« Pour prendre comme exemple l’exercice qu’on appelle, dans une autre acception du mot imitation, “ faire des imitations ” (ce qui se disait chez les Guermantes “ faire des charges ”), Mme de Guermantes avait beau le réussir à ravir, les Courvoisier étaient aussi incapables de s’en rendre compte que s’ils eussent été une bande de lapins, au lieu d’hommes et femmes, parce qu’ils n’avaient jamais su remarquer le défaut ou l’accent que la duchesse cherchait à contrefaire. Quand elle “ imitait ” le duc de Limoges, les Courvoisier protestaient : “ Oh ! non, il ne parle tout de même pas comme cela, j’ai encore dîné hier soir avec lui chez Bebeth, il m’a parlé toute la soirée, il ne parlait pas comme cela ”, tandis que les Guermantes un peu cultivés s’écriaient : “ Dieu qu’Oriane est drolatique ! Le plus fort c’est que pendant qu’elle l’imite elle lui ressemble ! Je crois l’entendre. Oriane, encore un peu Limoges ! ” Or, ces Guermantes-là (sans même aller jusqu’à ceux tout à fait remarquables qui, lorsque la duchesse imitait le duc de Limoges, disaient avec admiration : “ Ah ! on peut dire que vous le tenez ” ou “ que tu le tiens ”) avaient beau ne pas avoir d’esprit, selon Mme de Guermantes (en quoi elle était dans le vrai), à force d’entendre et de raconter les mots de la duchesse ils étaient arrivés à imiter tant bien que mal sa manière de s’exprimer, de juger, ce que Swann eût appelé, comme le duc, sa manière de “ rédiger ”, jusqu’à présenter dans leur conversation quelque chose qui pour les Courvoisier paraissait affreusement similaire à l’esprit d’Oriane et était traité par eux d’esprit des Guermantes. »