Lorsque j’ai eu mon premier instrument, il m’a tout de suite paru logique et naturel de ne pas reproduire ce qui existait déjà – puisque ça existait déjà –, mais plutôt d’inventer. Par voie de conséquence, je n’ai jamais suivi le moindre enseignement, n’ai jamais été soumis au moindre professeur, ne suis jamais entré dans la moindre classe. On s’étonne que, muni de cette carence, je puisse lire, écrire et pratiquer. Et aujourd’hui, professer. Mais professer, essentiellement, c’est éduquer, soit tirer de, sortir de, mettre au jour. Alors, plutôt que professer, j’éduque. Il n’empêche que souvent, en me voyant là, en attente, à côté de l’élève à qui, au bout du compte, je n’ai rien à apprendre, je me fais l’effet d’une sentinelle de l’égarement humain, le mien autant que le sien, et à chaque seconde, j’ai l’irrésistible envie de me lever et de lui dire que je n’ai rien à lui apprendre et que c’est à lui de tout inventer.

 

(Roman a huit ans. Lorsqu’il joue, il ne respecte pas toujours la partition. Mais je ne le corrige pas, car il joue en musicien.)

 

Qu’est-ce qui prédomine dans un récital : la vue ou l’ouïe ? (Aller au concert, c’est comme aller au cinéma : c’est se placer devant une image dont le son ne sera que l’accessoire.)

 

Entre mon interprétation en chambre de 0 Mistress mine et celle, professionnelle, de X, je préférerai toujours la mienne. X cherche à restituer, soit : à rendre, soit : à approcher, voire à révéler, une authenticité (vérité) d’un autre temps dont il n’a pas la moindre idée et qui n’a aucune réalité. Moi, je prends la partition et je chante. Cette partition prend son existence et tout son sens au moment où j’y pose les yeux : elle m’est contemporaine. C’est ma partition. Elle naît et vit avec moi, tandis que X cherche à la faire revivre.

 

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