Je me suis levé tendu à l’idée de cette journée chez maman. Je poursuis La fin des temps, pense l’achever, mais je dois partir. J’ai trouvé la maison déserte, la table de la cuisine encombrée, la télé allumée, ai craint de la retrouver je ne sais où effondrée, inanimée, morte ; j’ai parcouru plusieurs fois toute la maison, même les placards et le cagibi, même le grenier alors que je sais pertinemment qu’elle est incapable de monter l’escalier ; je ne savais que penser, en même temps ne me suis pas inquiété outre mesure : elle a dû faire une chute, les pompiers sont passés et l’ont emmenée aux urgences, c’est déjà arrivé. J’ai alors passé un coup de fil aux urgences de Rance ; elle ne s’y trouvait pas ; puis appelé Guillemette, elle n’était au courant de rien, puis les urgences de Riaumont où elle ne se trouvait pas davantage ; j’ai rappelé Guillemette, décidé de m'en aller. C’est à ce moment-là qu’une ambulance s’est arrêtée dans l’allée du jardin ; maman s’y trouvait. Elle en est sortie, pas contente du tout. L’infirmier m’a dit que tout allait bien, l’infirmière m’a remis une chemise qui contenait des radios. Elle était aux urgences à Rance, n’a cessé de maugréer contre la terre entière, a eu une « crisette » que j’ai mise à profit pour poursuivre Murakami. Puis elle s’est levée, j’ai préparé le repas, nous avons mangé, pris le café et il a été l’heure de m’en aller. Au retour, j’ai décidé de fumer une cigarette en terminant les quelques pages qui me restait de Murakami. Je suis au salon, Éléonore arrive, allume la télé ; je file dans la cuisine, achève La fin des temps dans un état de suspension total. C’est beau, c’est très beau. Murakami est plein de maladresses, mais nanti d’une force. C’est tendre, sensible ; éclairé. Je cherche au plus vite les mots qui pourraient convenir ; Alain Jouffroy – dont, après avoir laissé passer quelques minutes d’étourdissement, j’ai entrepris de lire la préface – ne me les fournit pas. Je n’en ai lu que quelques lignes, ai très vite abandonné car c’est intellectuel, ce sont des mots du cerveau pas du cœur. J’ai trouvé ces mots-là inutiles, déplacés, décalés. J’ai refermé le livre en décidant de ne rien en dire d’autre que : c’est beau. (La fin n’est pas celle que j’imaginais, m’étais donné, aurais pu être amené à écrire.) Je pense que c’est complètement japonais... Je lis dans la présentation que Murakami a traduit Fitzgerald et Chandler ; voilà qui corrobore mes soupçons quant à son humour – mais aussi, maintenant que j’y pense, la langueur, la mélancolie du narrateur (de tous ses narrateurs), à la fois hagard et lucide face à la vie...

 

18 septembre 2005