La bonne Céleste a servi Proust durant huit ans, de 1914 à 1922, c'est-à-dire jusqu'à sa mort, huit années durant lesquelles elle lui a voué chaque seconde de sa vie, elle et son mari qui était chauffeur, mais elle principalement. Elle a attendu une cinquantaine d'années avant de livrer ses souvenirs. J'ignorais qu'ils existaient, qu'un livre en avait été fait. Je ne connaissais que l'existence du Céleste de Percy Adlon (pas vu, du reste) qui, sans nul doute, a puisé dans ce livre... Céleste écrit comme elle parle ; mais, en réalité, n'écrit pas, mais parle puisque tous ses propos ont été recueillis (par Georges Belmont), puis mis en forme. Belmont précise que rien n'a été changé au fond, qu'il ne s'est agi pour lui que de les mettre en forme, de les monter, les structurer pour en constituer un livre cohérent ; mais pour le reste, pas un mot n'a été changé... Céleste parle donc, et c'est bien quelqu'un qui parle ; quelqu'un de simple, de droit, d'honnête ; quelqu'un qui ne cherche que la parole qui restituera la vérité : celle de sa vie avec Proust ; quelqu'un d'ordinaire (quoique exceptionnel par certains côtés, si l'on veut concéder cet adjectif à la complète soumission de soi, à l'abnégation totale, à ce qui relève de la dévotion) qui n'a pas le souci de la phrase, de la littérature ; qui n'y pense même pas ; mais quelqu'un aussi de lucide, qui a la pleine conscience de cet état d'alors, état d'une femme d'une vingtaine d'années, fraîchement mariée et venue de sa Lozère natale et qui, fortuitement, se retrouve au service de l'un des hommes les plus importants de son époque...