Nous étions arrivés, installés, et nous avons attendu. Pendant longtemps, il n’y a rien eu, rien que le vent, et, autour de moi, les bruissements de l’attente, puis des propos bougons, ou impatients, ou enjoués, puis des soupirs, des rires, et parfois l’éclair d’un enfant. Et puis je les ai vus, à droite de mon champ de vision, à l’extrême limite du cercle qu’était alors mon regard à l’affût, braqué sur la pause des ouvriers. Ils sont entrés dans mon champ de vision, l’un à côté de l’autre, sur la pente du terril, à gravir, petits, minuscules, réduits, comme des bâtonnets, des piquets articulés et mobiles, ou, du fait de l’irréalité de l’endroit, du moment, de notre présence, comme des créatures spéciales inventées pour l’occasion. Ils gravissaient, lui dans son costume d’ouvrier, elle dans sa mise de reine, côte à côte, et peut-être, je n’en suis plus sûr à présent, la main dans la main, lui, peut-être, la précédait et l’aidait, lui (page, aimé, prétendant, député, ou simple guide) la conduisait au long d’un escalier imaginaire – ou simplement suggéré – jusqu’à sa place légitime au sommet. Je n’ai rien dit, rien signalé, comme si j’avais pressenti que j’étais le seul à les avoir aperçus, le seul désormais à suivre leur progression, et le seul, dès lors, à pouvoir jouir de cette vision. Et de cette jouissance solitaire, je n’ai pas voulu me priver. Alors, je n’ai rien dit et j’ai continué à les ausculter, à les suivre, eux qui gravissaient, peinaient. Une peine qui aurait pu être la somme de toutes celles que nous avions subies et que nous subissions encore, dans le froid, le vent, l’attente ; une peine ramassée, compacte qu’ils auraient prise en charge pour répondre à une loi physique inédite qui aurait voulu que sur deux déclivités parallèles toutes les peines s’égalent quel que soit le nombre des pieds qui les supportent...