai d'ici quelque temps dire de ce que j'écris actuellement : « C'était le bon temps etc. »