(Des orgues limonaires, ou des fifres et des tambours, et une population qui danse. Les gens qui dansent ne parlent pas. Ils s’en remettent à la musique, la musique qui peut statufier ou animer, c’est selon. Dans ce cas, elle anime. Mais dans ce cas comme dans l’autre, elle doit imposer le silence. Le danseur, inconsciemment, saisit ce silence.)

 

Les gens disent : ça va, moi, je connais la musique. Ils ne disent pas : moi je connais la peinture. Il serait plus juste qu’ils disent : moi, je connais la peinture, car tout le monde connaît un tant soit peu la peinture, alors que personne n’y entend quoi que soit en musique. La musique, ça ne se connaît pas.

 

Lorsque j’ai eu mon premier instrument, il m’a aussitôt paru logique et naturel de ne pas reproduire ce qui existait déjà – puisque ça existait déjà –, mais plutôt d’inventer. Par voie de conséquence, je n’ai jamais suivi le moindre enseignement, n’ai jamais été soumis au moindre professeur, ne suis jamais entré dans la moindre classe. On s’étonne que, muni de cette carence, je puisse lire, écrire et pratiquer. Et aujourd’hui, professer. Mais professer, essentiellement, c’est éduquer, cest-à-dire tirer de, sortir de, mettre au jour. Alors, plutôt que professer, j’éduque. Il n’empêche que souvent, en me voyant là, en attente, à côté de l’élève à qui, au bout du compte, je n’ai rien à apprendre, je me fais l’effet d’une sentinelle de l’égarement humain, le mien autant que le sien, et à chaque seconde, j’ai l’irrésistible envie de me lever et de lui dire que je n’ai rien à lui apprendre et que c’est à lui de tout inventer...