Ma première pensée a été pour le canular, ou, pour le moins, pour une fantaisie d'écriture, à la manière de Pessoa et tel que je l'ai déjà pratiquée à plusieurs reprises, c'est-à-dire, au-delà du simple pseudonyme, la création d'un véritable personnage. Le doute n'a fait que se préciser lorsque j'en ai entamé les premières pages. Journal intime, certes, à la facture qui, pour un écrit du « jour le jour », me paraissait un peu trop propre, un peu trop travaillée ; un peu trop littéraire, pour tout dire. J'ai poursuivi jusqu'à la page 80. Je ne me pose plus la question de l'authenticité de cet écrit ; seul m'importe désormais les faits et l'écriture. Les faits, c'était tout d'abord les lamentations d'un homme face à un amour perdu, puis, ce qui va justifier le titre, les jérémiades du même homme face au temps perdu qu'illustrent [illisible] les souvenirs de l'enfant qu'il n'est plus ; hélas, je connais la scie. L'écriture, c'est une espèce de convention bonhomme et molle qui, hors la relation à l'amour (qui peut lui conférer une certaine qualité, encore que cet homme amoureux soit en tout point semblable à n'importe quel autre homme amoureux, moi inclus [voir note], donc : où est l'intérêt ?), n'est pas éloignée du comique... Les deux assemblés font que ce texte n'a pas le moindre intérêt et si effectivement son auteur a existé et l'a effectivement écrit, ce n'est pas lui avoir rendu service que de l'avoir publié ; et s'il s'agit d'un faux, quel intérêt puisque, dans sa médiocrité et sa convention, rien ne le distingue de milliers d'autres écrits, qu'ils soient des journals ou non ? Bref : qu'est-ce qui peut justifier la publication d'un faux banal et pauvre, la volonté de racolage étant par là même exclue, encore qu'il ne soit pas impossible qu'il s'agissait d'un créneau juteux à l'époque...