Pour ce qui est des compositions écrites, soit destinées à être interprétées, je ne donne que le strict minimum d’informations, voire pas du tout : la partition, ce ne sont que des signes particuliers à la musique et reproductibles qu’en termes de musique ; le reste n’est qu’agrémentation, qu’une manière de fioriture ou de sophistication, sorte de concession à un autre monde du graphe : le texte par exemple. Et les indications que je consens à laisser sont suffisamment floues pour que l’on n’y entende que ce que l’on veut bien y entendre. Je laisse libre choix à l’exécutant. C’est à lui d’interpréter, soit de traduire, et donc de s’approprier. Ce que je donne, c’est un papier muni de signes. C’est lisible. C’est fait pour cela : pour être lu. Celui qui le lit, l’entend. Il le lit et à ce moment-là, nous sommes sur un même plan : un plan de lecteur. Nous lisons, nous entendons. Et cela pourrait s’arrêter là. En tout cas, mon rôle s’arrête là... Je le transmets donc à l’instrumentiste. À ce moment-là, il peut le prendre, le lire, l’entendre. Puis, me le rendre, en me disant, comme signe d’acceptation ou non: « C’est entendu ». Et puis partir. Mais, restant, il me dira plus sûrement : « Comment voulez-vous que je l’entende ? » ou alors « Comment voulez-vous l’entendre ? ». Je lui dirai alors : « Je n’ai pas besoin de l’entendre : je l’entends déjà. Au mieux, je voudrais l’écouter ». Et il dira : « Mais moi, comment dois-je l’entendre ? ». Je lui dirai : « Vous l’avez déjà entendu. À vous de voir, si vous voulez l’écouter. Si vous voulez cela, jouez. » « Oui, mais comment ? » « Comme vous voudriez que cela soit écouté... » De ce papier, il tirera des sons. Ce seront ses sons. Les siens. Ou du moins, c’est ce que je voudrais : qu’ils soient siens. Ce qu’il n’acceptera pas, ne comprendra pas. Lorsque j’ai voulu rendre audibles les compositions du Journal musical qui de prime abord n’étaient pas faites pour cela : elles étaient faites pour être écrites et non jouées –, j’ai été sans cesse confronté à cette incompréhension : celle que marquaient les instrumentistes face au libre choix, à la transmission ; à la passation de pouvoir, en somme. Je dis : « À vous de jouer, maintenant. » « Oui, mais comment ? » « Comme vous l’entendez, c’est-à-dire tel que c’est écrit ».

 

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