En lisant Lauve, banlieue, métro, je me demande comment il se fait que je n'ai rien écrit à propos du métro, du train, chaque jour, à l'époque de Billy, rien à propos de cette épouvantable tranche de la vie des hommes et de la mienne, en particulier. Sans doute, n'était-ce pas assez « intéressant », au même titre que le travail ici, que mon travail et ses conditions si particulières, et pour tout dire, exceptionnelles, et tellement attachées à ce que je suis, tellement (à bien y réfléchir) prolongement de moi-même, comme si je l'avais moi-même inventé, comme si, à un moment donné de ma vie, j'avais pris la décision de la création d'un emploi alimentaire qui soit à moi seul réservé et qui me soit comme un gant pour de longues années à passer dans une échancrure de la vie des autres... Mais était-ce bien utile de relater ce que des millions d'autres humains partageaient avec moi à ce moment-là : l'attente sur le quai, l'entassement dans les wagons, les rames, la recherche de la place assise, l'humidité ou la touffeur, les odeurs des autres, le tabac froid, les vêtements mouillés de pluie, les regards de sommeil, les silences ou les conversations à tue-tête, l'apathie, la somnolence, la précipitation, la hâte, les colères rentrées, les songes éveillés, la hideur des visages, des expressions, des habits, la lumière, parfois, d'un regard, d'un visage, princesse perdue dans une meute puante, l'indifférence, la rancœur rentrée, la course à perdre haleine le matin, les vagues hochements de tête aux habitués du matin ?...