Suite... « Les Américains en Océanie », Eliade. La
première fois que j'ai rencontré la formule « cargo cult », c'était dans une
nouvelle que j'avais à traduire, Ballard. J'en avais demandé la signification à
Graham qui m'avait expliqué qu'il s'agissait d'un culte que certains peuples du
Pacifique avaient voué aux cargos américains durant la Deuxième guerre mondiale ;
« cargo » est entendu dans les deux sens, contenant et contenu, la
cargaison et le navire. Il n'y avait pas de traduction précise : « cargo
cult » ou « culte des cargos », il n'avait su me répondre, encore que l'expression dans la
langue soit plus juste puisqu'en français ne subsiste du terme que le contenant... C'est ce
dont il s'agit dans ce texte d'Eliade et je suis ravi de savoir aujourd'hui de
quoi il retourne. Voir p. 62, 63 et 72 où j'ai ajouté mes propres traces au
crayon gris...
« [...] [les] Américains, [...] sont évidemment les
Ancêtres, les morts qui reviennent chargés de dons. Les Américains ont été les
derniers Blancs à entrer en contact avec les indigènes des îles océaniennes,
surtout pendant la deuxième guerre mondiale. Dans la pensée mythique des
indigènes, ils ont pris la place des Hollandais, des Allemands, des Français ou
des Anglais. Tous sont des Blancs, c'est-à-dire aux yeux des indigènes, des
esprits, des morts, des fantômes, des revenants. Ils arrivent, en effet, de très
loin, des îles d'où sont venus, aux temps mythiques, les Ancêtres des
Mélanésiens – les mêmes îles où chaque indigène retourne après la mort.
C'est parce que les Ancêtres sont arrivés par bateaux que les morts sont placés
dans des petites barques, qui les ramèneront jusqu'à leur pays d'origine. Il
s'agit, bien entendu, d'un pays mythique, situé au-delà de l'Océan. [...] Le
pays des Ancêtres, au-delà des Grandes Eaux, est une île fabuleuse, sorte de
Paradis où les âmes des morts attendent leur retour triomphal chez les vivants.
En effet, elles reviendront un jour, mais cette fois dans des navires somptueux
et chargés de marchandises, pareils aux cargos géants que les Blancs
accueillent tous les jours dans leurs ports. »