Mais la grande différence, hormis les mots, et le propos, était dans le souffle,
dans le rythme : la phrase de Proust, lorsqu'elle est longue, et même si elle
est cassée, brisée, s'écoule, régulière, presque paisible, comme un large fleuve
en son état mûr, et au seuil de la crue, adulte (tant pis pour les images
faciles), tandis que celle de Faulkner ne s'écoule pas, elle déferle, avec une
espèce de tension constante qui sans cesse se recharge, qui est un flot, un
flux, sans cesse grossissant et qui au comble du grossissement tombe comme un
assommoir... Eh bien, c'est cette tension, cet halètement, cette ruée qui sont
dans cette phrase et que jamais ailleurs chez lui je n'ai rencontrés. Et ça m'a
tellement frappé, tellement saisi, que je n'ai pu m'empêcher, par deux fois, de
lire à haute voix ces quatre pages et demi ; de lire, et de relire aussitôt
après, ces quatre pages tant parce qu'elles sont admirables que parce qu'elles
sont inattendues et étonnantes... Marcel se livre, en tout cas livre
sans ambages ni détours, sans souci, du moins je le pense, du regard et du
jugement d'autrui – encore que cela soit censé être lu à sa mère –, c'est
étonnant...