C’est remarquable, sans aucun doute. Mais
pourquoi cet accrochage au réel ? Pourquoi faire du réel, absolument,
opiniâtrement, un sujet d'écriture, ce réel dans lequel l'auteur s'inclut en
puisant non dans sa mémoire imaginaire – et de là, imaginative –
mais dans celle qu'il pense être celle de son corps et de sa vie ?…
La mémoire littéraire est celle que l'on s'invente et non celle censée être
fidèle à un cours vécu des choses affublé du nom de souvenir. Le seul souvenir
authentique est celui qui n'a jamais eu lieu et échappe au réel défini comme
étant ce que l'on vit. Ma réalité en tant qu'archiviste n'a d'intérêt que dans
la mesure où je l'utilise à des fins d'écriture (et de vie), et si je
fais appel à des souvenirs « réels », c'est pour les transplanter dans une
autre terre, une autre mémoire qui deviendra inédite. Je m'en sers, je les
utilise ; je ne les raconte pas ; et ainsi j'échappe au réel. Millet
reste les deux pieds dans le réel, un réel convenu et (malheureusement) attendu
et la manière, l'écriture n'y changent rien. Ce n'est qu'une variation, alors
que ça devrait être une déviation, une dérive... Mais je n'ai pas fini, et tout
cela, malgré tout, n'empêche pas le plaisir
(mais dans ce cas de figure, est-il suffisant ? Et
est-ce du plaisir ?).
25 octobre 2000