Avant la Création d'Ève, Adam est seul, comme mort, sans même un mot pour dire toute la beauté de son corps. Lorsqu'elle arrive, Adam reçoit son nom, puisqu'elle l'appelle. Et de leurs découvertes, à deux, ils peuvent commencer à nommer les choses puisque désormais ces choses ont une histoire. La leur. Leur histoire. Et puisqu'ils sont à deux, ils peuvent vouloir renouveler certaines choses, et alors, puisqu'au Paradis toutes les choses sont bonnes, ils vont maintenant inventer le langage du plaisir.

 

Ce plaisir qu'ils auront déjà commencé d'exprimer au quatrième tableau, celui juste devant le panneau central, lorsqu'on entre dans la chapelle, et c'est une scène du tout début, encore au paradis terrestre, Adam et Ève en classe d'apprentissage de leur nouvelle vie oisive et conjugale. Et on saura par M. Ange que c'est au beau milieu d'une tendresse toute inventive qu'éclatera la colère, sans nom encore, de leur divin créateur.

 

 

 

 

 

Vasari nous parle pudiquement de ce « retourné subtil » dans la position d'Ève, et qui nous laisse imaginer qu'ils avaient appris déjà des choses tout seuls, et le serpent n'aurait dans le fond renforcé leur connaissance que d'une « gâterie » supplémentaire, mais suffisamment forte cependant, car tout le drame viendra de là, suffisamment forte pour avoir permis d'oublier, et d'écarter dans cet instant le jaloux créateur, qui semble-t-il, sera alors saisi d'une telle crainte qu'il condamnera ses créatures à s'employer à une autre sorte de travail physique. Pour Adam : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » et pour Ève, il maudira, pour un autre moins doux, le cri de leur insoumission : « Tu enfanteras dans la douleur ».  

 

Effectivement, ce que Ève vient d'inventer est capital.

Car par la transformation par elle de l'ordinaire élan génésique, en un acte pensé pour l'Autre, autant dire que de la compréhension de sa langue est née la vraie perspective du langage: sa possible transformation devant le désir.

Pour cet Autre les mots seront inventés, et la syntaxe ne sera que la savante mixtion destinée à faire de ce langage une Adresse. Transformant l'Autre, ainsi, en destinataire. Le langage entreprend son Destin.

 

C'est dans cette disposition d'esprit que nous allons retourner à Dante.