(À quoi peut bien servir la
prophétie ?
que signifie et quelle valeur a le « je vous aurai
prévenu » ?
« Attention, tu vas tomber. » Il tombe. « Je
t'avais prévenu. » Mais il est tombé. S'il avait écouté, il
n'aurait pas commis l'erreur de tomber.
Mais est-ce une erreur ? On peut l'admettre. S'il avait
écouté, il se serait dispensé d'une douleur, ou simplement
d'une chute. Admettons... Maintenant : il y a quatre
siècles, untel prédit et dit : « Vous aurez été
prévenus. » Il dit : « Attention, vous allez
tomber. » On tombe. Si on l'avait écouté, nous ne serions
pas tombés. Et puis ? Et puis il dit :
« Attention, demain le ciel va vous tomber sur la
tête ! » Nous voilà prévenus. Et le lendemain,
effectivement, le ciel tombe. Et puis ? Il est tombé. Nous
avons été prévenus... Des hommes passent leur vie à prédire
et à dire, ou à dire ce que d'autres ont prédit (et c'est dire
que dès lors ils prédisent aussi). Et les choses arrivent, ou
n'arrivent pas. Mais certaines peuvent arriver, et admettons
qu'elles arrivent. Et puis ?...
Je fume depuis plus de vingt ans et je peux affirmer sans grand
risque de me tromper que je vais attraper un cancer du poumon et
même en mourir. Lorsque je l'aurai, je pourrai dire :
« J'avais raison. Je l'avais prédit. » Mais
était-ce une prédiction ? Et la prédiction existe-telle
en tant que telle au moment où elle est annoncée ou à celui
où elle est constatée ? Mais admettons. Si l'on me
dit : « Si tu continues à fumer, tu vas attraper un
cancer. » Je cesse de fumer, je n'attrape pas ce
cancer-là. Bon. Je peux remercier mon interlocuteur/prophète.
Mais si untel dit : « X va devenir dictateur de
tel pays et précipiter la planète dans le sang et
l'horreur. » Que fait-on ? On peut admettre, supposer
que l'on prenne la prédiction/prophétie au sérieux et en
considération et que l'on élimine le futur dictateur. Ouf. Le
pays, et par voie de conséquence, la planète, est sauvé. Mais
que dit-on (prédit-on) de celui qui va le remplacer (ailleurs ou
dans le même pays), ou de celui qui déjà l'a
remplacé ?... (et si la prédiction était fausse et que X,
au lieu de dictateur, était devenu un splendide homme de
lettres ?)
La fin du monde du mois d'août : je suis tombé par hasard
sur un Bouillon de culture à quelques semaines
de l'éminence de cet événement apocalyptique. Une brochette de
prestigieux clowns échangeaient spéculations et hypothèses
quant à la justesse ou non de cette prédiction. Je suis resté
ahuri face à cet échange grave et pontifiant qu'aucun éclat de
rire n'est venu, à aucun moment, secouer. Comment est-il
possible que des hommes passent leur vie à chercher à vérifier
la justesse de textes abscons et nébuleux datant de plusieurs
siècles dans le seul but d'en arriver à cette admirable
déclaration : « Nous avons été prévenus. »
Une météorite va s'écraser sur la planète.
Ça arrive.
Voilà.
Ça n'arrive pas.
Voilà.
Et puis ?
27 octobre 1999