Un son est un son. Pas une image. Pas un mot. Pas une émotion. Surtout pas une émotion. Une émotion, c’est une sensation affublée d’un nom, c’est une sensation intellectualisée. La musique est du domaine de la sensation, pas de l’émotion... Le romantique invente l’émotion sonore et s’y prélasse ; d’où son indigence infinie et le mépris qu’il m’inspire. De même le (dé)compositeur de musique de film, qui, à l’aide de son épuisette, passe au crible les grèves des siècles pour y soutirer la crevette et le crabe dont il fera sa manne à gogos. Il doit rendre sa copie, qui sera d’autant plus remarquée qu’elle sera conforme à la convention des émotions éternisées imposée par des prédécesseurs voulus illustres pour le bon entendement : les grands mètres de la musique pour bien faire la mesure. Ainsi Rota excelle dans la brièveté, la concentration. Au-delà d’une minute, il s’égare, s’épuise et révèle la faiblesse totale d’une intelligence, d’une perception et d’une honnêteté (voir La suite pour La Strada). À l’instar de ses pairs en matière d’illustration, il compose face à une image. Sa musique est une expression de l’image et du mot. Sa musique est de l’image. Privé de l’image, il se perd et n’a d’autre ressource que d’empoigner son épuisette.

 

(Prokofiev, Stravinsky, Bartók, Satie, Puccini, malheureusement, et tous les romantiques, comme des entrepôts de provisions destinés à la disette perpétuelle des illustrateurs sonores – mais, heureusement, pas Cage, Scelsi, Varèse, Crumb, Beefheart...)

 
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