Pour étayer, je mentionne les deux livres de Laborit que j'ai passés à Samuel il y a un mois ou deux. Je dis : « Lis un spécialiste du cerveau, vois ce qu'il en dit », fort à ce moment-là de mon argument. Nous rentrons. Je lui ai passé L'homme imaginant et L'éloge de la fuite ; m'en reste un troisième : L'agressivité détournée. Par curiosité et par envie d'un rafraîchissement de mémoire, je le survole, debout dans la cuisine alors qu'ils sont couchés et tombe sur un passage qui expose clairement la thèse de Samuel : la carte vierge du cerveau. Stupéfaction, puis doute, puis, en poursuivant ma lecture, apparition d'une évidence : comment ai-je pu penser un seul instant que Laborit, en sec scientifique qu'il est, ait pu aller dans mon sens, pu adopter une vue « romantique » (fantaisiste, irrationnelle, littéraire) de cet aspect essentiel de notre existence ? Je me suis donc trompé ; ou plus exactement, j'ai fait une confusion destinée à m'arranger, à corroborer une mienne conviction. La lecture de ces livres, à l'époque, m'avait frappé et marqué ; j'y avais trouvé clairement exprimées et formulées une réflexion et une vue sur le monde qui étaient miennes, et me semblaient d'autant plus importantes qu'elles l'étaient par un scientifique. Je réprouvais ses solutions – dont la pharmacopée –, mais j'applaudissais à son analyse, à cette explication de l'homme et du monde qui était la mise à plat radicale de toute valeur, réduisant ainsi le comportement humain à un simple acte réflexe : l'homme seul n'est rien, il est le produit et le résultat des autres, il n'est que pur automatisme, pur reflet, pure mécanique...