L’impalpable, le « lui » de
Laporte, qu’il rapporte aussi bien au texte qu’à la musique et n’est pas loin
d’appeler Dieu, je le nomme tout simplement grâce ; autrement dit : la faveur.
La musique est une faveur, c’est-à-dire le ruban du cadeau, et sa (dis)section
ne peut être qu’une muflerie à l’égard de qui me la donne.
Être musicien, c’est un état et non
une fonction, un métier ; de la même manière qu’un écrivain pense avant
d’écrire, un musicien avant tout entend et peut se passer de connaître et de
pratiquer.
L’autre jour, j’ai fait écouter
Sonic Youth à A***. A*** est flûtiste et guitariste. C’est un excellent
instrumentiste : propre, net, précis, rigoureux, et il a toujours de très beaux
mots pour la musique : ronde, cristalline, épurée, fluide, piquée, grasse,
coulée, et de beaux gestes pour les accompagner. Je lui ai fait écouter Sonic
Youth en sachant par avance quelle serait sa moue et quels seraient les mots qui
lui succéderaient. En sachant qu’il se contracterait. Il y a eu la moue, il y a
eu les mots. Il y a eu la contraction. A*** réduit la musique a ce qui est
oblitéré dans son catalogue intime. Je crains fort qu’il ne soit jamais musicien.